Claire Samson et les plantes vertes
Pendant 40 ans, Claire Samson a fait une carrière exceptionnelle dans le monde de la télévision. Députée d’Iberville depuis huit ans, elle quittait l’Assemblée nationale cette semaine en déclarant que les députés faisaient office de « plantes vertes » au Salon bleu. Mais qui est donc Claire Samson, au-delà de la caricature?

Claire Samson lors d’une entrevue avec la journaliste Émilie Dubreuil
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
« Me faire dire le matin comment voter sur des projets de loi et quelle question poser, c’est pas dans ma nature », dit Claire Samson en allumant une cigarette. « Moi, faire la plante verte, ce n'est vraiment pas mon genre. »
Les plantes vertes. Nous y voilà déjà. Lors de sa dernière conférence de presse à l’Assemblée nationale, le jeudi 9 juin, Claire Samson, 67 ans, en a choqué plusieurs en déclarant : Des députés plantes vertes comme moi, ça n’a pas travaillé fort depuis deux ans. Le travail de députée dans mon bureau de comté, j'ai adoré ça. Mais de tous les emplois que j'ai eus – et j'inclus quand j'avais 17 ans et que j'étais commis, ou quand j'ai été serveuse chez Da Giovanni –, le travail de députée à l'Assemblée nationale, c'est la job où j'ai travaillé le moins dans ma vie.
Dans un appartement à la décoration sobre, situé dans l’est de Montréal, je rencontre Claire Samson, heureuse de prendre sa retraite. La première députée du Parti conservateur du Québec (PCQ) d’Éric Duhaime, d’abord élue sous la bannière de la CAQIl n’y a pas beaucoup de place pour de réels débats d'idées. Presque tout est scripté d’avance
, estime-t-elle.
Jeune fille, Claire Samson était fascinée par un couple de malentendants qui prenaient l’autobus à la même heure qu’elle. Je trouvais ça tellement beau que j’ai suivi des cours pour devenir interprète.
Elle se propose, maintenant, de faire du bénévolat et de se consacrer à cette traduction silencieuse qu’elle aime tant.
En attendant, peut-elle traduire ce qu’elle voulait dire par : députés plantes vertes
?
Je vais te raconter une anecdote éloquente
, raconte Samson. Marguerite Blais, ministre des Aînés, dépose un projet de loi sur les proches aidants. Nous faisons alors partie de la même équipe politique. En commission parlementaire, je suis assise de son côté. Je me suis préparée, j’ai lu le projet de loi et j’ai révisé les autres lois que son projet modifie et j’ai des questions pour ma collègue. N’empêche, une fille arrive, je ne la connais même pas et elle me tend un papier et me glisse à l’oreille : "Voici les questions que vous devez poser à la ministre en commission parlementaire". Moi, comme législateur, je trouve ça insultant, cette pantomime de la joute politique.
Claire Samson évoque aussi le rapport avec les journalistes au Parlement : L’équipe des communications nous donne nos lignes. Ils nous disent ce qu’il faut dire aux journalistes et nous font répéter comme on fait répéter du texte à des comédiens
, ironise-t-elle.
Moi, j’ai fait des relations de presse pendant une grande partie de ma vie professionnelle, j’ai pas peur de ça, les journalistes.
Samson fait une pause, me regarde et ajoute en souriant : Faut dire que les journalistes de la Colline, c’est une espèce à part. Tous les partis ont des spin doctors [manipulateurs de l'information] qui les accrochent dans le corridor pour leur donner la nouvelle du jour ou celle qu’ils voudraient voir sortir
, dit-elle.
Claire Samson allume une autre cigarette. Le photographe Ivanoh Demers lui propose d’ailleurs de faire son portrait alors qu’elle fume. Cela doit faire au moins 20 ans que je n’ai pas fait de photo de fumeur
, lui dit-il.
C’est juste, plus personne n’ose se faire immortaliser une clope à la bouche, mais Claire Samson, 67 ans, assume – en fait, elle assume tout et le dit avec un franc-parler qui étonne, détonne même, dans notre paysage politique.
Avec Claire, y a pas de zone grise. C’est noir ou blanc. C’est du no bull shit
, résume Natasha Barnes-Crépeau qui a été son attachée politique pendant plus de trois ans, lorsque Samson était toujours membre de la CAQ .
Un personnage haut en couleur, donc, et qui a fait couler beaucoup d’encre.
Au printemps 2021, la femme de 67 ans sait déjà que son séjour en politique tire à sa fin. Elle vient de subir une troisième opération au cerveau pour conjurer un cancer de l’hypophyse. J'avais déjà décidé de quitter la politique. Je veux vivre un peu avant de péter au frette. Des opérations au cerveau, c’est pas, mettons, comme avoir un ongle incarné.
Adrien Pouliot, ancien propriétaire du réseau de télévision TQS (aujourd’hui Noovo) avec qui elle a travaillé alors qu’elle était la grande patronne de la station au milieu des années 90, la contacte. L’homme a dirigé le Parti conservateur du Québec de 2013 à 2021 avant de céder sa place à Éric Duhaime l’an dernier. Comme tout le monde, Claire Samson connaît de nom cette star de la radio de Québec, qui aimerait beaucoup, explique Pouliot à Samson, la rencontrer. Éric a été très transparent, il voulait recruter un député qui lui procurerait un accès à l’Assemblée nationale.
