Les changements climatiques risquent de provoquer une multiplication des pandémies
Le réchauffement du climat, la déforestation, la densification, la migration d'espèces et le commerce d'espèces sauvages sont des facteurs qui conduisent à l'émergence de maladies infectieuses.

Un travailleur de Médecins sans frontières à l'entrée d'un centre de traitement de l'Ebola à Goma, en République démocratique du Congo
Photo : Reuters / BAZ RATNER
Avant même la pandémie de COVID-19, les scientifiques sonnaient l’alarme : le risque que de nouveaux pathogènes provoquent des pandémies s’accélère avec les changements climatiques et la perte de biodiversité.
La destruction causée par les humains met de la pression sur l’environnement, ce qui crée plus de risque d’échanges viraux entre espèces. C’est un effet domino. Quand on perturbe un aspect de la nature, ça peut revenir nous hanter
, prévient Neil M. Vora, médecin et épidémiologiste pour l’organisation Conservation International.
En 2020, un groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité (IPBES), avertissait d’ailleurs que des pandémies plus fréquentes, plus mortelles et plus coûteuses étaient à prévoir.
Les changements dans la manière dont nous utilisons les terres, l'expansion et l'intensification de l'agriculture, de même que le commerce, la production et la consommation non durables perturbent la nature et augmentent les contacts entre la faune sauvage, le bétail, les agents pathogènes et les êtres humains. C'est un chemin qui conduit droit aux pandémies.
Et ceux qui étudient les effets des changements climatiques sur la santé disent que nous avons déjà emprunté ce chemin.
Depuis la pandémie de grippe espagnole en 1918, le monde a connu une série d’épidémies et de pandémies : le VIH/SIDA, le SRAS-CoV-1, le chikungunya, le Zika, le H1N1, le syndrome respiratoire du Moyen-Orient, le SRAS-CoV-2, l’Ebola, la fièvre de Lassa et le Nipah ne sont que quelques-uns des virus qui ont balayé le monde.
La probabilité que nous subissions de nouvelles épidémies va tripler au cours des prochaines décennies, conclut une récente étude (Nouvelle fenêtre). Ses auteurs estiment qu’une autre pandémie comme celle de la COVID-19 pourrait survenir d’ici une cinquantaine d’années.
Nous sommes entrés dans une ère de pandémies
, a d’ailleurs déclaré (Nouvelle fenêtre) le Dr Anthony Fauci, directeur de l'Institut national des allergies et des maladies infectieuses des États-Unis, en août 2020.
L'impact de climats changeants
D’après Rory Gibb, un biologiste qui étudie les liens entre les maladies infectieuses et le climat à l’École d’hygiène et de médecine tropicale de l’Université de Londres, il y a un ensemble de facteurs écologiques et environnementaux qui modifient le rythme auquel les pathogènes se transmettent des animaux aux humains.
Cyril Caminade, physicien et chercheur en climatologie de l'Université de Liverpool, précise que les maladies à transmission vectorielle (peste, paludisme, dengue, Zika...) et à transmission hydrique (choléra, hépatites...) sont particulièrement sensibles aux changements climatiques.
Par exemple, la multiplication des cyclones, des ouragans et des inondations augmente le risque que certaines maladies à transmission hydrique, comme la leptospirose ou le choléra, se propagent parmi les sinistrés.
Les maladies vectorielles, surtout transmises par des arthropodes (moustiques, mouches, tiques, limaces...), sont quant à elles très sensibles aux changements climatiques. Les arthropodes sont ectothermes, donc leur température interne est régulée par les conditions environnementales.

L'anophèle peut transmettre le parasite causant la malaria.
Photo : La Presse canadienne / AP Photo/CDC, University of Notre Dame, James Gathany
Ainsi, plus la température et l'humidité augmentent, plus les conditions sont favorables à la croissance des arthropodes, explique M. Caminade. Par exemple, une augmentation des précipitations peut augmenter les zones de reproduction. Des températures plus élevées peuvent également réduire la période d’incubation de certains moustiques.
Les températures de l'air ont un impact très fort sur la longévité, la mortalité, le développement des moustiques ainsi que sur la vitesse à laquelle le pathogène se développe à l'intérieur du moustique.
Une étude (Nouvelle fenêtre) estime que, d’ici la fin du siècle, certaines régions tropicales pourraient voir leur saison de transmission de la malaria se prolonger de près de deux mois. La durée de la saison de transmission de la dengue pourrait augmenter de quatre mois dans les plaines des régions tropicales d'Asie du Sud-Est, d'Afrique subsaharienne et du sous-continent indien.
Parallèlement, selon M. Caminade, les changements climatiques pourraient être si extrêmes à certains endroits que des moustiques pourraient disparaître, ce qui réduirait cette fois les risques de transmission de maladies.

