Pas d’entente en vue pour la reprise des exportations de céréales ukrainiennes

Les ministres des Affaires étrangères de la Russie et de la Turquie, Sergueï Lavrov (à gauche) et Mevlüt Cavusoglu, se sont rencontrés mercredi à Ankara.
Photo : Getty Images / AFP/ADEM ALTAN
- François Messier
Aucun mécanisme concret permettant à l’Ukraine de reprendre l’exportation de ses céréales n’a été annoncé au terme de la rencontre entre les chefs de la diplomatie de la Russie et de la Turquie, mercredi, à Ankara.
Sergueï Lavrov et son homologue Mevlüt Cavusoglu discutaient des moyens d’établir des corridors maritimes sécurisés
en mer Noire pour permettre à des navires de transporter ces denrées à l'étranger.
Un blocus naval de la marine russe empêche les navires de quitter le port d’Odessa, le plus important pour les exportations céréalières, alors que d’autres ports, dont ceux de Berdyansk et de Marioupol, sont désormais aux mains de l'armée russe.
Le blocage des céréales ukrainiennes fait flamber les prix et laisse planer le spectre d’une crise alimentaire mondiale, notamment dans plusieurs pays de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Les marchés étant mondialisés, les répercussions se feront toutefois sentir partout dans le monde.
À la demande des Nations unies, la Turquie a proposé son aide pour escorter les convois maritimes depuis les ports ukrainiens, malgré la présence de mines dont certaines ont été détectées jusqu'à proximité des côtes turques.
En conférence de presse après la rencontre, M. Lavrov a répété que la Russie est prête à offrir des garanties de sécurité
et ne profiterait pas de la situation pour pousser son avantage sur le terrain militaire. Ce sont des garanties données par le président de la Russie
, Vladimir Poutine, a-t-il déclaré.
Nous disons tous les jours que nous sommes prêts à garantir la sécurité des navires qui quittent les ports ukrainiens [...] en coopération avec nos collègues turcs.
La responsabilité de déminer les ports de la mer Noire revient toutefois à Kiev, mais le président ukrainien Volodymyr Zelensky refuse catégoriquement
de le faire, a-t-il ajouté.
Le gouvernement ukrainien a effectivement miné ses ports pour empêcher des débarquements russes sur ses côtes.

Le terminal céréalier de Mykolaïv, photographié ici en 2013, a été détruit par des frappes russes au cours des derniers jours, a affirmé lundi Josep Borrell, chef de la diplomatie de l'Union européenne. Cette situation contredit les dires de Moscou, qui soutient ne pas être responsable des difficultés d'exportation, a-t-il souligné.
Photo : Reuters / Vincent Mundy
Des demandes russes légitimes
aux yeux des Turcs
M. Cavusoglu a rappelé que la Russie exige cependant la levée des sanctions qui frappent indirectement ses exportations agricoles, pour faciliter les exportations ukrainiennes.
Si nous devons ouvrir le marché international ukrainien, nous pensons que lever les obstacles aux exportations russes est légitime.
Il a cité spécifiquement les exportations de céréales et d'engrais
russes, qui ne sont pas directement visées par les sanctions occidentales, mais qui sont empêchées par la suspension des échanges bancaires et financiers.
Selon M. Cavusoglu, le plan de l'ONU est raisonnable et réalisable. L'Ukraine et la Russie devraient l'accepter
.
À Moscou et à Kiev, les réactions n’ont été guère encourageantes.
Dans un appel avec des journalistes, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a souligné qu’il n’y avait aucune discussion de fond
sur la levée des sanctions exigées par Moscou.
Le porte-parole du ministère ukrainien des Affaires étrangères, Oleg Nikolenko, a pour sa part déclaré dans un tweet que les garanties de sécurité offertes par M. Lavrov ne sont que des paroles creuses
.
De l’équipement militaire est requis pour protéger le littoral et une mission navale [est nécessaire] pour patrouiller sur les routes d’exportation. La Russie ne peut pas utiliser les corridors pour le grain pour attaquer le sud de l’Ukraine.
La véritable cause de cette crise : il s'agit de l'agression russe, pas des sanctions
, a ensuite déclaré à la presse le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmytro Kouleba.
Kiev veut participer aux négociations
L’ambassadeur ukrainien en Turquie, Vasyl Bodnar, a en outre souligné qu’aucune entente ne pourra être conclue en l’absence de Kiev à la table des négociations.

