Plus de Canadiens reçoivent un diagnostic de cancer à un stade avancé
Cliniques fermées et arriérés de dépistage du cancer ont conduit certains patients à recevoir leur diagnostic dans les urgences des hôpitaux

Au fil des mois en 2020, Cheryl-Anne Labrador-Summers a eu du mal à comprendre pourquoi elle continuait à avoir des crampes d'estomac inexpliquées, car elle ne pouvait pas obtenir de rendez-vous en personne pendant la pandémie. Au début de l'année suivante, elle apprend qu'elle a un cancer.
Photo : Radio-Canada / Oussama Farag/CBC News
Davantage de Canadiens risquent de recevoir des diagnostics de cancer à des stades avancés en raison des retards de dépistage accumulés durant la pandémie. Plusieurs professionnels de la santé remarquent déjà des effets, sur le terrain.
Tout a commencé avec une douleur à l’estomac. C’est en tout cas ce que pensait Cheryl-Anne Labrador-Summers. C’était en octobre 2020, peu de temps après avoir déménagé dans une paisible communauté ontarienne de Georgina, au bord du lac.
La mère de trois enfants avait des crampes inexpliquées à l’estomac. Elle a alors tenté de rendre visite à son médecin de famille, mais le bureau était fermé en raison de la pandémie. Elle a donc cherché une autre clinique.
Il lui a toutefois été impossible de recevoir autre chose qu’un rendez-vous téléphonique plutôt qu’une évaluation en personne. Elle a fini par se faire dire que ses crampes étaient probablement causées par une légère maladie gastro-intestinale.
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En janvier, la femme de 58 ans, avait le ventre gonflé, comme si elle était enceinte d’environ neuf mois
, selon ses propres mots. Une fois encore, elle a contacté un médecin, est allée faire des tests, puis s’est dirigée vers le service d’urgence le plus proche de chez elle.
Après avoir finalement vu un médecin en personne pour la première fois depuis des mois, elle a enfin appris la véritable cause de son inconfort : une occlusion intestinale causée par un cancer.
« Cela a fini par être une tumeur de neuf centimètres, et cela avait complètement bloqué mon intestin inférieur. »
Chery-Anne Labrador-Summers a subi une intervention chirurgicale d’urgence. Elle a reçu 55 agrafes le long de son ventre et une convalescence de plusieurs mois avant de pouvoir commencer une chimiothérapie orale.
Cette épreuve aurait-elle pu être évitée, ou du moins minimisée, par un diagnostic antérieur? C’est la question qu’elle se pose désormais, sans avoir pu obtenir de réponse.
Si j’avais pu voir les médecins plus tôt, je ne serais pas arrivée au stade 3, j’aurais été au stade 2
, croit-elle.
951 000 dépistages de cancer en moins en Ontario
Davantage de Canadiens pourraient connaître un diagnostic de cancer à un stade avancé dans les années à venir, préviennent des experts médicaux. Ils prévoient une crise imminente en raison de la pandémie.
Nous nous attendons à voir des stades de cancer plus avancés au cours des deux prochaines années, ainsi que des impacts sur les traitements contre le cancer
, explique l’oncologue Dr Timothy Hanna, chercheur clinicien à l’Institut de recherche sur le cancer de l’Université Queen’s à Kingston.
« Nous savons que le temps presse pour les personnes atteintes de cancer. Lorsque les gens attendent un diagnostic ou un traitement, cela crée des risques accrus de stade avancé et conduit à une chance de survie plus faible. »
Un examen des programmes de dépistage du cancer du sein, du poumon, du côlon et du col de l’utérus en Ontario a montré qu’en 2020, il y avait 41 % moins de tests de dépistage par rapport à l’année précédente. Cela représente plus de 951 000 tests de moins.
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La Dre Anna N. Wilkinson, professeure adjointe au département de médecine familiale de l’Université d’Ottawa écrit dans un article de mai pour la revue Le Médecin de famille canadien, que cette baisse des dépistages s’est traduit par moins de diagnostics de cancer invasif, dont environ 1400 à 1500 cancers du sein.
L’impact de la COVID-19 sur le dépistage des cancers est considérable : arriérés de dépistage, bilan retardé des patients symptomatiques et résultats de dépistage anormaux et retards dans le traitement et la recherche contre le cancer. Tous, exacerbés par l’appréhension des patients d’être vus en personne.
Difficile d’accéder aux soins en temps opportun
Le ralentissement des coloscopies pourrait déjà entraîner des cas plus graves de cancer colorectal en Ontario, suggère un article publié dans le Journal de l’Association canadienne de gastroentérologie.
Les patients qui ont été traités après le début de la pandémie de la COVID-19 étaient beaucoup plus susceptibles de se présenter d’urgence à l’hôpital. Cela signifie qu’ils étaient plus susceptibles de présenter une perforation intestinale ou une occlusion intestinale grave, nécessitant une intervention chirurgicale vitale immédiate
, explique l’auteure principal de l’étude, Dre Catherine Forse.
Les médecins ont aussi constaté que les patients étaient plus susceptibles d’avoir de grosses tumeurs. La plupart du temps, ces révélations ont eu lieu dans des services d’urgence hospitalières plutôt que dans les services médicaux ordinaires, comme les médecins de famille.
La Dre Lisa Salamon, médecin urgence au Réseau de santé de Scarborough à Toronto, indique qu’elle a aussi donné des diagnostics de cancers graves à plusieurs patients, dont plusieurs au cours des derniers mois.
« Maintenant, nous voyons des cancers déjà en phase de métastases. »
Leçons pour les futures pandémies
L’experte en politique de santé, Laura Greer, est elle-même aux prises avec un cancer du sein métastatique. Elle a dû attendre plus de cinq mois pour une mammographie de routine qu’elle devait initialement subir au printemps 2021. Il s’agissait d’une mesure de précaution étant donné que sa mère a également eu un cancer du sein.
Contrairement à un diagnostic à un stade précoce, le cancer de Laura Greer est seulement traitable, pas curable. 'C'est un exemple de ce qui se passe lorsque vous n’avez pas le dépistage régulier ou ces visites de bien-être
, dit la mère de deux enfants.
« J’aurais probablement eu un cancer à un stade précoce si cela avait été vu plus tôt. »
Elle espère que les décideurs politiques y penseront lors des futures pandémies. Nous devons nous assurer que nous avons suffisamment de capacité dans notre système de santé pour pouvoir nous adapter
, dit-elle.
Pour Cheryl-Anne Labrador-Summers, il est difficile d’oublier le moment où sa vie a changé. C’était dans un service d’urgence, lorsqu'un médecin qu’elle venait tout juste de rencontrer lui a dit son diagnostic. Elle se rappelle avoir pensé à l’avenir et à sa famille.
Mon fils aîné venait de nous dire qu’il attendait un enfant et je voulais juste être là pour eux. Je ne savais pas quelles étaient les prochaines étapes. Nous avions perdu ma mère à cause d’un cancer quelques années plus tôt, pour nous le cancer était toujours en phase terminale
, se souvient-elle.
Un dépistage après la chirurgie et le traitement de chimiothérapie a dévoilé plus de cancer. C’est maintenant mortel
, conclut-elle, les larmes aux yeux.