Claire Samson évoque trois rencontres plutôt sympathiques, dont une, où la chienne d’Éric Duhaime est présente. Mia est une pitbull très sympathique et mon chat Coucoune l’aime beaucoup
, note la députée qui adore les animaux. Claire Samson possède d’ailleurs deux chevaux et enseigne l’équitation à des enfants malentendants tous les samedis. Mais ce n’est pas seulement leur amour partagé des animaux qui a convaincu Samson de changer d’écurie…
Le reste de l’histoire est connu. À la mi-juin 2021, Claire Samson est expulsée du caucus de la CAQpour avoir fait un don au Parti conservateur d’Éric Duhaime. Le lendemain, elle rejoint officiellement ce parti, permettant ainsi à Duhaime d’accéder à l’Assemblée nationale.
Depuis ce coup d’éclat, Claire Samson est souvent caricaturée par des humoristes, notamment par le comédien Marc Labrèche qui l’imite, elle et son chef, dans des séances de Facebook en direct
improbables où Samson non seulement fume, mais boit un verre de vin. Cela aussi, celle qui a fait sa carrière dans le monde de la télévision l’assume très bien.
« Si tu ne vaux pas une risée, tu ne vaux rien. »
La seule chose qui la dérange : Marc Labrèche suggère dans son imitation qu’elle est saoule lorsqu'elle participe à ces discussions. Je prends un petit verre le soir chez moi, mais je ne suis jamais saoule
, précise-t-elle.
Son départ de la CAQJe ne pensais jamais qu’elle irait jusque là
, résume Natasha Barnes-Crépeau.
Ce n’est un secret pour personne que Claire Samson a été fort déçue de ne pas être nommée, en 2018, ministre de la Culture dans le cabinet Legault alors qu’elle agissait comme critique dans le domaine quand la CAQC’est vraiment pas fort la place que la CAQ a fait à la culture
, résume Samson.
Mais, outre sa déception, Samson explique sa défection de la CAQPendant la pandémie, on a assisté à l’affaiblissement des oppositions, ce qui est malsain pour la démocratie. Je me disais : "Ça ne se peut pas que la CAQ soit couronnée sans partage aux prochaines élections. Il faut donner des options aux Québécois, des contre-pouvoirs".
Au lendemain de son fracassant départ du parti, François Legault avait déclaré, sourire en coin, souhaiter bonne chance à Éric Duhaime, sous-entendant que Samson n’était pas facile à vivre. Moi, j’ai toujours eu une tête de cochon. J’ai pas fait la carrière que j’ai faite en étant une béni-oui-oui.
Samson rigole.
Le syndrome Claire Samson, de femme de carrière à simple députée frustrée
En 1976, alors qu’elle parle à peine l’anglais, Claire Samson quitte Montréal pour s’installer à New York. Elle y étudie le droit et entreprend une maîtrise en administration des affaires (MBA) à la prestigieuse NYU Stern School of Business.
Pourtant, Samson vient d’une famille modeste. Ma mère avait une troisième année parce que ma grand-mère, qui vivait dans une misère noire au centre-ville de Montréal avec ses neuf enfants, a dû l’envoyer travailler dans une usine de saucisses dans le Chinatown
, explique-t-elle.
Le père de Claire Samson était un Beauceron qui réparait des téléviseurs et des postes de radio chez RCA Victor et qui a beaucoup encouragé ses enfants à s’instruire.
De retour au Québec au début des années 1980 avec son diplôme en poche, elle travaille à la défunte station de radio CKAC où elle aspire à un poste aux ventes. Un de mes boss m’a dit : "Non. Il n’y a pas de femmes aux ventes". J’ai démissionné sur-le-champ. C’était pas vrai qu’un homme allait me dire ce qu’une femme peut ou ne peut pas faire
, se souvient Samson, en s’allumant une nouvelle cigarette.
Quelques jours après son départ de CKAC, Samson est recrutée par Radio-Canada où elle gravit les échelons jusqu’à devenir directrice des communications des services de télévision en français. En 1989, les journaux annoncent son départ pour ce qu’on appelait à l’époque Télé-Métropole.
La famille Chagnon voulait changer l’image de la chaîne dont on se moquait en l’appelant, télé-métro-pauvre
, se souvient Samson qui devient vice-présidente des communications. Michel Chamberland, qui était à l’époque vice-président à la programmation de TVA, se souvient d’une femme dynamique, déterminée. On est allé la chercher à Radio-Canada parce qu’elle était travaillante, positive, capable
, raconte Chamberland, 30 ans plus tard.
En 1993, retour de Claire Samson à Radio-Canada, où elle reprend les fonctions de directrice générale des communications. Ensuite, Samson deviendra la grande patronne de TQS, puis dirigera, avant de faire le saut en politique, l’Association des producteurs indépendants du Québec.
Dans sa carrière, Claire Samson avait donc déjà lu des rapports, exprimé des opinions, pris des décisions. Dans de nombreux articles écrits à son sujet quand elle est un personnage incontournable du monde de la télévision, on vante ses qualités professionnelles, son dynamisme, son audace. Les banquettes arrière du Salon bleu ne sont pas faites pour tout le monde. Avant son retrait définitif de la vie publique, Claire Samson donnera un coup de main à Éric Duhaime pendant la campagne électorale. Ensuite, elle ira chercher un chien à la SPCA
et compte essayer d'arrêter de fumer.Claire Samson souhaite aussi prendre soin de ses plantes vertes et de ses fleurs, tandis qu’elle prévoit avec humour que si la tendance se maintient et que la CAQIl va y en avoir, beaucoup de monde mécontent à la CAQ
.