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L’incorporation des médecins se fait au détriment de la population, dénonce l’IRIS

Un médecin écrit des notes dans le dossier d'un patient qu'on voit dans un lit d'hôpital en arrière-plan.

Près de 15 000 médecins ont incorporé leur pratique médicale en 2021.

Photo : Shutterstock / Xixinxing

Une chercheuse de l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS) estime que l'incorporation des médecins, qui leur confère de nets avantages fiscaux, prive la société québécoise de revenus importants.

Dans une lettre ouverte transmise à Radio-Canada en marge d'une étude sur les groupes de médecine de famille (GMF), qui sera publiée jeudi, la chercheuse Anne Plourde déplore les coûts élevés, pour la population, de la pratique médicale qui permet aux médecins d'exercer au sein d’une société par actions ou d’une société en nom collectif à responsabilité limitée.

Instaurée il y a une quinzaine d'années, l'incorporation permet notamment aux médecins de bénéficier du taux d'imposition des petites entreprises – beaucoup plus bas que les particuliers jouissant de revenus élevés –, de reporter à une année ultérieure certains revenus imposables ou de fractionner les revenus de dividendes entre des membres de leur famille désignés comme actionnaires.

Les économies d’impôt réalisées par les médecins sont autant de pertes pour le trésor public, qui se voit ainsi privé d’une partie des moyens nécessaires pour financer les services à la population, y compris les services de santé et les services sociaux, écrit la chercheuse.

« Le développement de cette "médecine inc." est très profitable pour les médecins sur le plan fiscal, mais il se fait au détriment du reste de la population. »

— Une citation de  Anne Plourde, chercheuse à l'Institut de recherche et d'informations socioéconomiques

Son diagnostic est le même que celui posé par la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2016. Alors dans l'opposition, la formation de François Legault voulait mettre fin à l'incorporation des médecins, faisant valoir que le cadre fiscal privait l'État québécois de 150 millions de dollars qui pourraient plutôt être alloués à l'amélioration du financement des soins à domicile dans la province.

Six ans plus tard, le constat est d'autant plus marqué que le nombre de médecins s'étant tournés vers l'incorporation est en hausse continuelle, au point d'atteindre désormais 60 % d'entre eux, souligne Anne Plourde, sur la foi de données obtenues du Collège des médecins en vertu d’une demande d’accès à l’information.

Pour la première fois, la proportion totale a cependant baissé l'an dernier, selon les chiffres fournis par le Collège des médecins.

La proportion de médecins ayant opté pour ce cadre fiscal atteint spécifiquement 53 % chez les omnipraticiens et 67 % chez les médecins spécialistes.

L'an dernier, 14 781 médecins, soit 8624 médecins spécialistes et 6157 médecins de famille, ont choisi d'incorporer leur pratique, indique la chercheuse. Elle note cependant que la croissance depuis 2014 est plus marquée chez les médecins de famille.

Des pertes dépassant 250 millions $, selon l'IRIS

La chercheuse déplore, malgré des demandes d’accès à l’information, que le ministère des Finances du Québec refuse (ou [soit] incapable) de quantifier les pertes en revenus fiscaux pour le gouvernement (et les bénéfices pour les médecins).

Évoquant le chiffre avancé il y a quelques années par la CAQ, Anne Plourde affirme que la seule estimation fournie par le ministère est une référence à un article de 2014, qui évaluait les économies d’impôt à 20 000 $ par année en moyenne pour les médecins spécialistes incorporés et à 13 000 $ pour les omnipraticiens. Dans les documents obtenus, le ministère des Finances précisait en 2017 que les pertes fiscales de 150 millions de dollars évoquées englobaient celles des gouvernements du Québec et du Canada.

On peut présumer que les pertes fiscales attribuables à l'incorporation des médecins s'élèvent désormais à 252,5 millions de dollars pour les deux ordres de gouvernement, soit 172,5 millions pour les médecins spécialistes et 80 millions pour les omnipraticiens, écrit-elle, selon des projections à partir des estimations moyennes de 2014.

Si la chercheuse reconnaît que ces chiffres pourraient être moins élevés en raison des modifications apportées en 2018 par le fédéral au régime fiscal, elle estime plutôt qu'ils sont probablement largement sous-estimés. Les augmentations considérables à la rémunération médicale sont susceptibles d'avoir gonflé substantiellement les pertes fiscales, écrit-elle.

Le cadre fiscal pour l'incorporation des médecins a été instauré en 2007 par le gouvernement libéral de Jean Charest, lorsque Philippe Couillard, un médecin, était ministre de la Santé.

Grâce à la bonification des conditions de travail et de la rémunération, Québec espère de manière générale améliorer la prise en charge des patients.

L'accès aux soins s'annonce d'ailleurs un thème important pour les élections d'octobre prochain, surtout après deux ans de pandémie.

Au début du mois, le gouvernement Legault a conclu une entente de principe avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) pour améliorer l’accès à la première ligne.

En mars, le ministre de la Santé et des Services sociaux Christian Dubé a présenté un plan pour offrir des soins de santé accessibles et performants à tous les Québécois, notamment au million de citoyens qui n'ont pas de médecins de famille, par le biais d'un guichet d'accès unique pour les soins de première ligne.

Les omnipraticiens avaient dénoncé avec vigueur la menace du premier ministre François Legault de légiférer pour forcer les médecins de famille à prendre en charge un plus grand nombre de patients.

À quelques mois de l'élection, la cheffe du Parti libéral Dominique Anglade a par ailleurs promis, mardi, un médecin de famille à tous les Québécois qui le désirent dans le cadre de son programme Accès Santé.

L'étude de l'IRIS qui sera publiée jeudi est la troisième sur le privé en santé au Québec réalisée dans le cadre des études postdoctorales d'Anne Plourde. Les deux premières, publiées en 2021 et 2022, portaient sur les résidences pour aînés et sur les agences de placement en services à domicile.

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