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La gestion de Québec pourrait compromettre la lutte contre les changements climatiques

Le ministère de l'Environnement a prévu consacrer 5,4 milliards de dollars à des mesures dont il n'a pas encore évalué l'efficacité.

Une personne passe en vélo dans la rue. Au loin, de la fumée émane d'une bâtisse.

Le gouvernement du Québec s'est engagé à réduire ses émissions de GES de 37,5 % d'ici 2030 par rapport à leur niveau de 1990.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le gouvernement Legault a beau s'être fixé d'« ambitieux » objectifs pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) et assurer la transition énergétique de la province, d'importantes lacunes dans la gestion de ses ministères pourraient plomber ses efforts.

Appelée à évaluer les différentes mesures mises en place par le gouvernement pour assurer l'atteinte de ses cibles climatiques, la commissaire au développement durable, Janique Lambert, a constaté que Québec ne gérait pas de manière efficace et efficiente le Fonds d’électrification et de changements climatiques.

L'ancien Fonds vert – rebaptisé en octobre 2020 lors de la réforme de la gouvernance de la lutte contre les changements climatiques – est le deuxième en importance parmi les fonds spéciaux du gouvernement du Québec. C'est en pigeant dans ce fonds que Québec finance son Plan pour une économie verte 2030, qui doit contribuer à l'atteinte des cibles de réduction des GES.

Rappelons que le gouvernement entend réduire d'ici 2030 les émissions de GES de 37,5 % par rapport à leur niveau de 1990.

Mais voilà que le MELCC a destiné 80 % des dépenses prévues au Fonds – soit 5,4 milliards des 6,7 milliards de dollars pour la période 2021-2026 – à des mesures du Plan d'action 2013-2020 reconduites dont il n'a pas préalablement évalué la performance, note la commissaire Lambert dans son rapport, déposé mercredi matin à l'Assemblée nationale.

[Le ministère] n’est pas en mesure de suivre la performance des actions financées par le Fonds et l’atteinte des objectifs du Plan pour une économie verte 2030.

Une citation de Janique Lambert, commissaire au développement durable

Bien qu'il se soit engagé à analyser l'efficacité de ces mesures, le ministère ne l'a toujours pas fait et persiste à y engager des sommes considérables, peut-on y lire. En tardant à mener cette évaluation, le ministère ne peut donc pas faire les ajustements nécessaires pour s'assurer que ces actions portent réellement fruit.

En point de presse, la commissaire a donné l'exemple du programme ÉcoPerformance, qui finance des projets pour limiter la consommation énergétique des entreprises. Le gouvernement a reconduit ce programme en investissant de l'argent supplémentaire et en conservant sa cible de 2020, alors que celle-ci n'avait été atteinte qu'à 53 %.

Déjà, dans le plan d'action, ça ne rencontrait pas les objectifs. Et là, on reconduit les mêmes actions en espérant atteindre une réduction [des émissions de GES] supplémentaire, illustre-t-elle.

Une femme qui porte des lunettes répond aux questions des journalistes.

La commissaire au développement durable, Janique Lambert, a présenté son rapport à Québec.

Photo : Radio-Canada

Mme Lambert n'était toutefois pas en mesure de préciser si des sommes d'argent ont été gaspillées en cours de route.

À savoir s'il est trop tard pour que le gouvernement atteigne ses cibles, la commissaire n'a pas voulu s'avancer. Je crois qu’il faut vraiment que [le gouvernement] s’assure que chacun des plans de mise en œuvre à venir [comporte] les bonnes actions pour y arriver, a-t-elle déclaré.

Mis au fait des conclusions de la commissaire, le ministre de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, a affirmé que le dernier plan déposé par le gouvernement comprenait des ajustements. Le rapport de Mme Lambert est une photo qui date du 1er avril 2021, donc qui n'est plus à jour aujourd'hui, s'est-il défendu.

Le risque de ne pas atteindre les cibles

Outre le MELCC, le ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles (MERN) a lui aussi été écorché pour l'inefficacité de la mise en œuvre de la Politique énergétique 2030. La commissaire a constaté une série de lacunes qui risquent de compromettre la transition énergétique du Québec.

La commissaire note que le MERN n'est pas à même de faire le suivi des mesures déployées dans le cadre de sa Politique énergétique 2030, ce qui met à risque l’atteinte de ses objectifs.

Selon la commissaire, le MERN n'assure pas d'évaluation des progrès réalisés pour chacune des cinq cibles que le gouvernement s'est engagé à atteindre d'ici 2030.

Cinq objectifs pour 2030

  • Améliorer de 15 % l’efficacité avec laquelle l’énergie est utilisée;
  • Réduire de 40 % la quantité de produits pétroliers consommés;
  • Éliminer l’utilisation du charbon thermique;
  • Augmenter de 25 % la production totale d’énergies renouvelables;
  • Augmenter de 50 % la production de bioénergie.

