Des infirmières obligées de passer par le Québec pour pouvoir travailler au N.-B.
Elles dénoncent que, malgré les nombreuses critiques concernant l'examen NCLEX ces dernières années, la situation se répète et garde de potentielles infirmières hors des établissements de santé.

Irène Duguay est diplômée de l'Université de Moncton en sciences infirmières en 2016. Elle a réussi à l'examen de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec en 2020.
Photo : Radio-Canada
Après avoir toutes deux échoué une dizaine de fois à l'examen qui leur permet de travailler comme infirmières au Nouveau-Brunswick, deux femmes en ont eu assez et se sont tournées vers le Québec, où on utilise un examen différent.
Pari réussi : elles l'ont passé du premier coup. Katia Daigle et Irène Duguay dénoncent aujourd'hui un parcours du combattant pour exercer leur métier dans une province où on a plus que jamais besoin d'elles.
Selon les deux infirmières, la formation qu'elles ont reçue à l'Université de Moncton les prépare beaucoup mieux à l’examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ
) qu'à l'examen NCLEX , utilisé au Nouveau-Brunswick depuis 2015.L'examen NCLEX
est utilisé dans toutes les provinces canadiennes, à l'exception du Québec. Les candidates qui passent l’examen en français ont un plus faible taux de réussite à la première tentative que les candidates qui le passent en anglais, notamment en raison du matériel préparatoire, surtout disponible en anglais.Irène Duguay, qui travaille aux Résidences Inkerman Inc dans la Péninsule acadienne, et Katia Daigle, aujourd’hui infirmière à l’Hôpital régional d’Edmundston, ont choisi le métier d'infirmière en pensant qu'elles auraient du travail sans problème. Elles avaient entendu parler de la pénurie de main-d'œuvre dans la profession au Nouveau-Brunswick.

Katia Daigle a gradué de l'Université de Moncton en sciences infirmières en 2019. Elle a échoué à l'examen NCLEX 8 fois.
J’avais de bonnes notes et c’était une valeur sûre, je me disais que je ne manquerais pas de travail
, se souvient Irène Duguay.
Au terme de quatre ans d’études, les deux étudiantes se sont préparées à passer l’examen NCLEX
. Et c’est là que les choses se sont corsées.Katia a échoué à l’examen 8 fois, alors qu’Irène a tenté, sans succès, de le passer à 10 reprises.
« J’adore mon métier. Je ne l’échangerais pour rien au monde. Mais si j’avais su tout ce que j’allais devoir passer au travers pour y arriver, non, je n’aurais pas fait le choix de devenir infirmière. »
Toutes les deux mères de famille, ces infirmières se sont retrouvées dans une impasse. Elles devaient trouver une solution pour parvenir à joindre les deux bouts, mais ne voulaient pas laisser derrière un métier qui était devenu leur vocation.
Je me sentais vraiment démoralisée. C’est dur sur l’estime de soi. Je me disais que je ne devais pas être faite pour être infirmière. […] Je ne pouvais pas terminer mon congé de maternité, me retrouver sans emploi et retourner travailler au salaire minimum de nouveau… j’ai un baccalauréat
, raconte Katia Daigle.
L'université « ne prépare pas » les étudiantes au NCLEX
Tout comme d’autres étudiantes du programme de sciences infirmières en français dans la province, Katia Daigle et Irène Duguay déplorent que le matériel de préparation à l’examen NCLEX ne soit disponible qu'en anglais.
Moi, j’ai fait mon baccalauréat en français. Je ne suis pas bilingue. Je comprends l’anglais, mais on parle de termes médicaux. On n’avait aucune matière en français à étudier
, déplore Irène Duguay.
Les deux infirmières avaient l’impression que leur formation ne les avait pas préparées adéquatement pour réussir l’examen NCLEX
.« [L’examen du Québec] n’était pas facile, mais il représentait beaucoup plus ce que j’avais appris dans mon baccalauréat. Il n’y avait pas une maladie que je ne connaissais pas, il n’y avait pas un médicament que je ne connaissais pas. Je ne m’étais jamais sentie comme ça les 10 fois [avec l’examen NCLEX ]. »
Passer l'examen du Québec pour travailler au Nouveau-Brunswick
Katia Daigle et Irène Duguay ont appris qu'elles avaient la possibilité de passer l’examen de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ
) en parlant avec d’autres collègues qui avaient également eu de la difficulté à passer l’examen NCLEX.Toutes les deux ont décidé de donner une dernière chance à leur rêve en allant passer leur examen à Rimouski, au Québec. Irène Duguay l’a réussi du premier coup en septembre 2020. Même scénario pour Katia Daigle, un an plus tard.
