Militantisme et inquiétude au Michigan, où le droit à l’avortement ne tient qu’à un fil
Avant l’arrêt Roe c. Wade, l’avortement était criminalisé dans cet État du Midwest. C’est une injonction qui empêche pour l’instant le retour à cette loi draconienne.

Un graffiti sur un passage piétonnier de Détroit, où une manifestation pro-choix a eu lieu quelques heures après le verdict de la Cour suprême.
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
« Je suis terrifiée », confie Ellie Young. Cheveux roses, veste punk, regard chaleureux, mais fatigué : depuis vendredi, la trentenaire n’a pas arrêté. Comme beaucoup d’activistes pro-choix, elle se bat pour que l’avortement reste légal au Michigan. Un droit plus fragile que jamais depuis le jugement de la Cour suprême.
Je n’étais pas surprise, parce qu’on savait que ça allait arriver
, explique Ellie Young. Mais je suis en colère.
Mère de quatre enfants, dont deux filles, elle a passé la journée à faire signer une pétition sur le site de l’Université du Michigan.
J’ai l’impression que c’est tout ce qu’on peut faire parce que rien d’autre ne semble fonctionner
, dit Ellie, 34 ans, en soupirant.

Ellie Young habite Ann Arbor, en banlieue de Détroit.
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
Au Michigan, le sentiment d’urgence est particulièrement présent. Une injonction préliminaire accordée par une juge de l’État en mai dernier permet encore aux femmes d’avorter.
Or, si cette injonction devait être invalidée, c’est une loi de 1931 qui entrerait en vigueur et qui criminaliserait l’avortement. La gouverneure démocrate de l’État a déjà demandé à la Cour suprême du Michigan de trancher. En attendant, le flou persiste.
Ce serait une des lois les plus draconiennes au pays, qui ferait de l’avortement un crime même dans les cas d’inceste ou de viol.
Ellie, qui a grandi dans une famille très religieuse, dit mener ce combat pour ses filles. Mais c’est en parlant de sa grand-mère que sa gorge se noue.
Elle est morte maintenant, mais je sais qu’elle serait furieuse
, dit Ellie. Elle pointe une des dizaines d’épinglettes sur sa veste en cuir noir. « Stop the war against women » (cessez la guerre contre les femmes), peut-on y lire.
Ma grand-mère portait cette épinglette en 1989
, explique l’activiste. Tout ce pour quoi elle s’est battue a maintenant disparu.

L'activiste a précieusement gardé l'épinglette que portait sa grand-mère, qui a aussi milité pour le droit à l'avortement.
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
Un peu plus à l’est, dans le centre-ville de Détroit, Jessica Prozinski apostrophe des passants, tracts à la main, pour leur parler de justice reproductive. Si vous n’avez pas le droit de choisir si vous allez avoir des enfants, combien, et quand, quels droits avez-vous vraiment?
demande l’activiste. Ça fait peur.
C’est le début d’une longue bataille.
Si Jessica croit qu’une stratégie nationale est nécessaire pour protéger l’accès à l’avortement, elle veut surtout se concentrer sur son État. Le Michigan pourrait devenir un État « sanctuaire » pour des femmes qui vivent dans d’autres États du Midwest où l’avortement est interdit, au Wisconsin par exemple.

Jessica Prozinski à Hart Plaza, près de la rivière Détroit
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
On ne baisse pas les bras
, promet-elle. Roe contre Wade a été gagné par la rue et c’est comme ça que nous allons défendre Roe contre Wade.
Si les activistes pro-choix du Michigan s’organisent pour éviter un retour à la loi de 1931, certaines femmes se préparent déjà au pire.

Anna Nelson se dit très inquiète par la décision de la Cour suprême.
Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi
Anna Nelson se décrit comme progressiste, mais n’est pas tellement militante. Devant l’incertitude du droit à l’avortement dans son État, elle envisage de passer à un mode de contraception permanent.
Je veux avoir le moyen de contraception le plus sûr possible
, explique-t-elle. Donc oui, je me renseigne sur la ligature des trompes. Je n’y avais jamais pensé, mais c’est maintenant une option que je considère.
Un changement dans le cadre législatif au Michigan pourrait aussi avoir des répercussions au Canada. L’État partage une frontière terrestre avec le Canada et Détroit n’est qu’à quelques kilomètres de Windsor.
Des Américaines pourraient donc choisir de se rendre en sol canadien pour obtenir un avortement. D’autant plus que le gouvernement Trudeau leur a déjà ouvert les bras.