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COVID-19 et surmortalité : l’interprétation de Legault nuancée par des experts

François Legault et Christian Dubé.

La manière dont François Legault interprète le taux de surmortalité n'est pas juste, selon des experts.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

« Les chiffres sont clairs : on a sauvé des milliers de vies », a réagi François Legault en voyant que le Québec affiche un taux de surmortalité meilleur que celui de plusieurs pays depuis le début de la pandémie. Des experts préviennent néanmoins que la surmortalité ne peut pas être analysée de manière aussi simple.

Non, on ne peut pas interpréter ce résultat de cette façon, s'exclame Simona Bignami, professeure au Département de démographie de l’Université de Montréal.

Selon les résultats diffusés par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), mardi dernier, le Québec affiche un taux de surmortalité de 4,5 % depuis le mois de mars 2020.

Grossièrement résumé, cela signifie que, durant la pandémie, la province a enregistré 4,5 % plus de décès qu’en temps normal. Comparativement aux taux enregistrés dans le reste du Canada (6,2 %), en France (7,3 %) et aux États-Unis (18 %), le Québec fait figure de leader dans le monde.

François Legault a donc récupéré l’information en affirmant que le Québec a connu beaucoup moins de décès toutes proportions gardées, remerciant au passage ses concitoyens pour leur respect des règles sanitaires plus sévères qu’ailleurs.

La rue Cartier, à l'aube.

Le couvre-feu a été imposé à deux reprises durant la pandémie au Québec.

Photo : Radio-Canada / Jean-Michel Cloutier

La professeure Bignami est catégorique : Ce n’est pas la bonne interprétation. Si elle reconnaît que le taux de surmortalité est un bon indicateur pour faire des comparaisons, elle prévient qu’il n’est pas parfait. Il s’agit d’une moyenne, avec de l’incertitude statistique, qu’on ne peut réduire au seul respect des règles sanitaires.

« Ce chiffre ne nous permet pas d’arriver à la conclusion que le premier ministre semble tirer. Cette moyenne est influencée par un éventail de facteurs et il n’est pas possible d’isoler un seul facteur. »

— Une citation de  Simona Bignami, professeure au Département de démographie de l'Université de Montréal

Très complexe

L’ISQ, qui a diffusé les statistiques cette semaine, confirme que les mesures sanitaires adoptées dans chaque État ne sont qu’un des facteurs pouvant influer sur le taux de surmortalité.

Il y a des aspects géographiques qui peuvent expliquer cela, comme les mouvements de voyageurs, la densité de la population, les souches virales qui ont été en circulation pas toujours au même moment, pas toujours au même endroit, explique Frédéric Fleury-Payeur, démographe à l’ISQ.

Des voyageurs dans un aéroport.

Les mouvements de voyageurs sont un des nombreux facteurs qui influent sur le taux de surmortalité.

Photo : Reuters

Les bons résultats du Québec pourraient donc être en partie attribuables à d’autres variables, qui n’ont pas nécessairement empêché des gens de mourir de la COVID-19.

Le couvre-feu et le masque, par exemple, ont peut-être induit une réduction des décès liés à la grippe ou aux accidents en tous genres.

« Pour départager quelle est la contribution de chacun de ces facteurs, ce sera aux experts en santé publique et aux épidémiologistes de le faire, mais ce sera quand même une tâche très complexe. »

— Une citation de  Frédéric Fleury-Payeur, démographe à l’Institut de la statistique du Québec

Un taux qui évolue avec le temps

M. Fleury-Payeur rappelle par ailleurs que le Québec n’a pas toujours eu un taux de surmortalité aussi enviable qu’en ce moment.

Au début de la pandémie, lorsque la première vague a frappé de plein fouet les CHSLD, la province était plutôt l’un des endroits les plus touchés, rappelle-t-il.

Il s’agit là d’un élément fondamental à prendre en considération, selon Simona Bignami. L’estimation de la surmortalité ne doit pas être prise comme un nombre absolu, parce que c’est un nombre qui évolue au fil du temps.

Si le taux de surmortalité du Québec a baissé par la suite, c’est en partie parce que des milliers d’aînés ont perdu la vie au printemps 2020. L’année suivante, il ne restait donc plus autant de personnes susceptibles de mourir de la COVID-19 dans les tranches d’âge les plus vulnérables, explique Mme Bignami.

Trois bouquets de fleurs déposés sur l'herbe devant un CHSLD.

Le CHSLD Herron a été l'un des plus durement touchés durant la pandémie au Québec.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Son collègue Alain Gagnon, lui aussi professeur en démographie à l’Université de Montréal, émet d’ailleurs l’hypothèse que les horribles récits de la première vague ont peut-être contribué à un ressaisissement, qui s’est soldé par des mesures plus strictes et une meilleure adhésion aux règles au sein de la population.

« Il y a eu quand même une sorte de prise de conscience. »

— Une citation de  Alain Gagnon, professeur au Département de démographie de l'Université de Montréal

En ce sens, le professeur Gagnon croit que les règles sanitaires ont joué un rôle dans le bon taux de surmortalité que connaît aujourd’hui le Québec, mais affirme qu’il faudra plus de données pour comprendre l'importance de ce lien causal.

Les hirondelles reviennent au printemps, mais ce ne sont pas les hirondelles qui ramènent le printemps, illustre-t-il. Corrélation n’est pas nécessairement preuve d’association statistique.

Bientôt des effets du délestage?

Le professeur Gagnon prévient par ailleurs que le Québec n’est pas à l’abri d’une hausse de sa surmortalité dans les prochaines années, car la province a dû faire du délestage pour préserver son réseau de la santé.

Si de nombreux citoyens en subissent les conséquences à retardement, cela risque de se refléter dans les statistiques.

« Il faudrait savoir si tous ces retards sur les interventions chirurgicales, les diagnostics, n’auront pas des effets sur la mortalité à long terme. Ce bilan-là, on ne l’a pas encore fait. »

— Une citation de  Alain Gagnon, professeur au Département de démographie de l'Université de Montréal

Ça va prendre peut-être quelques années avant que ça se manifeste sur les courbes d’espérance de vie, indique-t-il.

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