J’étais vraiment contente. Je n’avais jamais été contente comme ça
, dit Katia Daigle.
Mais réussir l'examen dans la province voisine signifie faire quelques pirouettes administratives au retour. Pour avoir le droit de retourner travailler au Nouveau-Brunswick, elles ont dû faire de nombreux allers-retours entre les deux associations professionnelles.
Ç'a été une démarche extrêmement lente. [J’ai dû passer par] de nombreux appels, de nombreux papiers, mais au final [la démarche] en a valu la peine
, explique Irène Duguay.
Toutes les deux affirment que si elles avaient été mises au courant plus tôt de la possibilité de passer l’examen pratique au Québec, elles n’auraient pas essayé l’examen NCLEX
une dizaine de fois comme elles l'ont fait.Irène Duguay estime que les coûts associés aux dix tentatives de passer l’examen NCLEX
, qui se donne à Fredericton et à Halifax — les frais d’inscription, les déplacements, les hôtels, les congés de travail — s’élèvent à au moins 10 000 $.Un scénario qui se répète
Katia Daigle et Irène Duguay indiquent que d’autres étudiantes qui ont échoué à l’examen NCLEX
les contactent, car elles songent à passer l’examen du Québec.Katia Daigle ne mâche pas ses mots.
« Je trouve ça affreux. On a fait des stages cliniques. On a réussi nos stages. On a eu notre diplôme. Je trouve ça déplorable. Il manque de main-d'œuvre, on a besoin d’infirmières, ils rendent ça très difficile avec le NCLEX . »
Irène Duguay s’explique mal que des infirmières avec qui elle a étudié ne soient pas sur le marché du travail aujourd’hui. [L’AIINB ] s’entête à garder cet examen-là, et je ne comprends pas pourquoi. Honnêtement, [le Nouveau-Brunswick] n’en fais pas assez pour garder ses infirmières.
En réponse à nos demandes d’entrevue, l’AIINBreconnaît la possibilité pour les diplômées en sciences infirmières du Nouveau-Brunswick de passer l’examen du Québec. Cette possibilité existe depuis de nombreuses décennies, bien avant l’adoption de l’examen NCLEX-RN. Les diplômées sont toutes informées de cette possibilité par l’AIINB
.
Quant au ministère de la Santé de la province, le porte-parole Bruce Macfarlane affirme que l’AIINB a fait traduire en français des documents de préparation pour l’examen NCLEX .
Il précise toutefois qu’il serait préférable que nos diplômées en sciences infirmières puissent passer l’examen NCLEX et d’abord obtenir l’immatriculation au Nouveau-Brunswick, plutôt que d’avoir à le faire dans une autre province, car cela ajoute une étape à leur processus d’immatriculation
.
En entrevue au Téléjournal Acadie, Suzanne Harrison, directrice de l'École de science infirmière de l'Université de Moncton, affirme que l'examen du Québec est une solution à court terme.
Cela va certainement aider les étudiants. Je vois ça comme une lueur d'espoir. Parce qu'ils ne devraient pas avoir à [passer] l'examen [NCLEX] autant de fois.
Elle juge que le programme de l'université forme adéquatement ses étudiantes. Nos partenaires sont fiers de la qualité des étudiants qu'on produit. Je crois fondamentalement que c'est l'examen NCLEX qui est le problème
, conclut-elle.
Au Québec, on dit être au courant que des diplômées d'ailleurs au Canada, qui n'ont pas l'autorisation de pratique dans leur province, choisissent de passer l'examen de l’OIIQ
.L’ordre n'est pas en mesure de dire combien d'étudiantes néo-brunswickoises passent un examen au Québec chaque année, mais estime que ces diplômées ne constituent qu’un petit nombre de personnes inscrites.
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