La Cour suprême statue que l’intoxication extrême est une défense valide en cour
Le ministre canadien de la Justice, David Lametti, a réagi : « Nous étudions attentivement la décision afin de déterminer son effet sur les victimes ainsi que sur le droit criminel. »

L'Albertain Matthew Brown se trouve à être acquitté par le jugement que la Cour suprême du Canada a rendu vendredi.
Photo : Radio-Canada
En vertu d'une décision rendue vendredi par la Cour suprême du Canada, des personnes qui ont commis des actes de violence alors qu'elles étaient sous l'effet de l'alcool, de la drogue ou de médicaments pourront invoquer l'intoxication extrême comme défense en justice.
Ce jugement rendu par le plus haut tribunal du pays a pour effet d'invalider l'article 33.1 du Code criminel.
Une des causes sur lesquelles la Cour suprême s'est penchée dans cette affaire est celle de Matthew W. Brown, un jeune Albertain qui avait violemment attaqué une femme le 12 janvier 2018 à Calgary, lui causant des lésions permanentes.
Ces actes avaient été perpétrés alors que M. Brown était sous l'effet de l'alcool et de drogues hallucinogènes. Face aux accusations de voies de fait graves qui pesaient contre lui, l'accusé avait plaidé non coupable pour cause d'intoxication extrême menant à l'automatisme, c'est-à-dire que ses facultés étaient affaiblies au point où il ne contrôlait plus ses actes.
Dans leur décision unanime, les juges statuent que cette défense d'intoxication extrême est valide dans les cas de crimes violents.
Ce jugement a donc pour conséquence de rétablir le verdict d'acquittement rendu en première instance en faveur de Matthew Brown.
De plus, les hauts magistrats invalident l'article 33.1 du Code criminel, selon lequel l'intoxication volontaire, qui rend une personne incapable de se maîtriser consciemment ou d'avoir conscience de sa conduite, ne constitue pas une défense valide en cour.
Rédigé par le juge Nicholas Kasirer, le jugement stipule que cet article du Code criminel viole la Charte des droits et libertés au point où on a du mal à imaginer une série de limites plus graves que la négation de la volonté, de la mens rea et de la présomption d’innocence d’un seul coup
.
[...] Malgré l’étroitesse de son champ d’application et son application rare, l'article 33.1 restreint non pas un mais trois droits fondamentaux de l’accusé
, dit le juge Kasirer. Il permet de déclarer coupable l’accusé :
- dans les cas où ce dernier a agi de façon involontaire ou ne possédait pas le degré minimal de faute requis;
- dans les cas où la Couronne n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels de l’infraction reprochée à l’accusé.
Ces limites, écrit encore le juge, instaurent en quelque sorte un régime de responsabilité absolue qui mine bon nombre des convictions fondamentales
qui structurent notre système de droit pénal.
Deux autres causes
La Cour suprême s'est également penchée sur deux autres causes : celles de David Sullivan et de Thomas Chan, deux Ontariens qui avaient commis – séparément – des crimes violents dans leur province. Ces deux hommes avaient contesté leur verdict de culpabilité devant la Cour d'appel de l'Ontario.
Tous deux avaient consommé de la drogue et, en plein état psychotique, avaient poignardé des membres de leur famille. David Sullivan a blessé sa mère tandis que Thomas Chan a tué son père.
En vertu de la décision de la Cour suprême, Thomas Chan aura droit à un nouveau procès. David Sullivan, quant à lui, est acquitté.

Matthew Brown était notamment sous l'effet de champignons hallucinogènes au moment des faits.
Photo : iStock / Cavan Images
Le fédéral examine la décision
Le ministre canadien de la Justice, David Lametti, affirme que le gouvernement étudiera cet arrêt avec soin
et fera preuve de diligence pour combler cette faille du Code criminel mise en lumière par les juges.
Les cas dont traite ce jugement de la Cour suprême ne sont pas des cas ordinaires d'intoxication ni des cas quotidiens a tenu à préciser le ministre.
La décision de la Cour suprême traite de cas vraiment extrêmes et vraiment rares
, a-t-il insisté.
David Lametti a dit partager la déception
des victimes vis-à-vis de cette décision : Ce sont des crimes violents et elles étaient des victimes.
D'ailleurs, dans sa décision qui s'étale sur 104 pages, la Cour suprême enjoint au Parlement canadien de légiférer afin de protéger les victimes d'actes perpétrés par des personnes en proie à une intoxication volontaire extrême.
La Cour suprême rappelle l'importance de protéger les victimes de crimes violents, surtout à la lumière du droit à l'égalité et à la dignité des femmes et des enfants qui sont susceptibles d'être victimes de violences sexuelle et familiale aux mains de personnes intoxiquées
.
Cela constitue un objectif social urgent et réel
, disent les juges.
Le ministre Lametti dit comprendre l'urgence de la situation.
Oui, il y a un sentiment d'urgence. Il ne faut pas laisser des lacunes dans le Code criminel, surtout pour des crimes violents.
La Cour nous a donné des pistes potentielles à suivre, a-t-il poursuivi. [...] Mais on veut évidemment protéger les victimes. On veut que dans les cas où ils le méritent, les contrevenants soient punis.
Une de ces pistes pourrait être de criminaliser l'intoxication extrême qui plonge une personne dans un état mental s’apparentant à de l’automatisme.
Comme l'a expliqué Louis Belleau, avocat-criminaliste à l'émission Isabelle Richer sur RDI, cette forme de législation punirait l'accusé qui se met dans un état comme celui-là, qui risque de causer des préjudices à d'autres personnes
.
Mais cela ne rendrait pas nécessairement cet accusé responsable du délit lui-même
, soit les préjudices causés.
Toutefois, a poursuivi l'avocat-criminaliste, il est très délicat de penser à créer un régime juridique où on peut condamner quelqu'un qui n'a pas la responsabilité morale
.
Où est la justice là-dedans?
Dans une déclaration écrite, Janet Hammett – qui avait été violemment attaquée par Matthew Brown – s'est dite inquiète des conséquences de ce jugement.
Toutefois, bien que je sois extrêmement déçue par cette décision, à ce stade-ci, ce n'est plus à propos de moi
, écrit-elle.
Il est important de retenir que [cette décision] a des conséquences négatives sur les victimes de voies de fait graves au pays. Parmi elles, certaines ont perdu la vie en raison des suites de ces attaques.
Selon Mme Hammet, le scénario
qui émane du jugement de la Cour n'offre aucune protection aux victimes et ne protège que les assaillants.
Janet Hammet conclut donc ainsi : Où est la justice là-dedans? Cela ouvre une brèche terrifiante et je crains pour les futures victimes.
Avec les informations de Louis Blouin
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Avec les informations de La Presse canadienne et CBC