Décès évitables aux urgences : les médecins-chefs québécois sonnent l’alarme

Plus d’un million de patients se retrouvent sur une civière aux urgences chaque année.
Photo : Radio-Canada
Une soixantaine de médecins-chefs aux urgences exigent l’ouverture de lits d’hospitalisation plutôt que leur fermeture partielle durant la période estivale. Ils estiment que la qualité des soins est compromise, certains décès seraient même causés par la situation chaotique dans les urgences.
Lors d’une rencontre de presse à la fin du mois d’avril dernier, la sous-ministre adjointe à la Santé, Lucie Opatrny, disait avoir bon espoir que les établissements de santé puissent octroyer les vacances d’été au personnel hospitalier.
Évidemment, il faut aussi contrebalancer ça avec la volonté qu’on a de rehausser les activités pour faire du rattrapage dans tous les différents secteurs où il y a du rattrapage à faire
, disait-elle. On pense, par exemple, aux listes d’attente pour une chirurgie.
Mais, alors que les vacances d’été débutent à peine, les chefs médicaux responsables des services d’urgence dans les hôpitaux du Québec expriment leurs inquiétudes de ne pas pouvoir assurer des services sécuritaires pour la période estivale.
On ne peut rester silencieux devant la détérioration fulminante des services rendus dans nos urgences et la pression à laquelle nos équipes font face
, écrit la représentante du Regroupement des chefs d’urgence du Québec (RCUQ), la médecin Marie-Maud Couture.
Des constats
Dans une lettre obtenue par Radio-Canada et envoyée ces derniers jours aux PDG
des établissements de santé du Québec, l’ensemble des chefs médicaux d’urgence du Québec dressent une série de constats et de suggestions.Selon eux, il est devenu quotidien que plus de 50 % des civières au permis d'une urgence soient occupées par des patients hospitalisés en attente d’un lit à l’étage [et que] ces patients séjournent plus de 24 à 48 heures à l’urgence, en raison de la congestion hospitalière
.
Selon les données disponibles compilées par Radio-Canada, le pourcentage de patients sur civière qui séjournent plus de 24 heures aux urgences est passé d’environ 17 % à l’arrivée au pouvoir de la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018 à près de 22 % l’an dernier.
Depuis le début des vacances dans le milieu de la santé, il y a une semaine, ce taux a oscillé entre 24 % et 32 %.
Plus d’un million de patients se retrouvent sur une civière aux urgences chaque année. Plusieurs nécessiteront une hospitalisation.
De l’avis des chefs d’urgence, l’augmentation des délais d’admission entre les urgences et les unités de soins est associée à un plus grand risque de mortalité et de complications pour les patients
.
« Plusieurs décès potentiellement évitables ont été rapportés par les chefs d’urgence au cours des derniers mois, faute d’accès à une civière et aux soins requis par la condition. »
Un médecin de la région de Montréal qui souhaite qu’on taise son identité abonde dans le même sens. Le fait que des patients âgés restent à l’urgence faute de lits ailleurs accélère clairement la mortalité et la morbidité
, affirme-t-il.
Selon la représentante du RCUQnos urgences se voient forcées de délaisser leur mission pour devenir des unités de débordement hospitalier. Les patients sur civières refoulent jusque dans les espaces prévus pour la clientèle ambulatoire. Le manque de capacité créé par cette congestion vient même jusqu’à retarder la prise en charge et l’évaluation des nouveaux patients
.
Une prise en charge insuffisante
Dans leur missive, les médecins-chefs estiment que la prise en charge des cas non urgents par leurs collègues médecins de famille est insuffisante.
Le fardeau de la réorientation de la clientèle non urgente vers la première ligne pèse lourd sur nos équipes; [...] la première ligne n’est pas en mesure de répondre à cette demande
, avisent-ils.
Ces derniers considèrent inacceptable que les directions autorisent la fermeture des lits en courte durée pour la période estivale et qu’elles ne [se] sentent pas imputables de l’iniquité d’accès de la population aux services d’urgence
.
Il est impératif que les directions générales soient également imputables de cette qualité et sécurité de soins désormais compromises
, ajoutent-ils.
Appelé à réagir, le président du Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval (SIIIAL-CSQ), Déreck Cyr, rappelle que ses membres vivent depuis des mois des situations d’épuisement à l’urgence de la Cité de la Santé, des TSO (temps supplémentaire obligatoire) fréquents et des arrêts de travail
.
Selon lui, une des solutions est de retirer de la responsabilité du personnel de l’urgence les 15 lits de débordement qui se sont ajoutés aux 49 civières au permis de l’urgence
.
5 mesures exigées par les chefs des urgences
Nous exigeons que tout établissement dont l’urgence présente une congestion récurrente de ses civières par des patients en attente d’un lit ou par des patients de plus de 24 heures soit contraint aux mesures suivantes, mesures qui seront soumises également au ministre de la Santé
:
1. Le déploiement de protocoles de surcapacité aux étages directement proportionnels aux taux d’occupation de l’urgence et basés sur le nombre de lits dressés au permis.
2. Un taux d’occupation de 150 % devrait obligatoirement être associé à un taux d’occupation de 150 % sur les unités de soins.
3. Une notification à l’équipe ministérielle dès l’atteinte de 24 heures pour un patient à l’urgence, avec l’explication des délais associés au séjour du patient à l’urgence, de même que la direction imputable des délais.
4. Le recours aux unités de chirurgies d’un jour, de salle de réveil et de cliniques externes pour accueillir tout patient en situation de débordement et en attente d’un lit à l’étage lors de congestion à l’urgence.
5. Le recours à la surcapacité dans les unités d’hébergement et les milieux de réadaptation pour la clientèle de type NSA (niveau de soins alternatif).La sensibilisation du comité des usagers hospitaliers à la réalité des urgences et l’implication de ces membres dans les comités de fluidité hospitalière.