Relancer l’industrie automobile, une stratégie électorale?
La région et son secteur de l’automobile ont été intensément courtisés par Doug Ford dans les semaines menant à la campagne électorale.

Le constructeur Stellantis assemble la Chrysler Pacifica et sa version hybride à son usine de Windsor.
Photo : Associated Press / Carlos Osorio
La ville de Windsor et son moteur économique, l’industrie automobile, ont besoin d’un survoltage. Mais de bonnes nouvelles pointent à l’horizon : une usine de batteries s’installera bientôt dans la région et le constructeur Stellantis veut moderniser ses installations pour y assembler des véhicules électriques. Le vent de changement qui souffle sur le sud-ouest sera-t-il suffisant pour que Doug Ford l’emporte dans la région?
Blottie dans l’extrémité sud-ouest de la province, avec les États-Unis en toile de fond, la ville de Windsor est synonyme d’automobile.
La ville a connu des jours plus glorieux, alors que les emplois industriels se comptaient par dizaines de milliers. La région a traversé plusieurs crises depuis, mais ici, la résilience est dans l’ADN des gens.
« Ça en fait beaucoup des emplois qui ont été perdus ici à Windsor. »
Denis Desaulniers parle de la Chrysler Pacifica avec passion. Il connaît toutes les fonctionnalités de la minifourgonnette, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu'il travaille sur la chaîne d’assemblage. C’est une voiture solide, c’est pas comme les autres minivans qu’on construisait avant. Quand tu conduis, c’est comme flotter dans l’air
, lance Denis, avec fierté.
Les ventes de la Pacifica sont cependant décevantes. Le constructeur Stellantis a ralenti la production et de nouvelles mises à pied sont envisagées d’ici l’été. En 28 ans de carrière, Denis s’est habitué aux aléas de l’industrie automobile, mais cette fois-ci, il admet que la région a besoin d’un nouveau souffle.
« Il faut que les autos électriques arrivent pour nous ramener à nos trois shifts. Ça presse, parce que le monde veut travailler. »
À la fin mars, le gouvernement Ford annonçait en grande pompe l’arrivée d’une nouvelle usine de batteries destinées aux véhicules électriques. Le projet piloté par le géant de l’électronique LG et le constructeur Stellantis est évalué à 5 milliards de dollars. La contribution financière de la province, tout comme celle d’Ottawa, n’a pas été divulguée.
Avec les 2500 nouveaux emplois qui seront créés, la nouvelle usine pourrait devenir le symbole du renouveau de Windsor. Le premier chapitre d’une transition verte pour la ville.
Au début de mai, la province remettait un autre chèque à Stellantis, cette fois-ci pour appuyer la modernisation de ses usines d'assemblage de Windsor et Brampton. Les récentes annonces des gouvernements pour appuyer et stimuler l'industrie de l'auto redonnent espoir aux travailleurs comme Denis.
Le gouvernement voit finalement comment c’est important le secteur de l’automobile au Canada. Parce que je pense qu’on a été oubliés pendant beaucoup d’années
, explique-t-il.
Financement provincial pour le secteur de l’automobile annoncé avant le début des élections :
131 millions $ pour Honda Canada (annonce le 16 mars),
montant inconnu pour l’usine LG-Stellantis (annonce le 23 mars),
259 millions $ pour GM Canada (annonce le 4 avril),
513 millions $ pour la modernisation des usines de Stellantis (annonce le 2 mai).
Un plus pour la prochaine génération de travailleurs
C’est jour de présentations orales au Collège St-Clair. La remise des diplômes approche pour les étudiants de troisième année du programme de conception de produits automobiles.
L’installation d’une nouvelle usine de batteries à Windsor ne pourrait pas mieux tomber pour cette prochaine génération de travailleurs.
Il y a beaucoup d'emplois qui seront bientôt disponibles à Windsor. Si la bonne occasion se présente, je vais assurément sauter dessus
, répond Luke Kelly. Ça va nous remonter le moral et, espérons-le, nous permettre de rester les chefs de file de l'industrie automobile, ce que nous avons toujours été
, ajoute son camarade de classe, Matthew Penner.
La direction étudie la possibilité de lancer un nouveau cursus pour mieux préparer ses étudiants au marché de la voiture électrique.
Nous songeons à offrir un nouveau programme dédié non seulement aux véhicules électriques, mais aussi sur la technologie des batteries, le stockage et la distribution d'énergie
, explique le coordinateur, Dale Haggith.
Des infrastructures et cie
C’est une matinée occupée au garage Firestone, au centre-ville de Windsor. Marc Thibert est appelé en renfort pour réparer un moteur capricieux.
Moi je suis avec les moteurs de gaz, de diesel. Je sais comment réparer ceux-là. Mais électrique, c’est un peu différent
, admet le garagiste. M. Thibert ne se fait toutefois pas d’illusions : d’ici quelques années il devra réapprendre son métier.
Comme bien d’autres, son garage n'est pas spécialisé en véhicules électriques. Les employés n'ont pas l'expertise ni l'équipement nécessaire. La campagne électorale est donc l'occasion parfaite pour que les partis s'engagent au-delà de la fabrication de batteries et de voitures. Par exemple, M. Thibert espère des initiatives qui pourraient aider les entreprises comme la sienne, qui devront aussi s’adapter à la transition électrique.
« Je sais que mon patron est en train de trouver les manières pour nous former, pour faire tout ça, pour changer l'équipement. »
Ce n'est pas un secret, le conseiller municipal Kieran McKenzie est un partisan néo-démocrate.
Mais il accueille et encourage tout effort, tous partis confondus, pour faciliter la transition vers un monde des voitures électriques.
Pour y parvenir, il faudra un réseau de bornes de recharges efficace et accessible et des investissements pour appuyer cette industrie. Il invite les politiciens à saisir la balle au bond.
Le défi devant nous maintenant, c'est les infrastructures. Comme conseiller municipal, je suis en communication avec tous les gens qui veulent être élus
, indique le conseiller du district 9.
Trop peu, trop tard
À Windsor, les récents investissements dans l’industrie automobile sont accueillis comme une bouée de sauvetage. Tout le monde vous le dira. Or, un autre constat semble faire l’unanimité : le gouvernement Ford s’est traîné les pieds dans les dernières années.
Ça aurait pu venir beaucoup plus tôt
, lance Denis Desaulniers. On aurait pu tout le monde bouger un peu plus rapidement. Les gouvernements certainement, mais peut-être aussi l’industrie
, croit aussi Kieran McKenzie.
L’élimination du rabais provincial pour l’achat de véhicules électriques ou hybrides est aussi montrée du doigt. En 2018, la décision du gouvernement Ford a fait chuter les ventes en Ontario et n’a eu aucun effet sur le carnet de commandes de la Chrysler Pacifica. À l’exception des progressistes-conservateurs, tous les grands partis politiques proposent le retour des rabais.
Alors que Windsor prépare le prochain chapitre de son histoire industrielle, l’appui du gouvernement sera essentiel pour assurer la transition.
Je n’ai pas encore décidé, je regarde encore
, admet l’étudiant Matthew Penner, lorsqu’on lui demande quel parti obtiendra son vote.
Les électeurs veulent entendre les chefs partager leur vision pour le secteur automobile avant de se prononcer. Ils sont nombreux à attendre d’autres promesses qui pourraient alimenter l’espoir d’une industrie plus en santé.