L’augmentation « fulgurante » des loyers est sous-estimée au Québec, selon une étude

Le Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec estime qu'un trop grand nombre de propriétaires immobiliers profitent des changements de locataires pour augmenter les loyers de manière « abusive ».
Photo : Radio-Canada / Jean-Claude Taliana
« La flambée des loyers, loin de se résorber, s’accélère partout au Québec. » Et les données officielles de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) sont loin d’illustrer l’ampleur du phénomène, estime le Regroupement des comités logement et des associations de locataires du Québec (RCLALQ).
Cet organisme militant de promotion et de défense du droit au logement est arrivé à ce constat en épluchant plus de 51 000 annonces de logements à louer sur le site Kijiji, un exercice auquel il se prête depuis 2020.
Dans son plus récent rapport, intitulé Sans toit ni loi : étude sur le marché incontrôlé des loyers, le RCLALQ note des écarts très importants
entre le loyer moyen des logements offerts à la location sur Kijiji et les données sur le loyer de la SCHL, qui concerne l’ensemble des loyers payés.
Et cet écart se creuse avec les années.
La SCHL réalise ses études sur les loyers chaque année en octobre à partir d’un échantillon de logements pris dans tous les centres urbains qui ont une population de 10 000 habitants et plus.
Les études de l'organisme national d'habitation ne visent que les immeubles d’initiative privée qui comptent au moins trois logements locatifs et qui sont sur le marché depuis au moins trois mois
.
Invitée à commenter cette étude, la SCHL n’avait pas répondu à une demande d’entrevue samedi en milieu de journée.
Selon l’analyse effectuée par l’organisme, un logement à louer était en moyenne 49 % plus cher que le logement moyen en 2022. Cette différence s'établissait à 41 % en 2021 et à 31 % en 2020.
Ainsi, les locataires du Québec ayant déménagé récemment paient en moyenne 427 $ de plus par mois que les locataires n’ayant pas déménagé.
Si cet écart avec les données de la SCHL continue de s’accroître à Montréal (54,3 %), c’est à l’extérieur des grands centres urbains qu’il s’accentue le plus rapidement.
C’est le cas à Saguenay, où un logement à louer est 28 % plus cher que le loyer moyen.
C’est aussi le cas à Trois-Rivières, où l’écart de 39 % en dit long sur l’état actuel du marché locatif, selon la co-porte-parole et responsable de l'analyse des données de l'enquête, Marjolaine Denault.
Historiquement, Trois-Rivières était connue pour avoir des logements moins dispendieux qu’ailleurs au Québec. Or, on observe aujourd’hui de très importantes hausses dans cette région.

En l'espace d'un an, le loyer moyen des grands logements (cinq et demi et plus) a bondi de près de 40 % à Trois-Rivières.
Photo : Radio-Canada
À Trois-Rivières comme ailleurs, la hausse des prix pour les logements à louer est étroitement liée
à un très faible taux d'inoccupation.
À l'échelle provinciale, ce taux est demeuré sous le seuil d’équilibre établi à 3 %, soit à 2,5 %, ce qui rend déjà très difficile
la recherche d'un logement. Inférieur à 1 % à Trois-Rivières, le taux d’inoccupation oscille autour de 0,5 %, voire moins, dans plusieurs villes dites intermédiaires
, par exemple Granby, Mascouche, Terrebonne, Drummondville, Rouyn-Noranda, Joliette, Rimouski et Rivière-du-Loup.
Les municipalités de moins de 10 000 habitants n'étant pas prises en compte par la SCHL, le RCLALQ estime que l’ampleur de la pénurie pourrait être encore pire dans certaines régions administratives comme les Laurentides ou Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine.
Des évaluations locales font parfois état de taux qui frôlent le 0 %, rapporte le RCLALQ.
Dans ce contexte, le rapport déclare sans ambages que la migration vers une autre région pour trouver un logement plus abordable n’est désormais plus possible
.
La propagation de la pénurie [de logements] à l'ensemble du territoire québécois n'offre aucune échappatoire aux locataires
, tranchent les auteurs.
Plus chers en 2022 qu’en 2021
C’est également dans les villes intermédiaires et dans les banlieues de la grande région métropolitaine que l’étude du RCLALQ comptabilise les plus fortes augmentations de loyer par rapport à l’an dernier.
À l’échelle du territoire québécois, les échantillons démontrent que le prix pour se loger a augmenté de 9 % entre 2021 et 2022, pour une moyenne de 1300 $ par logement (toutes tailles confondues).
L'augmentation a atteint 20 % sur la Rive-Nord, voire 24 % dans la zone comprenant Mirabel, Oka et Pointe-Calumet, de sorte que le prix moyen d’un logement s’établit maintenant à 1400 $ dans la couronne nord.
Cependant, c’est à Granby qu'on a recensé la hausse la plus spectaculaire. Le coût des logements en location a augmenté de 54 % entre 2021 et 2022 pour se situer à 1213 $ en moyenne.
Fait intéressant, la municipalité a vu les hausses de loyer dépasser 40 % pour tous les types de logements outre les studios. À l’échelle québécoise, c’est pourtant ce type de logement qui a encaissé la plus forte hausse annuelle à plus de 19 % (pour un prix moyen de 951 $).
Pour un registre et pour un contrôle des loyers
Devant un marché locatif qu'ils qualifient de complètement débridé
, les auteurs du rapport demandent au gouvernement du Québec d’instaurer des mesures qui ont des effets concrets et démontrés pour contrôler les loyers
.
Le RCLALQ note que les propriétaires immobiliers profitent souvent des changements de locataires pour demander des hausses abusives
de loyer.
L’organisme propose la mise sur pied d’un registre des loyers public, gratuit et universel
pour contrer ce problème. Un tel registre permettrait aux locataires prospectifs de vérifier le loyer payé par les anciens locataires.
Malgré le fait que le propriétaire est tenu de divulguer ce montant à la section G du bail, cette section demeure fréquemment non remplie. Or, même lorsque le propriétaire s’acquitte de cette obligation, il est impossible pour les nouveaux locataires de savoir si l’information est véridique, à moins d’entrer en contact avec les anciens locataires
.
Les auteurs souhaitent ainsi éliminer ce qu’ils considèrent comme un fardeau
de vérification repose qui indûment sur les épaules des locataires.
Ils demandent également au gouvernement d’instaurer un contrôle obligatoire des loyers.

Chaque année, le Tribunal administratif du logement établit les taux jugés raisonnables pour les hausses de loyer.
Photo : Radio-Canada / Josée Ducharme
Pour y arriver, ils proposent de rendre obligatoire le respect des taux moyens de variation de loyer émis annuellement par le Tribunal administratif du logement. Actuellement, ces taux ne sont que des recommandations.
Si les locataires peuvent toujours refuser et contester des hausses non conformes à ces recommandations, l’étude note que les propriétaires et les locataires ne négocient pas à armes égales. Les locataires craignent très souvent de refuser, voire de négocier la hausse de loyer. On craint une éviction, la non-réalisation de travaux, ou, tout simplement, les locataires connaissent mal leurs droits en matière de hausse de loyer
.
Invitée à commenter ces revendications, la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec, Andrée Laforest, n’avait pas répondu à une demande d’entrevue samedi en matinée.
Mme Laforest, qui a reconnu l’existence d’une pénurie de logements au printemps, avait toutefois rejeté l’idée d’un registre des loyers en septembre dernier.