La Cour suprême maintient la peine d’Alexandre Bissonnette à un minimum de 25 ans

Alexandre Bissonnette pourra faire une demande de libération conditionnelle après avoir passé 25 ans derrière les barreaux. (Archives)
Photo : La Presse canadienne / Mathieu Bélanger
Les peines consécutives sont inconstitutionnelles, même pour les pires meurtriers, tranche la Cour suprême. Le tueur de la grande mosquée de Québec condamné à la prison à vie pourra donc faire une demande de libération conditionnelle après 25 ans.
« Une douche froide » pour les familles des victimes.
Dans une décision unanime rendue vendredi, le plus haut tribunal au pays rejette la demande de la poursuite dans le dossier d'Alexandre Bissonnette, qui a tué six fidèles réunis au Centre culturel islamique de Québec le soir du 29 janvier 2017.
La décision ne doit pas être perçue comme une dévalorisation de la vie de chacune des victimes innocentes. Tous conviennent que les meurtres multiples sont des actes intrinsèquement ignobles
, prend soin de préciser le juge en chef, Richard Wagner, qui a rédigé le jugement.
La Cour suprême invalide la disposition du Code criminel, adoptée par le gouvernement Harper en 2011, qui permet d'additionner les peines dans le cas de meurtres multiples.
Douche froide
Le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec (CCIQ) a qualifié le jugement de douche froide
.
On espérait que ce genre de tuerie soit pénalisée à sa juste valeur, mais la Cour suprême s'est prononcée et on va respecter ça
, a commenté Boufeldja Benabdallah.
Résigné, il a dit penser aux familles des victimes qui ont le droit d'être très tristes, aujourd'hui
, tout en ajoutant que la page pourra maintenant être tournée.
Cette décision est rétroactive. Elle s'appliquera donc aux autres meurtriers condamnés à des peines consécutives, dont l'auteur de la tuerie de Moncton, Justin Bourque, qui purge en ce moment une peine de prison à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 75 ans.
Dans son jugement, le juge Wagner note que l'article 745.51 permet d'imposer une sentence qui dépasse l'espérance de vie, une peine dont l’absurdité est de nature à déconsidérer l’administration de la justice
, écrit-il.

Le cofondateur du Centre culturel islamique de Québec Boufeldja Benabdallah en entrevue avec l’animateur du Téléjournal Québec, Bruno Savard.
Photo : Radio-Canada
Capacité de s'amender
Cette disposition du Code criminel est déclarée inopérante, puisqu'elle contrevient à l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés interdisant les peines cruelles et inusitées
.
« De telles peines sont de nature dégradante, et donc contraires à la dignité humaine, puisqu’elles retirent aux contrevenants toute possibilité de réinsertion sociale, ce qui présuppose, de manière finale et irréversible, que ces derniers ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société. »
La Cour suprême cite une étude sur l’espérance de vie des détenus, qui décèdent de causes naturelles en moyenne à l'âge de 60 ans, nettement sous la moyenne nationale de 81 ans.
Le plus haut tribunal au pays estime que le Parlement doit laisser la porte ouverte à la réhabilitation pour respecter la dignité humaine, même dans les cas où cet objectif revêt une importance minime
.
Lueur d'espoir
L'avocat de Bissonnette s'est dit très satisfait
du jugement. Me Charles-Olivier Gosselin, du Bureau d'aide juridique de Québec, a pu en parler avec son client et ses parents.
Ils sont soulagés, c'est une lueur d'espoir qui est envoyée aujourd'hui à M. Bissonnette
, a confié Me Gosselin.
Comme la Cour d'appel l'avait fait, la Cour suprême a examiné la décision du juge de première instance, François Huot, qui avait imposé à Bissonnette 40 ans de réclusion, minimalement.
« L’infliction d’une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération conditionnelle avant 75, 100, 125, voire 800 ans, la conclusion s’impose d’elle-même. L’individu est condamné à mourir en prison, privé de toute possibilité de regagner un jour une partie de sa liberté. »
La Cour suprême estime également que le juge Huot a outrepassé les limites de ses fonctions judiciaires
en s'éloignant des fourchettes de 25 ans prévues par le Code criminel.
Déçu, il va prier
Résigné, Aymen Derbali s'attendait à une telle décision de la Cour suprême et s'y était préparé psychologiquement.
En fauteuil roulant depuis la tuerie, le survivant a senti le besoin de se rendre à l'endroit même où Alexandre Bissonnette lui a tiré dessus, à sept reprises.
Je suis venu à la mosquée, puis ça m'a aidé à apaiser cette déception, le fait de prier
, a confié M. Derbali à Radio-Canada.
Crimes horribles
Le juge en chef de la Cour suprême s'en remet donc à la Commission des libérations conditionnelles en rappelant que l’expérience montre que la Commission procède généralement avec soin et prudence avant de prendre une décision aussi importante que celle de remettre en liberté des meurtriers multiples
.
« L’admissibilité à la libération conditionnelle n’est pas un droit à la libération conditionnelle. »
Le juge Wagner écrit aussi que Bissonnette a commis des crimes horribles, qui ont endommagé notre tissu social. Motivé par la haine, il a enlevé la vie à six victimes innocentes et causé des séquelles physiques et psychologiques graves, voire permanentes, aux survivants de la tuerie
.
Peu importe l'atrocité des gestes, le tribunal en vient à la conclusion que l’horreur des crimes ne nie pas la proposition fondamentale que tous les êtres humains portent en eux la capacité de se réhabiliter
.
Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) qui avait demandé de pouvoir imposer des peines consécutives n'a pas voulu commenter la décision, se limitant à une déclaration sans répondre aux questions des journalistes.
Pas admissible avant 2042
Durant son allocution, le procureur en chef du bureau de Québec, Me Daniel Bélanger, a rappelé que la peine imposée en était une à perpétuité.
Si jamais Bissonnette obtenait une libération, il serait soumis à des conditions strictes et à la surveillance d'un agent de libération conditionnelle jusqu'à la fin de ses jours
, a insisté le procureur en chef.
Cette perspective demeure quand même la plus grande crainte des familles des victimes, assure le président du CCIQcroiser le tueur de leur père dans les rues de Québec
, déplore-t-il.
Alexandre Bissonnette, maintenant âgé de 32 ans, pourra faire une demande de libération conditionnelle en 2042. Il aura alors 52 ans.