« Vivre à Toronto avec un salaire de 15 $, c’est la pauvreté, c’est la misère »

Selon l'organisme Workers' Action Centre, de plus en plus de travailleurs payés au salaire minimum, ou un peu plus, vivent en situation précaire.
Photo : Getty Images / Osarieme Eweka
Des organisations jugent que trop de travailleurs ontariens peinent à joindre les deux bouts à l’heure actuelle et, à l’approche des élections ontariennes, souhaitent que les partis s’engagent à augmenter le salaire minimum à 20 $ l’heure dans la province.
Originaire d'Haïti, Venise Labossière-Féquière a déménagé à Toronto il y a cinq ans avec sa fille. Et ses premières années ont été tout sauf faciles… Même si elle a trouvé un emploi dans une garderie, elle peinait à payer ses factures.
C'était extrêmement difficile. Je suis une maman seule et je devais me fier à mon seul revenu. Je n’avais pas le droit à certaines prestations du gouvernement. Le loyer, c’est extrêmement cher, il faut payer le transport aussi
, raconte-t-elle.
Venise Labossière-Féquière, qui gagnait à l’époque entre 14 $ et 15 $ l’heure, qualifie ses premiers salaires de misérables
.
« C'était vraiment difficile avec un salaire très misérable. Je devais répondre à nos besoins. C'était un cauchemar. »
Depuis deux ans, la Torontoise est maintenant employée d’un centre communautaire. Elle gagne un meilleur salaire, d’environ 25 $ l’heure.
De 14 $ à 25 $, c’est une grande différence et ça a changé beaucoup de choses
, confie-t-elle.
Aujourd’hui, quelques semaines avant les élections, la mère de famille souhaite prendre la parole, car elle estime que plusieurs autres Ontariens, payés au salaire minimum, pourraient bénéficier d’une augmentation de leur revenu. Elle souhaite que le prochain gouvernement prenne acte de la situation.
Dans la communauté, c'est un stress pour nous. Quand on voit des gens payés 15 $ l'heure et qui doivent payer leur loyer... C’est vraiment difficile. [...] Vivre à Toronto avec un salaire de 15 $, c'est la pauvreté, c'est la misère
, dit-elle.
Des travailleurs en crise
Des histoires comme celle de Venise Labossière-Féquière, la directrice de l’organisme Workers' Action Centre, Deena Ladd, en entend plusieurs.
En 2019, 11 % des travailleurs gagnaient le salaire minimum, contrairement à 2,4 % des travailleurs en 1997, selon un rapport du Centre canadien de politiques alternatives publié cette année.
Et, avec l’inflation et les coûts élevés du logement, les besoins sont plus criants que jamais selon l’organisatrice.
La pauvreté augmente. De plus en plus de travailleurs nous appellent en crise. Ils ont besoin d’aide pour se nourrir ou encore pour trouver des biens de base
, explique Deena Ladd, qui affirme que la pandémie a frappé de façon disproportionnée les travailleurs racisés et migrants, ainsi que les travailleurs qui ont un faible salaire.
Dans la dernière semaine, son organisme a donc profité du contexte électoral pour publier un rapport contenant plusieurs revendications, dont l’augmentation du salaire minimum à 20 $ l’heure, pour que les travailleurs puissent payer leur loyer ou encore leur nourriture et soutenir leurs familles
.
Un salaire décent à 22 $ l’heure
L’idée plaît à d’autres organismes, dont l’Ontario Living Wage Network (OLWN , Réseau ontarien du salaire de subsistance, traduction libre), qui calcule chaque année le salaire de subsistance, soit le revenu minimum nécessaire pour vivre décemment en Ontario.
À l’automne 2021, celui-ci se situait entre 16,20 $ et 22,08 $ l’heure selon les régions, soit des montants plus élevés que le salaire minimum général, qui est fixé à 15 $ l’heure dans la province.
En ce moment, pour joindre les deux bouts et vivre à Toronto, pour pouvoir payer toutes vos factures et ne pas avoir à faire des choix difficiles entre le paiement du loyer et de la nourriture, le salaire horaire de la personne doit être de 22,08 $
, explique Craig Pickthorne, un porte-parole de l’OLWN , qui appuie les revendications du Workers' Action Centre.
Et même si elle est maintenant payée 25 $ l’heure, Venise Labossière-Féquière avoue que la vie n’est pas toujours facile.
Avant c’était très difficile, là maintenant c’est difficile.[…] Les choses qu’on achetait à 200 $, on paie aujourd’hui 300 $. Le coût du carburant augmente
, se désole-t-elle.
« On n'a pas d'économies. C'est comme si on vit de jour en jour, d'une paie à l'autre. »
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Les positions des partis politiques
Mais où se situent les partis politiques sur cette question?
En avril dernier, le gouvernement progressiste-conservateur annonçait une troisième augmentation du salaire minimum en un an
.
L’Ontario œuvre pour les travailleurs en faisant passer le salaire minimum général à 15,50 $ l’heure à compter du 1er octobre 2022. Cette augmentation de 8 % sur un an permettra aux travailleurs de faire face à la hausse des prix et à l’inflation
, avait-il annoncé par communiqué.
Nous ne nous arrêtons pas là. Nous veillerons à ce que les augmentations annuelles suivent l'indice des prix à la consommation en Ontario
, a ajouté l'attachée de presse du premier ministre Doug Ford, Alexandra Adamo, dans une réponse à un courriel de Radio-Canada.
Dans sa plateforme, le NPD
promet, lui, un salaire minimum à 20 $ l’heure en 2026, avec des augmentations annuelles de 1 $ l’heure.Le parti promet également d’aider les petites entreprises à y parvenir avec du soutien ciblé à celles qui en ont besoin
.
Le Parti vert de l'Ontario propose aussi des augmentations annuelles de 1 $ l'heure et un salaire minimum de 16 $ l'heure dès cette année, en plus d'instaurer un complément dans les villes où le coût de la vie est plus élevé afin de s'assurer que chacun reçoive un salaire décent
, explique son porte-parole Darren Elias.
Le Parti libéral de l’Ontario s’engage pour sa part à augmenter le salaire minimum à 16 $ l’heure dès le 1er janvier 2023, en plus de développer un salaire décent qui tiendra compte des réalités régionales.
Mais, pour Deena Ladd, une chose est sûre… L’heure est à l’action. Les politiciens doivent se battre pour protéger les travailleurs essentiels et résoudre certains des problèmes qui ont émergé durant la pandémie
, affirme la militante qui demande également des congés de maladie payés et des protections juridiques supplémentaires pour les travailleurs.
Il y a tellement de choses qui rendent la vie des gens précaire, mais qui pourraient être facilement corrigées. Il faut introduire une certaine stabilité, une certaine sécurité dans la vie des gens
, conclut-elle.