Les adversaires du gaz de schiste prêts à reprendre le combat dans le comté de Kent
Ceux qui ont freiné le gaz de schiste il y a 10 ans préviennent qu'ils attendent l'industrie de pied ferme.

Denise Melanson, porte-parole francophone de l'Alliance anti-gaz de schiste du Nouveau-Brunswick.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
La levée possible du moratoire sur la fracturation hydraulique ne passe pas inaperçue dans le comté de Kent. Des intervenants assurent que l’industrie gazière sera accueillie de pied ferme si Blaine Higgs lui ouvre la porte.
Il y a une dizaine d’années, cette région du Nouveau-Brunswick était le théâtre d’un important mouvement de contestation contre la fracturation hydraulique. La porte-parole francophone de l’Alliance anti-gaz de schiste du Nouveau-Brunswick, Denise Melanson, était sur les lignes de front.
Depuis, le temps a passé. Un moratoire a été imposé par les libéraux, en 2014, peu après leur arrivée au pouvoir.
À l’instar de bon nombre d’autres militants, Denise Melanson est restée sur ses gardes.
Je pense que dans le cœur des gens qui y ont participé — et il y en avait des 1000 et des 1000 et des 1000 — c’est pas disparu. Mais on avait une période de tranquillité où on n'avait pas à se lever le matin et dire: OK, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui pour arrêter ça
, explique-t-elle chez elle à Jardineville, près de Rexton.
L'Ukraine comme excuse
Denise Melanson est déçue d’entendre le premier ministre Higgs dire qu’il veut réexaminer le moratoire sur la fracturation hydraulique.
Déçue, mais pas surprise.
Moi, je pense qu’ils n’ont jamais pas voulu le faire [le moratoire], qu’il fallait trouver les bonnes circonstances et le bon moment pour essayer de le relancer. Ils ont l’excuse maintenant de la guerre [en Ukraine], du prix du gaz, et ta-ta-ta
, déclare-t-elle.

Denise Melanson pense que le comté de Kent se mobilisera si l'industrie gazière tente de revenir dans la région.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Elle se dit qu’elle et ses collègues devront peut-être éventuellement repartir sur la route afin de convaincre la population qu’elle perdrait au change si l’industrie gazière venait forer des puits dans la région.
Il y a quand même beaucoup de jeunes aujourd’hui qui n’ont pas vécu tout ça et qui n’ont pas la même compréhension de ce que ça représente, de ce que ça fait une industrie comme celle-là dans ta communauté, si ces gens-là arrivent un jour.
Cette retraitée, qui mène un petit train de vie tranquille à deux pas de la rivière Richibucto, a cependant du mal à croire que l’industrie gazière effectue un jour un retour dans le comté de Kent, vu l’opposition à laquelle elle a fait face il y a quelques années.
En général, tu ne peux pas aller quelque part où les gens ne veulent vraiment pas de toi et de t’imposer! C’est ça qu’ils ont fait la dernière fois.
"Voulez-vous, voulez-vous pas, on vient!" Puis ça a vraiment mal tourné. Moi, j’espère qu’ils ne vont pas revenir
, dit-elle.
Mme Melanson a encore ses pancartes contre la fracturation hydraulique et assure qu’elle n’hésitera pas à les ressortir au besoin.
Je savais que ça allait revenir. Je le savais
, dit-elle en riant.
Si on a à le faire, j’ai mes pancartes et je les sors
Sa consœur Nicole Richard a milité à ses côtés à l’époque. Cette résidente de Saint-Louis-de-Kent a depuis pris ses distances en raison de problèmes de santé.

Nicole Richard, de Saint-Louis-de-Kent, a participé activement à la contestation il y a quelques années. Elle est prête à ressortir ses pancartes au besoin.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Mais elle est toujours opposée à la fracturation hydraulique et a encore ses pancartes.
Elle en a d’ailleurs des dizaines dans son garage.
Dans ma tête, ça n’allait pas juste servir pour du recyclage. Si on a à le faire, j’ai mes pancartes et je les sors et ça ne va pas prendre de temps
, dit-elle.
Comme Denise Melanson, elle ne voyait pas le moratoire comme la fin de l'histoire. Elle croit que le mouvement de contestation va renaître dans le comté de Kent si l’industrie gazière décide de relancer l'exploration.
Il y a quelqu’un qui m’a dit : moi, je savais que dans le comté de Kent, le monde est têtu. S’il y a quelque chose qui s’est mis dans la tête, ils ne vont pas l’oublier. Et ce ne sera peut-être pas Nicole Richard qui va se lever comme qu’elle s’est levée. Mais je suis convaincu qu’il y aura d’autres choses.
Elle note que les liens qui ont été tissés entre les militants anglophones, francophones et autochtones sont toujours là et qu’ils faciliteront les choses lors d’une éventuelle reprise de la contestation à grande échelle.
Je me dis qu’on a appris beaucoup. On a aussi créé des amitiés avec les gens [de la communauté autochtone) d’Elsipogtog, par exemple, et avec les anglophones. [...] Ce sont des choses qui ont pris du temps à se développer. Mais là, c’est fait.
S’il veut faire ce processus, il doit nous consulter et passer par nous
Alex Levi a été témoin des tensions et de la contestation, il y a quelques années.
Ce membre de la communauté mi'kmaw d'Elsipogtog est aujourd'hui coordonnateur de la table ronde sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination de Kopit Lodge.

Alex Levi est le coordonnateur de la table ronde sur la reconnaissance des droits autochtones et l’autodétermination de Kopit Lodge.
Photo : Radio-Canada / Pascal Raiche-Nogue
Cette organisation vouée à la défense des droits autochtones été créée dans la foulée de la contestation anti-fracturation hydraulique dans la région.
Alex Levi explique que la communauté n'a pas oublié la façon dont le gouvernement provincial a géré ce dossier du gaz de schiste à l'époque.
Ça a mis en lumière le manque de consultation, le manque d’engagement, la piètre reconnaissance des droits et le mauvais traitement des Autochtones du Nouveau-Brunswick
, dit-il.
Sa communauté n'a pas oublié non plus la façon dont certains de ses membres ont été traités en octobre 2013, lors d'une intervention musclée de la GRC pour déloger des manifestants qui tentaient de freiner l’industrie gazière.
Quand c’est arrivé, ça a donné un goût amer aux gens ici. C’est très troublant. Si vous voulez relancer cette conversation , vous allez marcher sur des œufs. De nombreuses personnes ont été blessées et souffrent encore.
Selon lui, si le premier ministre Blaine Higgs veut permettre le retour de l'industrie dans la région, il devra consulter les communautés autochtones avant de prendre quelque décision que ce soit.
S’il ouvre cette porte, d’accord. Nous serons là pour l’attendre. Et il doit comprendre qu’à titre de détenteurs de droits, nous n’allons pas le laisser faire ce qu’il veut. Ce sont nos terres, ce sont nos ressources. Nous avons des droits et des titres. S’il veut faire ce processus, il doit nous consulter et passer par nous
, explique-t-il.