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AnalysePierre Poilievre comprend-il le travail de la Banque du Canada?

Pierre Poilievre, dehors, devant une enseigne de la banque du Canada.

Le député conservateur et candidat à la chefferie Pierre Poilievre prenait la parole lors d'une conférence de presse devant la Banque du Canada à Ottawa, le jeudi 28 avril 2022.

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

La Banque du Canada est une institution qui accomplit un travail essentiel, mais qui est complexe et difficile à comprendre pour le grand public. C’est une organisation énigmatique et froide, qui donne l’impression d’être hermétique et inaccessible. C’est la victime parfaite pour un politicien qui cherche à personnaliser un coupable d’un prétendu déraillement de l’économie.

Pierre Poilievre, en prenant pour cible la Banque du Canada et son gouverneur Tiff Macklem, applique une recette déjà utilisée par Donald Trump. L’un des grands succès populaires de l’ancien président des États-Unis était de s’en prendre à Jerome Powell, le président de la Réserve fédérale qu’il avait lui-même nommé.

Il l’a traité d’incompétent, il a déclaré qu’il manquait de vision et il s’est demandé si le président de la Fed n’était pas un plus grand ennemi à son pays que la Chine. Pourquoi a-t-il fait ça? Pour la simple raison qu’il n’était pas d’accord avec sa politique monétaire.

Il souhaitait voir la Réserve fédérale cesser d’augmenter ses taux d’intérêt en 2018, voire de les abaisser. Donald Trump a évoqué la possibilité de congédier Jerome Powell. Rappelez-vous, le président promettait une croissance économique de 4, 5 ou 6 % et la baisse des taux était un moyen de stimuler la hausse du PIB, malgré les impératifs de la politique monétaire de la banque centrale, qui sont le contrôle de l’inflation à 2 % et la recherche du plein emploi.

Pierre Poilievre marche dans les pas du 45e président des États-Unis en annonçant qu’il congédierait Tiff Macklem s’il devenait premier ministre et qu’il nommerait une personne qui viendrait rétablir une politique monétaire axée sur une faible inflation.

En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan a exigé, lui, une baisse des taux d’intérêt de sa banque centrale pour stimuler son économie malgré une inflation qui explose. Le taux directeur a été abaissé de 19 % à 14 % l’automne dernier et l’inflation est aujourd’hui à 70 %.

La banque centrale turque est menottée : le président du pays ne veut pas de hausse de taux et menace de congédier le gouverneur s’il n’applique pas ses directives.

Le travail de Tiff Macklem est critiqué

Bien sûr, nous ne sommes pas dans ce cas de figure au Canada. L’inflation approche les 7 %, mais l’économie va bien. La croissance économique est forte, le taux de chômage n’a jamais été aussi bas, une bonne partie des Canadiens ont pu économiser de l’argent durant la pandémie et la demande est toujours en hausse.

Certes, le travail de Tiff Macklem, comme celui de Jerome Powell aux États-Unis ou d’autres banques centrales dans le monde, est critiqué ces jours-ci par des économistes qui affirment que les banquiers centraux ont trop attendu avant d’augmenter les taux d’intérêt. Il est reproché, par exemple, au gouverneur Macklem d’avoir tardé à reconnaître que l’inflation n’était pas transitoire et qu’il aurait fallu amorcer un resserrement monétaire bien avant 2022.

La banque reconnaît certaines erreurs, d’ailleurs. La sous-gouverneure Carolyn Rogers a consacré un discours entier, le 3 mai à Toronto, à l’importance pour la banque centrale de maintenir la confiance du public dans son action.

Nous sommes parfaitement conscients, a-t-elle expliqué,qu’en raison de mesures extraordinaires prises durant la pandémie et de l’inflation qui dépasse largement la cible, certains se demandent s’ils peuvent vraiment nous faire confiance.

Il est absolument essentiel de maintenir la confiance des Canadiens dans les institutions les plus importantes du pays. La banque centrale doit faire ce travail pour consolider ou retrouver la confiance du public, tout comme le gouvernement.

La banque centrale, « guichet automatique »?

Le candidat Pierre Poilievre a choisi d’aller en sens contraire. Pour des raisons stratégiques sur le plan politique ou parce qu’il en est sincèrement convaincu, il attaque la crédibilité de la banque centrale et de son gouverneur, et annonce qu’il va le congédier s’il devient premier ministre. Il accuse la banque d’avoir été le guichet automatique du gouvernement pendant la pandémie et de mener une politique qui ne permet pas d’atténuer l’inflation.