« Il faut faire attention à l'environnement, à nos forêts et à notre biodiversité. Ils sont tous reliés à notre santé », dit Cyril Caminade. Ce chercheur de l'Université de Liverpool modélise les répercussions du réchauffement climatique sur les maladies vectorielles.
Photo : Cyril Caminade
Les changements climatiques ont aussi une incidence sur la répartition géographique de nombreuses maladies infectieuses. Or, l'émergence de nouveaux pathogènes dans des régions où la population n’est pas immunisée peut mener à des épidémies explosives.
Rory Gibb souligne que ce ne sont pas toutes les régions du monde qui seront touchées de la même façon. Par exemple, l’Ebola, concentré surtout en Afrique de l’Ouest, pourrait se propager à l’est du continent sans devenir une pandémie mondiale.
Déjà, on voit comment des changements de température et d’humidité ont un effet sur la transmission de pathogènes dans certaines régions.
Par exemple, El Niño aurait créé en 2015-2016 des conditions favorables à la transmission du Zika en Amérique du Sud.
Des hivers plus doux, ainsi que de longues sécheresses aux États-Unis contribuent à la propagation du virus du Nil dans les zones urbaines.
Les tiques, qui peuvent transmettre la maladie de Lyme, se déplacent vers le nord depuis une dizaine d’années à cause des hivers plus doux combinés à des printemps et des automnes plus longs.

La maladie de Lyme peut être transmise par une tique.
Photo : iStock
Conséquences des contacts plus fréquents entre humains et animaux
L’autre élément qui préoccupe les scientifiques est l'augmentation de la transmission de zoonoses – des maladies ou des infections naturellement transmissibles des animaux vertébrés à l’homme.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) note que les zoonoses représentent une forte proportion de l’ensemble des maladies infectieuses nouvellement recensées ainsi que de nombreuses maladies existantes
.
En fait, depuis le début du XXe siècle, presque toutes les pandémies virales ont été déclenchées par une zoonose, précise Cyril Caminade.
Une étude (Nouvelle fenêtre) indique qu’entre 1994 et 2004, parmi plus de 300 nouvelles maladies infectieuses recensées, plus de 60 % ont été causées par des pathogènes zoonotiques.
Les scientifiques craignent que des contacts plus fréquents avec la faune en raison de migrations climatiques ne changent la donne.
Au fur et à mesure que la planète se réchauffe, les animaux cherchent de nouveaux habitats pour survivre. Les inondations, les feux de forêt, les températures extrêmes et la sécheresse les forcent à se déplacer là où les conditions sont plus favorables.

De plus en plus d'animaux sont forcés de fuir leur habitat en raison de feux de forêt, d'inondations et de variations extrêmes de température.
Photo : Reuters / Mike Blake
Par conséquent, des espèces qui n’avaient jamais coexisté vivront désormais côte à côte, ce qui augmentera les risques de transmission de virus entre hôtes naïfs (qui n’y avaient jamais été exposés).
Une récente étude publiée dans la revue Nature (Nouvelle fenêtre) montre que les changements climatiques entraîneront des centaines de milliers de nouvelles rencontres entre espèces d’ici 2070. Cela augmentera les probabilités que des maladies infectieuses soient par la suite transmises aux humains.
Des chercheurs ont modélisé la migration climatique de quelque 3000 espèces de mammifères au cours des 50 prochaines années pour voir comment elle pourrait influer sur la quantité d’échanges viraux.
Même selon les scénarios les plus optimistes, on pourrait observer environ 300 000 premières rencontres entre diverses espèces. Cela pourrait entraîner le transfert de 15 000 zoonoses chez des hôtes naïfs, dont 4000 entre mammifères.
Ces chercheurs ont souligné que les chauves-souris devraient être à l'origine d’une grande proportion de ces transmissions.

Un groupe de Pteropus poliocephalus
Photo : iStock
Si la température de la planète continue d’augmenter, les zoonoses se propageront davantage dans les écosystèmes riches en espèces, dans les régions de haute altitude et dans les endroits densément peuplés, affirment les auteurs de l’étude.
L’apparition de nouveaux pathogènes a forcément aussi des conséquences sur la santé des animaux. Par exemple, les épidémies d’Ebola en 2002 et en 2003 au Congo et au Gabon ont tué plus de 11 000 personnes, mais aussi plus de 5000 gorilles (Nouvelle fenêtre).
Il va y avoir un impact plus marqué sur les animaux que [sur] les humains, puisque les humains ont toujours accès à plus de protection avec la médecine moderne
, fait remarquer Cyril Caminade.
Combien de pandémies pourraient surgir?
Bien sûr, ces 15 000 nouvelles transmissions virales possibles ne mèneront pas nécessairement à 15 000 nouvelles épidémies, mais il suffit du transfert d’un seul pathogène à un humain pour en déclencher une, souligne Rory Gibb.
L’étude publiée dans Nature ne dit pas combien de virus pourraient causer des maladies chez l’homme.