Le ministère n'est pas non plus en mesure [...] de dresser un portrait complet de la progression de la mise en œuvre du plan directeur, dont les résultats accusent du retard, a souligné Mme Lambert.

Ce sont pourtant plusieurs milliards de dollars de fonds publics qui seront injectés dans la politique de transition énergétique du Québec. En échouant à mener un suivi rigoureux, le ministère ne détient donc pas toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées, estime la commissaire au développement durable.

Depuis l'entrée en vigueur de la politique de transition énergétique, en 2016, les émissions de GES découlant de la consommation d'énergie par habitant sont à la hausse, selon le rapport.

Peu de suivi de l'impact des sels de voirie

Le dossier des sels de voirie, utilisés pour entretenir les routes glacées l'hiver et minimiser la poussière l'été, est un autre exemple de la mise en place de stratégies dont le gouvernement peine à assurer le suivi.

Malgré l'adoption d'une Stratégie québécoise pour une gestion environnementale des sels de voirie en 2010, le ministère des Transports du Québec (MTQ), qui est responsable de sa mise en œuvre, ne peut toujours pas, à ce jour, assurer qu'il fait tout en son possible pour limiter les effets de ces sels sur l'environnement.

Une fois répandus sur les routes, les sels de voirie finissent par être évacués de la chaussée, où ils peuvent gagner les cours d'eau et compromettre la santé des lacs et des rivières. La faune et la flore s'en trouvent affectées.

Au Québec, le gouvernement confie l'entretien hivernal d'environ 80 % du réseau routier à des sous-traitants. Ceux-ci se retrouvent sous la responsabilité du MTQ. Or, le ministère ne connaît pas les pratiques d'épandage de ses sous-traitants, et n'a donc pas idée des répercussions de ces techniques sur l'environnement, résume la commissaire.

Mme Lambert a observé que les contrats signés par ces sous-traitants comprenaient peu d'exigences quant aux meilleures pratiques d'épandage. Le ministère ne les encourage pas non plus à prendre connaissance des effets négatifs des sels de voirie.

Un camion étend du sel sur la chaussée.

Le ministère des Transports du Québec ne peut assurer que ses actions pour limiter les dommages de l'épandage de sels de voirie sont efficaces, selon la commissaire Janique Lambert.

Photo : iStock

Selon moi, la gestion des impacts environnementaux, c'est l'affaire du gouvernement. L'entrepreneur, lui, a surtout des exigences de résultat, juge Étienne Morin, président Vision Météo et chargé de cours en mobilité durable à l’Université de Sherbrooke.

M. Morin n'a pas été surpris par les conclusions de la commissaire. Au cours de ses 20 ans d'expérience dans le domaine, il a été appelé à donner de la formation à des sous-traitants du ministère, dont une bonne part d'entrepreneurs auprès desquels il en est venu à tirer des constats similaires.

L'exigence, c'est un peu : débrouille-toi, moi je ne veux pas savoir comment tu procèdes. On ne veut juste pas d'accident sur la route, poursuit-il. Et pour ne pas avoir d'accident, qu'est-ce qu'on fait? On met du sel. Et on met de plus en plus de sel!

Or, l'épandage massif de sel de voirie n'est pas la solution, selon M. Morin. Il suffit savoir l'utiliser au bon moment, sans quoi la chaussée devient rapidement mouillée et on aggrave la sécurité, précise-t-il.

On met le bras dans le tordeur systématiquement. On veut mettre du sel pour sécuriser, mais en réalité, on crée un risque.

Une citation de Étienne Morin, président Vision Météo et chargé de cours en mobilité durable à l’Université de Sherbrooke

Et même si des techniques ont été développées lors de projets pilotes afin de minimiser les répercussions de l'épandage de sel de déglaçage sur l'environnement, le ministère tarde à y avoir recours, selon la commissaire Lambert.

D'autres options moins dommageables pour l'environnement existent – quoique coûteuses et plus complexes. M. Morin évoque le grattement de la chaussée ou la technique de préhumidification, qui consiste à injecter un liquide pour déclencher l'action du sel lorsque l'air est trop sec.

À l'instar de la commissaire au développement durable, l'entrepreneur rappelle que les changements doivent venir d'en haut. Le MTQ, insiste-t-il, devrait prêcher par l'exemple.

Au cours des cinq dernières années, 775 000 tonnes de sels ont été utilisées sur le réseau routier du MTQ. Pour la période 2020-2021, l'entretien hivernal des routes a coûté 339 millions de dollars, dont 57 millions pour les sels de voirie.

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