Élever ses vaches comme des bisons pour s’adapter aux changements climatiques
L'Alberta a connu une importante pénurie de fourrage, l'hiver dernier.

Les vaches du ranch Round Rock changent de pâturage plusieurs fois par semaine. La taille de l'enclos varie, mais peut mesurer autant que plusieurs terrains de football.
Photo : Radio-Canada / François Joly
Une technique d’élevage qui s’inspire du comportement des bisons sauvages permet de retenir plus d’eau dans le sol et de favoriser l'absorption du carbone. Des chercheurs et des agriculteurs croient qu’elle permet d’accroître la résistance des sols face aux changements climatiques.
Au ranch Round Rock, au sud-est d’Edmonton, les vaches changent de lieu presque quotidiennement, plutôt que d’être laissées à elles-mêmes pendant plusieurs semaines.
Elles occupent une série de plus petits espaces, dont la taille varie entre un demi et dix acres. Les pâturages traditionnels sont, à l’opposé, composés d’un seul enclos dont la superficie peut être de plusieurs centaines d’acres.
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Cette technique, qu’on appelle le pâturage tournant dynamique, force les vaches à brouter une plus grande variété de plantes, plutôt que de consommer uniquement les jeunes pousses d’herbe dont elles sont friandes.
C’est comme quand on dit à quelqu'un qu’il doit manger ses légumes avant de sortir de table
, explique le propriétaire, Sean McGrath. Plusieurs fois par semaine, il ouvre un corridor entre deux sections de sa terre. Les vaches ne perdent généralement pas de temps à s’y précipiter en quête d’herbe plus verte.

Sean McGrath est un éleveur de cinquième génération. Le ranch Round Rock a été fondé en 1906.
Photo : Radio-Canada / François Joly
La rotation des pâturages donne à l’herbe le temps de grandir davantage et de développer des racines plus profondes. Combinée à un piétinement moins long, mais plus intense par le bétail, cette croissance additionnelle aide à l’accumulation de matière organique, à l’infiltration d’eau et à l’absorption de carbone par le sol.
Le bétail broute aussi l’herbe de façon plus égale, ce qui limite la propagation des mauvaises herbes. Cette méthode permet surtout aux autres secteurs du ranch de se régénérer. Le temps de récupération est en fait la partie la plus importante de ce processus
, précise Sean McGrath.
C’est le père de ce dernier qui a adopté la pratique dans les années 1980. À l’époque, le concept était pratiquement inconnu en Alberta. Le pari a cependant été payant. Selon Sean McGrath, la production d’herbe de son ranch a doublé grâce aux pâturages tournants dynamiques.
Nous ne pourrions pas nous permettre de revenir en arrière.
Les bénéfices sont multiples, malgré les coûts et le travail supplémentaires que cela représente, confirme Stephen Smith, propriétaire de la ferme Speedwell, près de Red Deer. Depuis qu’il a adopté cette pratique, il y a une vingtaine d’années, ses vaches peuvent être laissées en liberté beaucoup plus tard dans l’année.
Au lieu d’avoir à les nourrir en octobre, en novembre et en décembre, on peut les laisser paître jusqu’au début de l’hiver.
Le fait de ne pas dépendre autant de réserves de fourrage ou de moulée est un avantage considérable. L’hiver dernier, les Prairies ont été frappées par une importante pénurie de foin pour nourrir le bétail.
S’inspirer des bisons
Le déplacement fréquent des vaches et la plus grande densité d’animaux permettent de simuler en partie l’effet d’un troupeau de bison sauvage. L’écosystème des prairies a évolué en symbiose avec les dizaines de millions de bisons qui parcouraient autrefois le centre de l’Amérique du Nord.

Les bisons du parc national Elk Island sont parmi les derniers troupeaux de bison à l'état sauvage.
Photo : Radio-Canada / François Joly
Vous aviez des millions de bêtes qui mangeaient pratiquement toute l’herbe, mais celle-ci avait beaucoup de temps pour grandir à nouveau
, précise Sean McGrath.
Les bisons avaient un rôle très important dans l’enrichissement du sol
, explique le chercheur postdoctoral Timm Döebert, de l'Université de l'Alberta. Celui-ci a étudié l’impact des pâturages tournants dynamiques sur l’infiltration d’eau dans le sol.

Timm Döbert explique que les prairies peuvent servir de puits de carbone à long terme.
Photo : Radio-Canada / François Joly
Ces recherches montrent que cette méthode d’élevage permet au sol d’absorber l’eau 30 % plus facilement. La couche d’eau de matière organique est aussi plus épaisse, ce qui permet de retenir l’humidité et les nutriments.
S’adapter aux changements climatiques
L’été dernier, nous n’avons pas eu de pluie et il a fait 45 degrés pendant deux semaines
, raconte Sean McGrath. Il croit que le mode de fonctionnement de son ranch lui permet de mieux supporter les phénomènes météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques.
On ajoute de la résilience dans le système plutôt que de chercher à être toujours efficace à 100 %.
Le pâturage tournant permet en plus au sol d’absorber une plus grande quantité de carbone. Timm Döbert rappelle que, contrairement aux forêts, ce carbone est stocké sous terre. Le risque, c’est que le nombre de feux de forêt continue d’augmenter. C’est beaucoup plus sécuritaire d’entreposer ce carbone sous terre
, ajoute-t-il.

Les vaches préfèrent les jeunes pousses d'herbe aux foins secs ou aux mauvaises herbes.
Photo : Radio-Canada / François Joly
Il n’existe pas de recensement précis du nombre d’exploitations agricoles qui emploient le pâturage tournant dynamique. Environ 80 % des éleveurs utilisent un certain niveau de rotation, mais une minorité le fait au même niveau que Sean McGrath et Stephen Smith. Timm Döbert, estime qu’entre 5 % et 10 % des fermes d’élevage albertaines en font usage.
Il croit que les gouvernements pourraient un jour offrir des crédits carbone aux agriculteurs pour les encourager à adopter cette méthode.