Six ans plus tard, le « cauchemar » de Phénix hante toujours des fonctionnaires
Le fiasco du système de paie fédéral continue de perturber la vie de plusieurs fonctionnaires, malgré les promesses de correctifs

Des membres de l'Alliance de la Fonction publique du Canada lors d'un rassemblement, à Ottawa, le 28 février 2019, pour marquer le troisième anniversaire du lancement du système de paye Phénix.
Photo : La Presse canadienne / Justin Tang
Un a vu sa maison confisquée, un autre a été forcé de partir à la retraite pour des trop-payés… Plus de six ans après le début du problème, plusieurs fonctionnaires fédéraux racontent à quel point leur vie est encore profondément affectée par le tristement célèbre système de rémunération Phénix.
L’un d’eux, en Alberta, a raconté à CBC News que ses chèques de paie totalisent actuellement 0 $, plaisantant tristement sur le fait qu’il fait actuellement du bénévolat
pour le gouvernement du Canada.
Une autre, employée au sein de l'Agence du revenu du Canada, a dû faire face à des prélèvements d’impôts sur sa paie fluctuants. Des variations si importantes, qu’elles ont fini par nuire à sa capacité de payer l’hypothèque de sa maison familiale, finalement saisie en 2019. Aujourd’hui, elle et sa famille vivent maintenant dans un logement subventionné.

Une fonctionnaire fédérale a fait construire sa maison familiale en 1996. Elle raconte que sa famille l'a perdue après qu'elle n'a pas pu effectuer de versements hypothécaires en raison de problèmes liés à Phoenix.
Photo : Gracieuseté Taylor
Malgré une promotion, une autre employée de la fonction publique fédérale raconte ne pas avoir pu percevoir son nouveau salaire, devant se contenter de sa précédente paie tout en ayant plus de responsabilités. Aujourd’hui, elle ne sait toujours pas quand son nouveau salaire lui sera enfin versé, dit-elle.
À la retraite, mais toujours hantée par Phénix
Ces cas illustrent bien les problèmes qui persistent pour de nombreux employés de la fonction publique fédérale qui préfèrent garder l'anonymat. Et ce, même pour celles et ceux qui ont pris leur retraite.
C’est notamment le cas de Christiane Villeneuve. Retraitée de la fonction publique fédérale, cela n'a pas empêché le gouvernement fédéral de lui envoyer une nouvelle lettre en février, lui réclamant plus d'argent.
Un petit montant comparé aux plus de 11 000 $ que son employeur a récupérés auprès d'elle au cours des six dernières années en raison des trop-payés de Phénix.
L'ancienne employée d'Emploi et Développement social Canada (EDSC), à Gatineau, a mentionné que ses problèmes ont commencé en 2016, après un congé maladie. Elle a été surpayée pendant trois mois cette année-là. Il lui a finalement fallu jusqu’en juillet 2021 pour rembourser le dernier dollar qu’elle devait.
Pendant cette période, elle a passé des heures et des heures à vérifier ses talons de paie toutes les deux semaines, et à envoyer des courriels et à appeler le centre d'appels de Phénix.
J'ai dû prendre des antidépresseurs, j'avais des crises de panique, des crises d'angoisse... Je me couchais le soir vraiment inquiète de ce qui pouvait se passer le lendemain
, raconte-t-elle.
Elle explique avoir dû produire sa déclaration d’impôt sur le revenu 2016 à plusieurs reprises, car le gouvernement n'arrêtait pas de modifier ses feuillets T4. Parfois, Phénix lui fournissait un montant différent tous les deux mois
, variant de 14 000 $ à 18 000 $ ce qui entraînait des déductions inexplicables et des paiements incohérents. À quelques reprises, le salaire net de Mme Villeneuve s'élevait à quelque 28 $.
Ça m'énervait vraiment de devoir me battre pour que mon salaire soit correct toutes les deux semaines
, dit Mme Villeneuve.
Elle en a eu tellement assez
qu'elle a finalement pris sa retraite en 2021, un an plus tôt que prévu.
Renoncer à une pension complète en valait la peine, juge-t-elle aujourd’hui.
Certains problèmes ne sont toujours pas réglés, mais au moins, je peux dormir la nuit.
Fonctionnaire depuis plus de 30 ans, Mme Villeneuve s'attendait à un traitement équitable de la part de son employeur.
J'ai été très, très déçue
, confie-t-elle. Je conseillerais aux gens qui envisagent de rejoindre la fonction publique fédérale d’y réfléchir à deux fois.
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Encore des défis, reconnaît le Ministère
En date d’avril 2022, Phénix a coûté plus de 2,4 milliards de dollars, alors qu’un système pour le remplacer est en préparation. En 2018, un rapport fédéral indiquait qu'il pourrait falloir cinq ans pour rétablir la situation.
Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), le ministère fédéral responsable de l'exploitation et de l'entretien de Phénix, a refusé une entrevue à CBC. Dans une déclaration envoyée par courriel, SPAC a toutefois reconnu avoir rencontré des défis
qui ont ralenti temporairement sa tentative d'éliminer les problèmes toujours présents liés à Phénix.
Le nombre de transactions reçues au centre de paiement en 2021 a considérablement augmenté par rapport aux années précédentes. Cette tendance s'est poursuivie en 2022
, explique le ministère. Nous continuons à réorganiser la charge de travail afin que les transactions les plus complexes soient confiées à notre personnel le plus expérimenté et nous accélérons nos efforts de recrutement et d'embauche pour pourvoir les postes vacants.
Lorsqu'il a été demandé au ministère de commenter les difficultés que continuent de vivre certains fonctionnaires fédéraux, SPAC a invité les employés concernés à communiquer avec son Centre de contact avec la clientèle.
Avec les informations de Priscilla Ki Sun Hwang, de CBC News