L’héritage musical de Sylvain Lelièvre, 20 ans après sa mort
Le 30 avril 2002, l’auteur et compositeur Sylvain Lelièvre succombait à une embolie gazeuse cérébrale sévère.

Sylvain Lelièvre est décédé le 30 avril 2002 (archives).
Photo : Radio-Canada
Natif de Québec, Sylvain Lelièvre a laissé en héritage des dizaines de textes et de mélodies qui s’inscrivent dans le répertoire des grandes chansons québécoises.
20 ans après sa mort, le son de son piano résonne toujours aussi fort au coeur de certains. Des artistes qui l’ont côtoyé ou non se livrent sur les compositions de Sylvain Lelièvre, qui les ont habités et les habitent encore.

Sylvain Lelièvre
Photo : Antoine Désilet
Je suis un admirateur de son œuvre
Michel Rivard a connu Sylvain Lelièvre à ses débuts. Alors qu’il était jeune, le membre du groupe Beau Dommage allait voir son père jouer au théâtre, qui était situé juste à côté d’une boîte à chansons. Un soir, Danielle Oderra était sur scène. Elle a chanté quelques chansons d’un jeune auteur de Québec : Sylvain Lelièvre.
À l’époque où Beau Dommage enregistrait ses premiers albums, le réalisateur et ingénieur de son Michel Lachance travaillait aussi sur le disque de Sylvain Lelièvre.
C’est à ce moment que Michel Rivard l’a entendu. J’ai tout de suite été séduit par la qualité des textes de Sylvain et ses mélodies
, se souvient-il, malgré les années qui se sont écoulées depuis.
Les deux hommes ont développé une amitié professionnelle. Le chanteur de La complainte du phoque en Alaska explique qu’il y a toujours eu une parenté dans leur façon de faire de la musique. J’aime beaucoup chez les gens les qualités d’artisanat. On sent que les textes sont travaillés. Chaque mot est important.
Michel Rivard a eu l’occasion de chanter La Basse-Ville à plusieurs reprises. Il la reprend sur l’album Salut Sylvain! sorti en 2016.
C’est comme le gars de Beau Dommage qui fait semblant qu’il est né à Québec!
, rigole le musicien. C’est une chanson où l’auteur de Québec rend hommage au quotidien de l’enfance en rapatriant des souvenirs du quartier. C’est là que Beau Dommage et Sylvain Lelièvre se rejoignent.
À la lecture du roman Le troisième orchestre, Michel Rivard a réalisé que Sylvain Lelièvre avait un amour très fort pour le jazz. Il est heureux qu’il se soit permis de faire l’album Versant jazz Live au Lion d’or. Il s’est payé la traite.
Pour cet enregistrement qui a remporté le Félix du meilleur album de l’année jazz 2002 à l’ADISQ, le pianiste avait donné une saveur jazz à ses morceaux. On peut même y entendre le standard ‘Round Midnight.
« Sa mort m’a dévasté, mais j’étais au moins content de voir qu’il avait fait ça avant de mourir. Qu’il avait remis ses chansons dans un écrin qui leur rendait justice. »
C’est un immortel
L’écrivain et animateur de Quand le jazz est là Stanley Péan admire l’œuvre de Sylvain Lelièvre depuis son adolescence. Ça me séduisait, d’abord parce que j’aime le ton de la plupart de ses chansons, qui n’est pas si courant que ça en chanson francophone, c’est un ton très conversationnel.
Ce style particulier crée une certaine proximité avec l’auditeur. Ça n’a pas l’air écrit. C’est comme s'il est en train de te parler.
Sans surprise, Stanley Péan affectionne la rythmique jazzée de Sylvain Lelièvre. Il a un swing qui est directement descendant de Charles Trenet. C’est le premier qui a mis le swing du jazz dans la chanson franco.
Il souligne aussi l’intelligence des textes. C’est diablement bien écrit.
Sylvain Lelièvre savait mélanger habilement humour et émotion.
« Je n'suis qu'un joueur de piano,
cherchez pas trop loin dans mes mots.
