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Une crème glacée à la levure de bière?

Des microbrasseries de la Mauricie souhaitent que les levures brassicoles soient transformées en sous-produits –  saucisse, fromage ou crème glacée – plutôt que d'être jetées dans les eaux usées.

Pinte de bière sur le comptoir d'un bar.

La levure de bière des microbrasseries est jetée dans les eaux usées.

Photo : Radio-Canada / Martin Chabot

Un tracteur agricole avance lentement sur la rue Sainte-Anne, au cœur de Yamachiche. Au volant, Luc Montour, chapeau de cowboy sur la tête et sourire aux lèvres, s'engage dans la cour de la microbrasserie Dépareillée, établie dans le village depuis cinq ans.

Il s'apprête à charger trois bacs noirs remplis de céréales dans son tracteur. Ils contiennent des drêches brassicoles, principalement l’orge qui reste après l'empâtage. La drêche s’apparente à un gruau.

Luc Montour tient une poignée de drêches de brasserie dans ses mains.

L'agriculteur Luc Montour fournit l'orge à la microbrasserie de Yamachiche. Après qu'elles ont servi à fabriquer de la bière, il récupère les céréales pour nourrir ses animaux.

Photo : Radio-Canada / Luc Lavigne

M. Montour est producteur de lait et de céréales. C’est d’ailleurs son orge qui sert à fabriquer la bière de la Brasserie Dépareillée, située à moins d’un kilomètre de sa ferme. Cette proximité est pratique et économique pour lui comme pour le brasseur.

Les drêches prennent le chemin de sa ferme plutôt que celui du dépotoir, au grand bonheur de ses bêtes et de la microbrasserie.

Elles viennent courir après moi. Quand je change d’enclos, je me sers de ça pour les attirer. Quand je mets juste le bac, elles sont trois-quatre à manger dans le bac avant que je vide le bac.

Une vache mange dans une pelle des drêches brassicoles.

Des vaches de la Ferme du Repos de Yamachiche mangent des drêches de bière.

Photo : Radio-Canada / Luc Lavigne

Toutefois, un autre produit extrait de la production brassicole, la levure, ne trouve pas de chemin de valorisation.

Une pâte jaunâtre sort d'un boyau et remplit un drain.

Environnement Mauricie estime que 320 000 litres de levure brassicole sont jetés chaque année par les huit microbrasseries qui participent au projet de valorisation.

Photo : Radio-Canada / Martin Chabot

La levure sert à transformer le sucre en alcool et en gaz carbonique. Lorsque les levures ne sont plus suffisamment actives, les brasseurs les retirent des cuves. La pâte d’une couleur jaunâtre se retrouve alors dans un drain, donc dans les eaux usées, au compost ou aux ordures.

Le propriétaire de la Brasserie Dépareillée, Martin Poirier, se sent mal chaque fois qu’il extrait la levure de la cuve pour l'acheminer vers son drain.

Accroupi, Martin Poirier tient le boyau qui transporte la levure brassicole de la cuve de brassage au drain.

Martin Poirier, propriétaire de la Brasserie Dépareillée, à Yamachiche, voudrait éviter de déverser la levure brassicole dans les eaux usées.

Photo : Radio-Canada / Martin Chabot

On a de l’eau qui est chargée de sédiments alimentaires. Et comme ce sont des matières organiques, elles se décomposent, et en se décomposant, elles émettent des [...] gaz à effet de serre, explique Lauréanne Daneau, directrice générale d'Environnement Mauricie. Elle ajoute que les levures créent de la sédimentation dans le réseau de traitement d’eaux usées, dont les infrastructures sont déjà vieillissantes.

Lauréanne Daneau est assise au comptoir d'une microbrasserie.

Lauréanne Daneau, directrice générale d'Environnement Mauricie, a soumis le projet de valorisation de la levure brassicole au Fonds ÉcoLeader.

Photo : Radio-Canada / Luc Lavigne

On cherche toujours à améliorer nos pratiques environnementales. Pour celle-là, on n’a pas encore de solution et il n’y a pas de brasserie qui a des solutions, confie Martin Poirier.

Il est conscient de l’empreinte environnementale que laisse sa production et veut que les choses changent.

Huit microbrasseries de la Mauricie, dont la sienne, se sont associées à Environnement Mauricie pour trouver une solution. Les brasseurs ont cherché ce qui se faisait ailleurs au Québec et au pays. Mais ils n’ont rien trouvé.

C’est sûr que ça va être une première, confie Charles Lavigne, le directeur général du Centre de développement bioalimentaire du Québec (CDBQ).

Voyant qu’il n’existait aucune initiative, Environnement Mauricie s’est tourné vers le CDBQ et a fait appel au Fonds ÉcoLeader. L'organisme attend une réponse à sa demande de financement.

On imagine trois voies de valorisation, explique le chercheur. Charles Lavigne insiste sur les nombreuses propriétés de la levure brassicole, riche en protéines, en vitamine B et en fibres.

Premièrement, la levure brassicole pourrait remplacer le sel de table, en tout ou en partie, pour rehausser les saveurs des plats. Elle pourrait aussi se substituer au parmesan dans les salades ou les pâtes alimentaires.

Ensuite, pour répondre à la demande croissante des transformateurs alimentaires qui souhaitent offrir des produits véganes, cette levure pourrait servir de protéines végétales plutôt que celles achetées à l'étranger pour la préparation de crèmes glacées, de saucisses ou de fromages véganes.

Charles Lavigne debout dans un laboratoire de recherche.

Charles Lavigne dirige le Centre de développement bioalimentaire du Québec.

Photo : Radio-Canada / François Genest

Actuellement, les consommateurs recherchent des produits qui ont une histoire. Donc, d’avoir une histoire de fromage végane, qui, en plus, a un ingrédient recyclé des microbrasseries, donc qui est bon pour la planète, qui est bon au goût et qui répond au besoin nutritionnel du client. Pour moi, c’est quelque chose qui va être gagnant dans les prochaines années.

Enfin, les levures brassicoles pourraient nourrir les insectes destinés à l'alimentation humaine. Des tests effectués ont démontré que les larves nourries de levure brassicole ont grossi davantage que celle qui n’en avait pas mangé.

Au cours des prochaines semaines, l’équipe de chercheurs du CDBQ récoltera de petits volumes de levures brassicoles dans les huit microbrasseries mauriciennes. Si les tests s’avèrent fructueux, les microbrasseries devront ensuite se pencher sur les enjeux de la logistique et des coûts de transports pour écouler leurs levures brassicoles.

Il faudra donc un certain temps avant que les glaces à la levure de bière fassent leur arrivée chez les commerçants.

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