La réintégration de toponymes autochtones fait son chemin en Colombie-Britannique
Powell River et le village de Queen Charlotte pourraient changer de nom.

L'archipel Haida Gwaii était officiellement nommé Îles de la Reine-Charlotte jusqu'en 2010. L'un des principaux villages de l'archipel pourrait aussi changer de nom.
Photo : AFP/Getty Images / AFP
Un nombre grandissant de communautés en Colombie-Britannique réintègrent des toponymes autochtones et certaines envisagent même de changer de nom complètement, à la demande de membres de Premières Nations locales.
Le mois dernier, le conseil municipal du village de Queen Charlotte, dans l’archipel de Haida Gwaii, a voté à l’unanimité pour devenir Daajing Giids, chapeau commun ou chapeau dansant
en langue haïda, une décision approuvée par une majorité de résidents lors des consultations, affirme le maire, Kris Olsen.
C’est une question de respect, parce que nous habitons ici sur Haida Gwaii, le territoire ancestral des Haïdas
, dit M. Olsen. C’est juste être de bons voisins, respectueux, et travailler ensemble à un avenir commun.
Powell River, sur la côte Sunshine, réfléchit aussi à un changement de nom, un processus enclenché à la demande de la nation Tla’amin.
La petite ville, fondée au début du siècle dernier pour loger des travailleurs de l’industrie forestière, a été nommée en l’honneur d’Israel Powell, premier surintendant du Département des affaires indiennes pour la Colombie-Britannique de 1872 à 1889, explique la Municipalité sur son site Internet.
Connu notamment pour sa condamnation des cérémonies du potlach, une pratique culturelle et politique importante dans les communautés autochtones du Pacifique nord-ouest, et pour son implication dans l’élaboration de la loi fédérale qui les interdira jusqu’en 1951, Israel Powell a aussi joué un rôle majeur dans l’établissement des premiers pensionnats pour Autochtones dans l’Ouest.
La ville de Powell River indique que 3800 personnes se sont exprimées sur l’éventualité d’un changement de nom. Le conseil municipal sera appelé à se prononcer sur le sujet après avoir reçu un rapport faisant état du résultat de ces consultations, ce qui est prévu durant l’été.
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Lac Sproat : une conversation
qui commence
Sur l’île de Vancouver, le district régional d’Alberni-Clayoquot a de son côté entrepris une conversation
sur la possibilité de renommer le lac Sproat, un lieu populaire auprès des touristes et des résidents nommé d’après Gilbert Sproat, fondateur de la première scierie de Port Alberni.
Le lac se nommait Kleecoot jusqu’à la seconde moitié du 19e siècle.
D'après le président du district, John Jack, membre de la Première Nation Huu-ay-aht, les procédures en sont pour l’instant encore à un stade très préliminaire, et il est important de ne pas précipiter les choses pour ne pas créer de tensions inutiles entre communautés autochtones et allochtones.
Ce n’est pas urgent, ce qui veut dire qu’on a le temps de prendre en considération les avis de toutes les parties prenantes
, dit-il.
En ce moment, le district est en train de consulter les membres des Premières Nations de Hupacasath et de Tseshaht, près de Port Alberni, afin de vérifier s’il y a réellement un appétit pour le changement de nom du lac.
Qu’on le veuille ou non, c’est une conversation politiquement chargée
, croit John Jack, qui soulève, ajoute-t-il, des questions sensibles liées à l’identité, aux privilèges et aux droits, sur lesquelles tout le monde ne s’entend pas.
Un pas symbolique mais important
De manière générale, la remise de l’avant des toponymes autochtones est cependant importante selon lui, non seulement parce que les Premières Nations ont occupé et utilisé le territoire longtemps avant l’arrivée des colons, mais aussi parce que leurs membres avaient des droits, des privilèges et des responsabilités en fonction de leur relation avec ce territoire et les gens qui le peuplaient.
Ce retour aux toponymes autochtones contribue aussi, estime John Jack, à rétablir la confiance entre les Autochtones et les institutions canadiennes, et fait partie du processus de réconciliation.
Si nous sommes sérieux à propos de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones et de la réconciliation, il faut commencer par des étapes comme celles-là, qui sont plutôt simples si on les compare aux difficiles conversations sur les conditions socio-économiques que nous devons avoir aussi
, dit-il.
Les changements de noms, plus fréquents qu’on le pense
Selon le conseiller autochtone de la Commission de toponymie du Canada et membre de la Première Nation de Swan River, Rob Houle, la Commission reçoit de 50 à 100 requêtes de changement de nom chaque année liées à la toponymie en provenance d’autorités locales de la Colombie-Britannique.
Les raisons sont diverses et n’ont pas nécessairement à voir avec les Premières Nations. Ce sont parfois de simples ajustements liés à l’obtention de nouvelles informations, sur des caractéristiques naturelles, par exemple.
Ils nous informent et nous mettent à jour sur leur processus, et nous demandent des conseils
, explique Rob Houle. Mais ce n’est pas comme si renommer des lieux ou remettre en question la toponymie était quelque chose de nouveau : cela existe depuis longtemps au Canada.
Selon lui, l’exemple d’Asbestos, au Québec, montre qu’il ne faut pas craindre les changements d’appellation.
La petite ville de l’Estrie, dont le nom signifiait amiante
en anglais, s’est rebaptisée Val-des-Sources en 2020 en raison de cette connotation négative et afin de ne pas rebuter les touristes et investisseurs étrangers.
Un attachement compréhensible
Il est loin d’être certain que Powell River et le lac Sproat changent de nom. Le village de Queen Charlotte, par contre, n’attend que l’approbation de la province avant de devenir officiellement Daajing Giids.
Selon le maire, les désaccords au sein de sa petite communauté de 850 personnes sont restés courtois, ce dont il se félicite.
Certaines personnes sont très attachées [au nom Queen Charlotte], dit Kris Olsen. Il y a de la nostalgie et il n’y a aucun problème avec ça.
À son avis, il est crucial d’engager un dialogue constructif avec les citoyens, de bien les informer et de les écouter. Il faut aussi prendre le temps de bien mener les consultations – dans le cas du village, le processus a duré trois ans.
Et c'est normal que tout le monde ne soit pas d’accord avec le résultat, ajoute-t-il.
C’est ce qu’il y a de beau à propos de la démocratie : on est capable de partager et d'exprimer nos opinions de manière ouverte et sécuritaire
, affirme Kris Olsen. C’est ce que j’aime vraiment de notre communauté, qu’on puisse avoir ce genre de dialogue et qu’il ne se rompe pas le long du chemin.