Vous pourriez tomber sur le sol, bémol,
Et ça c'est mauvais pour le do, du joueur de piano »
L’animateur d'ICI Musique est convaincu que, même si les chansons de Sylvain Lelièvre ont moins de visibilité ces jours-ci, elles perdureront. Elles vont rester, parce que les chansons sont trop belles.
Je connais son œuvre par cœur, à l’endroit et à l’envers
Martin Théberge a découvert Sylvain Lelièvre à l’école de chant de Lucille Dumont. Elle nous faisait découvrir des artistes moins connus
, raconte l'ancien élève de Mme Dumont, dont Sylvain avait été le pianiste.
Je suis vraiment tombé sous le charme de ses chansons par ses écrits, par ses propos. Il était très avant-gardiste sur ce qui s’est passé dans le monde.
Le chanteur maintient que Sylvain Lelièvre n’est pas assez connu. J’ai souvent dit à des amis que c’est un peu comme le Brel du Québec.
Il a enregistré en 2021 Martin Théberge chante Lelièvre, qu’il présente aussi sur scène.
Sur le disque, il a pris la décision de ne pas reprendre les titres les plus connus comme Old Orchard, Marie-Hélène ou Petit matin. Au moment de faire le spectacle, la metteuse en scène Joe Bocan tenait à ajouter ces plus grands succès.
Finalement, il a appris à aimer ces chansons, même s’il considère que le propos est moins profond. Old Orchard, c’est juste une histoire de partir en vacances et de se faire bronzer pendant quinze jours, mais c’est cute!
Martin Théberge est l'un des artistes qui participeront au spectacle hommage Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? qui se tiendra le 10 septembre 2022 au Palais Montcalm.
Florence K, Daniel Boucher, Pierre Verville, Roberto Medile et Danielle Oddera font aussi partie de la distribution.
Il est important par les chansons qu’il a laissées
C’est Martin Leclerc qui est l'instigateur du spectacle hommage. Le producteur a participé à la carrière de Sylvain pendant plusieurs années.
Sentir sa présence, c’est l’élément essentiel de cette soirée-là
, explique le producteur qui veut transmettre le legs musical de Sylvain Lelièvre dans ce concert.
« Il n’a pas eu la carrière de Ferland, Vigneault ou Charlebois, mais son oeuvre est importante. »
Pour lui, une chanson incontournable de son ancien collègue est Lettre à Toronto.
Quand j’ai commencé dans le métier, j’ai signé avec une multinationale. Cette chanson-là reflète beaucoup ce que j’ai pu vivre en début de carrière.
Moi, c’est sûr que je ne l’oublie pas
L'interprète Paule-Andrée Cassidy se rappelle avoir entendu des chansons de Sylvain Lelièvre à la radio alors qu'elle était jeune. Ce n'est qu’un peu plus tard dans sa carrière qu’elle a ajouté ces chansons à son répertoire.
La chanson Qu’est-ce qu’on a fait de nos rêves? est celle qu’elle a le plus chantée sur scène. Je la trouve vraiment forte. C’est un regard sans complaisance que quelqu’un porte sur ses ambitions, sur comment on peut s’assagir ou pas.
Elle gardait souvent ce titre pour la fin des spectacles, en rappel. C’est une belle chanson de relation avec le public. Ça implique vraiment le spectateur, parce qu’on lui pose une question.
Sur l’album 20 ans, Paule-Andrée Cassidy a enregistré sa version de la chanson Le fleuve. C’est une que j’ai moins chantée sur scène, mais qui m’a habitée longtemps.
La chanteuse considère que le texte décrit bien son enracinement à la ville de Québec. C’est à la fois des racines et des ailes. On a ça avec l’accès au fleuve. C’est à la fois rassurant et qui nous porte plus loin.
« Des fois quand j'ai le cœur, écœuré d'être en ville
Je viens le voir passer, les pieds vissés à terre
Mais les yeux envolés, vers l'est plus loin que l'île
Où l'horizon bascule, et les rives se perdent »