Les pourparlers de mercredi, à Ankara, se sont déroulés en l'absence d'une délégation ukrainienne.
Photo : La Presse canadienne / AP/Ministère des Affaires étrangères de la Russie
Il a soutenu que la Russie demandait à pouvoir faire des vérifications sur les navires qui emprunteraient un éventuel corridor, une proposition qu'il juge irréaliste.
L'ambassadeur Bodnar a toutefois reconnu que la médiation turque était essentielle dans ce dossier.
Le porte-parole de l'administration de la région d'Odessa, Serguiï Bratchouk, a quant à lui défendu le point de vue ukrainien. Si l'Ukraine démine le port de la ville, la Russie voudra attaquer, elle rêve de parachuter des troupes
, a-t-il déclaré dans un message vidéo sur Telegram.
La flotte russe de la mer Noire fera semblant de se retirer vers la Crimée annexée. Mais dès qu'on déminera les accès au port d'Odessa, la flotte russe sera là
, a-t-il ajouté, en plaidant pour que les convois de céréales ukrainiennes soient escortés par les pays de l'OTAN
, l'alliance militaire dont la Turquie est membre.
Des silos à grain à moitié pleins à l'aube de la récolte
Les silos à grains du territoire ukrainien contrôlé par Kyiv sont déjà à moitié pleins alors qu'approche la récolte annuelle et que la Russie continue de bloquer les ports du pays, a déclaré mercredi le chef de l'Association ukrainienne des producteurs de grains, Mykola Gorbachov.
Quelque 30 millions de tonnes de céréales sont stockées dans les territoires tenus par l'Ukraine, sur une capacité totale d'environ 55 millions de tonnes, a-t-il déclaré lors d'une conférence du Conseil international des céréales à Londres. Une capacité de stockage de 13 à 15 millions de tonnes existe dans les zones occupées par la Russie.
Sans accès à ses ports de la mer Noire, l'Ukraine pourra au mieux exporter 20 millions de tonnes de céréales l'année prochaine, les itinéraires alternatifs routiers, fluviaux et ferroviaires limitant les exportations à un maximum de 2 millions de tonnes par mois. L'an dernier, 44,7 millions de tonnes de céréales ont été exportées.
Selon M. Gorbachov, la moitié de la récolte de maïs de l'Ukraine, quatrième exportateur mondial, restera en terre si la Russie maintient son blocus des ports de la mer Noire. Je peux vous dire que nous ne trouverons pas de solution (pour) les exportations
sans accès à ces ports, a-t-il affirmé.
À ces tensions s'ajoutent des accusations selon lesquelles Moscou aurait volé et exporté 600 000 tonnes de céréales ukrainiennes, et expédié par transport maritime 100 000 tonnes
de céréales en Syrie, selon des preuves enregistrées par les États-Unis
, a affirmé mercredi le directeur adjoint de l'Union des producteurs agricoles ukrainiens. Ces affirmations ne peuvent être vérifiées.
M. Gorbachov estime que les pourparlers russo-turcs sur la reprise des exportations ukrainiennes ne sont pas susceptibles de déboucher sur les garanties de sécurité nécessaires. Il appelle conséquemment les États-Unis, le Royaume-Uni et la France à fournir un convoi sûr aux navires transportant des céréales ukrainiennes hors du pays.
Avant la guerre, Kiev exportait chaque mois 12 % du blé mondial, 15 % du maïs et 50 % de l'huile de tournesol.
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Avec les informations de Agence France-Presse et Reuters
- François Messier