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Inconduite sexuelle : l’Î.-P.-É. limite l’usage des clauses de confidentialité

Une femme de profil dans une manifestation, dressant une pancarte sur laquelle les mots « Me Too! » sont écrits.

Avec le mouvement #MoiAussi et le scandale Harvey Weinstein aux États-Unis, des lois similaires ont été proposées dans plusieurs États américains, au Royaume-Uni et en Irlande. (Archives)

Photo : Reuters / Lucy Nicholson

La loi qui encadre l’utilisation des accords de non-divulgation dans des cas de harcèlement, de discrimination ou d’inconduite sexuelle est entrée en vigueur à l’Île-du-Prince-Édouard, mardi.

La nouvelle législation donne désormais le choix aux victimes de signer ou de ne pas signer une entente de confidentialité, lorsqu'elles parviennent à un règlement avec leurs harceleurs.

Avec l’entrée en vigueur de cette loi, l’Île-du-Prince-Édouard devient ainsi la première compétence du pays à limiter l’usage de ces clauses qui empêchent des victimes de divulguer ce qu'elles ont vécu.

Lynne Lund en entrevue.

Lynne Lund, députée verte à l'Île-du-Prince-Édouard, a proposé ce projet de loi en novembre dernier, à l'Assemblée législative. (Archives)

Photo : Radio-Canada / Ken Linton

Ces ententes visent à empêcher que les victimes rendent publiques certaines informations sur le harcèlement qu’elles ont subi, notamment l’identité du harceleur, en échange de certaines concessions, comme des sommes d’argent.

La nouvelle loi n’empêche pas harceleur et victime d'établir une entente de règlement, mais elle permet d’encadrer le processus.

Pour la députée verte Lynne Lund, qui a proposé ce projet de loi en novembre dernier, l’objectif de la législation est de donner le contrôle aux victimes, au moment de conclure une entente avec leur harceleur.

« Les ententes de confidentialité ne seront plus le standard, elles seront l'exception. Quand elles seront utilisées, elles seront uniquement utilisées quand les personnes ont l’occasion d’avoir des conseils juridiques. »

— Une citation de  Lynne Lund, députée verte

Même si des victimes optent pour garder le silence, les accords de non-divulgation devront contenir des clauses permettant aux victimes de renoncer à l’avenir à cette obligation et de pouvoir rendre les informations publiques un jour ou l'autre.

La loi insulaire exige aussi que les victimes soient bien informées sur leurs droits pour qu'elles puissent faire le meilleur choix pour elles.

Les clauses de confidentialité, une pratique courante

L’avocate torontoise Elizabeth Grace, qui représente des clients dans ce type de litiges depuis plus de 25 ans, souligne que ce type d’entente de confidentialité reste encore une pratique courante.

Ces clauses privent les survivantes du choix de parler ou non de ce qui s'est passé, explique l’avocate.

Ces ententes de confidentialité protègent l’identité des agresseurs qui restent cachés et continuent à pratiquer ces inconduites sexuelles, selon Elizabeth Grace.

Cela empêche le public de savoir qu'il y a des prédateurs sexuels dans notre société, précise-t-elle.

Allison Conway pose pour la photo devant une falaise.

Allison Conway est avocate chez Budden et Associates à Terre-Neuve-et-Labrador. (Archives)

Photo : Gracieuseté Alex Stead Photography

Selon Allison Conway, avocate de Terre-Neuve-et-Labrador ayant déjà représenté des victimes d’abus sexuels, les institutions ou les harceleurs qui décident de parvenir à un règlement souhaitent en général protéger leur réputation.

Ils veulent éviter un procès public en cour, et c’est important pour eux de faire une entente de règlement pour éviter d’aller en cour, explique Allison Conway.

Certaines victimes préfèrent aussi opter pour un règlement en dehors des tribunaux afin d’éviter un procès qui peut être difficile et traumatique, selon elle.

Le processus de guérison

Avocat au Québec et doctorant en droit à l’Université de Toronto, Michaël Lessard croit que ces ententes de confidentialité empêchent le processus de guérison des victimes.

On le voit dans plusieurs endroits au pays, des ententes de confidentialité très larges, qu’elles pouvaient interdire de raconter les faits à des proches, à des amis, voire des professionnels de la santé, des psychologues et travailleuses sociales, et ça peut affecter le processus de guérison des victimes, explique-t-il.

Michaël Lessard pose pour la photo.

Michaël Lessard est avocat membre du Barreau du Québec et doctorant en droit à l’Université de Toronto.

Photo : Gracieuseté Michaël Lessard

Michaël Lessard souligne aussi que les implications des choix de victimes devront être présentées clairement pour que ces personnes soient au courant de leurs droits.

C’est un exemple d’accessibilité à la justice, en ce qui concerne la compréhension des engagements dans lesquels on entre. […] Ce processus est axé sur le fait qu’on doit outiller les victimes tant par des conseils juridiques que par le texte de l’entente, précise-t-il.

Des procès en cour et des lacunes

L'avocat John McKiggan, qui a représenté de nombreuses victimes d'abus sexuels, croit que la loi de l’île pourrait entraîner une réduction du nombre de règlements établis entre les parties.

Les harceleurs pourraient préférer ne pas établir un règlement et aller devant les tribunaux, puisque leur identité pourrait être tôt ou tard dévoilée par les victimes.

« Dans la plupart des cas, l'agresseur a plusieurs victimes. Là où il y a une victime, il y en a dix, c'est pourquoi les agresseurs se battent si fort pour garder ce type de comportement secret. »

— Une citation de  John McKiggan, avocat

Allison Conway croit aussi que la législation pourrait rendre les négociations entre les parties plus compliquées dans certains cas.

C’est possible que certaines parties pensent que, si on ne peut pas obtenir une entente de confidentialité, peut-être que ça vaut la peine d’aller en cour et nier les allégations, explique l’avocate.

L’avocat Michaël Lessard souligne également une lacune dans la loi insulaire.

Selon lui, la législation ne prend pas en compte les ententes de confidentialité établies en dehors du processus de règlement.

Par exemple, des employeurs qui, pour accepter une plainte de harcèlement ou d’agression sexuelle, demandent qu’il y ait une entente de confidentialité lors du dépôt de la plainte. La loi ne s’intéresse pas à ce type de situation, explique-t-il.

De l'avis d'Allison Conway, la loi insulaire ouvre un précédent pour les autres provinces du Canada.

En Nouvelle-Écosse, un projet de loi similaire à celui de l’île est en processus d’élaboration.

Avec des informations de CBC

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