« Lorsqu’on parle de changements climatiques, il faut parler des risques de zoonoses », dit Rory Gibb, de l'Université de Londres.
Photo : ResearchGate
Il est difficile de prédire où et quand un nouveau pathogène se propagera à un humain et si les conditions seront favorables pour que cet humain infecté transmette le pathogène à d’autres, explique M. Gibb. On ne voit pas le transfert d’un pathogène d’un animal à un humain
, explique-t-il. On sait que c’est arrivé seulement quand la personne est infectée et devient malade.
Malgré cette incertitude, ce type de modélisation permet de mieux comprendre où les risques de transmission de zoonoses sont les plus élevés, assure M. Gibb. Cela permet aux autorités de mieux cibler leurs interventions.
C’est comme la météo : on peut prédire la probabilité de pluie pour une ville, mais il est possible que votre quartier n’ait pas de pluie
, cite-t-il en exemple.
D’autres facteurs à surveiller

Des travailleurs désinfectent une zone résidentielle de Shanghai.
Photo : Reuters / ALY SONG
Il n’y a pas que le climat qui joue un rôle dans la propagation de nouveaux pathogènes, ajoute Cyril Caminade. Il faut aussi tenir compte des aspects de mondialisation, de population, d'utilisation des sols et de biodiversité.
Notamment, la déforestation pousse la faune qui survit vers les centres urbains, ce qui accroît les risques de contacts avec le bétail et les humains. La façon dont on occupe le sol peut créer beaucoup d'opportunités de sauts zoonotiques entre les animaux et les humains
, dit M. Caminade.
La déforestation de la forêt amazonienne aurait notamment contribué à l'émergence des virus Zika et Hendra. Et au Bangladesh, les chauves-souris porteuses du virus Nipah se trouvent de plus en plus dans des zones à forte densité, parce que leur habitat forestier a été défriché.
Les experts observent que l’augmentation de la densification des villes et la multiplication des voyages risquent de poser problème lorsque de nouveaux pathogènes respiratoires, comme la COVID-19, se propageront. Il y a une corrélation assez forte entre la densité de population humaine et le risque de sauts de maladies
, mentionne M. Caminade.
La prévention est cruciale
Neil M. Vora est catégorique : la santé publique et la conservation de l’environnement vont de pair.
Lorsqu’on sauve la nature, nous nous sauvons aussi. Pour prévenir davantage de pandémies, il faut réparer notre partenariat brisé avec la nature.

« Je crois qu’il a fallu cette pandémie pour que les gens comprennent que leur bien-être est intimement lié au bien-être de la nature», dit Neil M. Vora, de Conservation International.
Photo : Conservation International
Le risque de pandémie peut être considérablement réduit en diminuant les activités humaines qui entraînent la perte de biodiversité et les changements climatiques, croit-il.
Dans un essai publié dans Nature (Nouvelle fenêtre), il propose quatre actions pour aider à prévenir l’apparition de nouvelles pandémies :
- Protéger les forêts tropicales et subtropicales afin de réduire les contacts entre les humains et la faune;
- Interdire ou réglementer strictement le commerce d'animaux sauvages vivants;
- Améliorer les soins vétérinaires, l’alimentation et l’hébergement des animaux d’élevage;
- Améliorer la santé et la sécurité économique des personnes à travers le monde.
Le déclenchement d’une épidémie dépend d’une multitude de facteurs. Mais la vulnérabilité d’une population reste l’une des variables les plus importantes, insiste Cyril Caminade. Par exemple, il est moins probable que le paludisme ou le choléra deviennent épidémiques en Europe ou au Canada, puisque leurs habitants ont accès à des systèmes de santé plus efficaces que ceux des pays où ces maladies ont fait des ravages dans les dernières décennies.
Puisque les conditions sont de plus en plus favorables au déclenchement de pandémies, la prévention est la clé, soutiennent les trois experts.
Il faut penser aux moyens de préparer les gens à ces maladies. Comment peuvent-ils s’adapter [à ces nouveaux pathogènes]?
D’ailleurs, selon le rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, réagir aux maladies exclusivement après leur apparition constitue un chemin lent et incertain
, rempli de souffrance.
Selon M. Caminade, lorsque la pandémie de COVID-19 sera terminée, il ne faudra surtout pas baisser la garde.
On a une fenêtre de deux ou trois mois pour agir
lorsqu’on découvre un nouveau pathogène, dit-il. Et ensuite, c'est fini. Il y a quand même toujours ce potentiel d'arrêter la propagation du virus assez tôt, ce qui n'a pas été du tout le cas pendant la pandémie
de COVID-19.