Dans les faits, la banque centrale a racheté l’essentiel des obligations gouvernementales émises dans les premiers mois de la pandémie, des titres de dettes créés pour financer les programmes de soutien du gouvernement à la population.

Il est légitime de s'interroger sur la générosité des programmes gouvernementaux durant la pandémie. Mais la banque centrale a fait ce que d’autres banques centrales dans le monde, notamment aux États-Unis, ont fait. Quand l’économie s’est arrêtée en 2020, il fallait agir.

Le Canada a dépensé beaucoup d’argent durant la pandémie et son endettement a augmenté. Il est normal de remettre en question les choix du gouvernement durant cette période. Mais c’est important de rappeler que le Canada demeure le pays le moins endetté du G7 et qu’il a maintenu sa notation AAA auprès de trois agences de crédit.

Ajoutons que le congédiement du gouverneur de la banque centrale parce que le premier ministre ne serait pas d’accord avec la politique monétaire pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur l’image du Canada, sa stabilité et son attractivité pour les investisseurs.

Le mandat de la banque n’a pas changé

Ensuite, le mandat de la Banque du Canada n’a pas changé. Il n’est pas nécessaire de la ramener à une inflation faible, comme le propose Pierre Poilievre, puisque c’est déjà le cas. La banque vise un taux d’inflation de 2 %, à l’intérieur d’une fourchette de 1 % à 3 %. Ce mandat a été renouvelé d’ailleurs récemment.

Pour faire baisser l’inflation, la politique actuelle de la banque prévoit une hausse marquée des taux d’intérêt et la fin du renouvellement des actifs obligataires gouvernementaux que l’institution détient.

Encore une fois, critiquer la banque centrale dans sa gestion de l’inflation est légitime. Mais il faut prendre le temps d’expliquer que les chaînes d’approvisionnement sont brouillées depuis deux ans, encore davantage avec les confinements stricts en Chine. La guerre ajoute aussi une forte pression inflationniste sur les grains et sur les carburants.

Comme l’expliquait Sylvain Leduc, vice-président de la Réserve fédérale de San Francisco, à Zone économie jeudi, prédire ce qui se passait dans les chaînes d’approvisionnement était très difficile et prédire ce qui va se passer concernant la pandémie au niveau mondial est difficile. On ressent les effets de qui se passe en Chine, on le voit avec la politique zéro COVID qui arrête la production, et ça vient perturber la production mondiale et l’inflation aux États-Unis et au Canada.

Discours trompeur sur les cryptomonnaies

Pierre Poilievre a aussi déclaré récemment que les cryptomonnaies représentent un remède contre l’inflation. Cette déclaration est trompeuse. La volatilité est extrêmement forte sur les cryptomonnaies et leur utilisation demeure marginale par rapport aux grandes monnaies du monde.

Le bitcoin a chuté de 55 % depuis novembre dernier, le Dogecoin a perdu environ 82 % depuis un an, l’Ethereum a perdu 45 % et la cryptomonnaie Terra, de type stablecoins, s’est carrément effondrée dans les derniers jours, perdant presque toute sa valeur. Cette cryptomonnaie avait pour mission d’être corrélée au dollar américain. À la recherche d’actifs sûrs, les investisseurs ont décroché et la valeur de Terra s’est évaporée.

Pierre Poilievre a aussi déclaré récemment ceci : On va donner aux gens la liberté, la LI-BER-TÉ de choisir leur propre monnaie sans que la Banque du Canada puisse intervenir pour imprimer de l’argent et dévaloriser la devise.

Cette déclaration est également trompeuse. Depuis un an, le dollar canadien a évolué entre 77 et 83 cents US, essentiellement entre 77 et 80 cents US la plupart du temps. La devise n’est pas dévalorisée par le travail de la Banque du Canada. D’autres facteurs sont à l’œuvre, en particulier la recherche par les investisseurs d’actifs sûrs, en dollars américains, en raison des craintes liées à l’inflation et les risques, encore peu élevés, de récession.

L’objectif de Pierre Poilievre est de gagner la chefferie du Parti conservateur. Mais il ne peut pas le faire en laissant tomber les faits les plus élémentaires sur les banques centrales et les cryptomonnaies.

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