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Chronique

Mort de Robert Ouimet, DJ montréalais qui a changé le cours de l’histoire de la musique

Robert Ouimet regarde vers le ciel et la lumière du soleil illumine son visage.

Robert Ouimet a continué jusqu'à la fin de sa vie à produire de la musique électronique.

Photo : Radio-Canada / Denis Wong

Le montréalais Robert Ouimet, l’un des DJ les plus influents de l’histoire du Québec, s’est éteint subitement mais paisiblement le 21 avril dernier à l’âge de 74 ans. À partir du bar le Lime Light de Montréal, il a changé le cours de l’histoire de la musique et inspiré des dizaines de disc jockeys.

Le Lime Light

Mai 1977, au 1254, rue Stanley à Montréal, tout juste au sud de la rue Sainte-Catherine, nous sommes au cœur du centre-ville, en pleine folie du disco, et le rythme cardiaque est donné par le DJ Robert Ouimet dans cette discothèque baptisée le Lime Light. Cette boîte de nuit, ouverte de 1973 à 1981, est devenue pendant un moment la mecque montréalaise de la musique disco grâce à Ouimet.

En cette soirée printanière, Robert Ouimet tient entre ses mains le nouveau single de la chanteuse disco américaine Donna Summer. Il venait peut-être tout juste de rapporter ce disque de New York, où il se rendait régulièrement pour cueillir les dernières sorties musicales.

Être un DJ, ce n’est pas qu’être un juke-box

Le concept du nouvel album de Donna Summer I Remember Yesterday, qui paraîtra officiellement quelques semaines plus tard, est de ramener la personne qui l'écoute dans l’histoire de la musique. Chaque pièce doit évoquer une décennie musicale.

Le premier single de l’album que Robert Ouimet a entre les mains contient, en face A, sur le plug side (c’est souvent ainsi qu’était désignée la face d’un 45 tours que la maison de disques avait identifiée comme le succès à faire jouer à la radio), la pièce Can’t We Just Sit Down (And Talk It Over). C’est une ballade mielleuse, de la pop. On peut penser que la pièce laisse Ouimet indifférent, parce que c’est la face B qui attire son attention.

Robert nous a montré qu’être DJ, ce n’est pas qu’être un juke-box, nous dit son ami et collaborateur de longue date Christian Pronovost. Michel Simard, un autre de ses proches partenaires, ajoute que c’était une personne qui ne faisait pas juste mettre de la musique, il éduquait le monde. Il faisait jouer des tounes que personne ne connaissait. Pas pour plaire, pour éduquer.

Concentré, Robert Ouimet fait des ajustements sur un tourne-disque.

Robert Ouimet et les autres DJ de sa génération ont profité de l'arrivée du maxi 45 tours, un vinyle au meilleur son et plus facile à manipuler.

Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Robert Ouimet

De Grandmaster Flash à Kraftwerk

Au diable le plug side! Robert Ouimet adore ce qu’il entend sur la face B du 45 tours. La pièce, en grande partie à l’ordinateur, est l'œuvre du compositeur Giorgio Moroder. Ces sons synthétiques et répétitifs lui plaisent. Le morceau, intitulé I Feel Love, est destiné à représenter le futur de la musique dans l’album conceptuel de Donna Summer.

Il s’intéressait à tout ce qui était électronique, explique Michael Williams, qui a rencontré Robert Ouimet en 1973, à son arrivée de Cleveland pour s’installer à Montréal. Michael Williams est devenu DJ lui-même, puis animateur à CHOM et à CKGM, et l’un des premiers animateurs de MuchMusic, en 1984. Il pouvait faire jouer l’une après l’autre des chansons de Grandmaster Flash and the Furious Five puis du Kraftwerk, illustre Williams.

Innovations sociales et techniques

I Feel Love fait exploser la piste de danse du Lime Light ce soir-là. La chanson devient un succès pour les soirées de Robert Ouimet. Son influence est déjà majeure. Après tout, il avait été nommé meilleur DJ en Amérique du Nord par le magazine Rolling Stone en 1976.

Les maniaques de musique de Montréal savent qu’il faut assister aux soirées de Ouimet pour découvrir les nouveaux sons et les nouveaux succès. Sa notoriété est énorme. Mais ce ne sont pas que les nouveautés musicales que les autres DJ viennent chercher auprès de lui. Les communautés gaie et hétéro de Montréal se mélangent au Lime Light. L’ouverture d’esprit de Montréal vit entre les murs de ce club. C’est un élément social important.

Mais ce n’est pas tout, sur le plan technique, Ouimet va aussi au-devant de l’art et de la maîtrise des platines.

Tout vêtu de blanc, Robert Ouimet prend la pose dans la cabine où il mixe la musique.

Robert Ouimet est considéré par plusieurs comme étant le parrain du disco à Montréal.

Photo : Radio-Canada / Gracieuseté de Robert Ouimet

Quand je suis allé l’écouter pour la première fois au Lime Light, avant que je le connaisse, c’était la première fois que j’entendais quelqu’un qui « beatmatchait ». Moi qui commençais à être DJ, je me demandais comment il faisait pour changer les tounes sans que je m’en aperçoive. Je trouvais ça vraiment impressionnant », témoigne Michel Simard.

Cette technique, de nos jours, va de soi dans la culture DJ. Les tempos de chansons que les DJ enchaînent sont ajustés afin que leur rythme soit le même. La transition d’une pièce à l’autre se fait tout en douceur, sans que la personne qui écoute ou qui danse s’en aperçoive. À la fin de 1970, cette technique était nouvelle et exigeait une précision certaine et une bonne oreille. De nos jours, les logiciels pour DJ réalisent ce beatmatching de manière automatisée.

Le parrain des DJ montréalais

Toujours au-devant de la vague, Ouimet fait découvrir I Feel Love à son public ainsi qu’aux autres DJ qui viennent l’écouter mixer, comme Michel Simard, Michael Williams, Christian Pronovost et Flight Almighty. Le succès essaime d’une piste de danse à l’autre, puis se rend à la radio.

Le témoignage publié par Flight Almighty, pionnier de la culture hip-hop à Montréal, explique comment une chanson jouée sur la piste de danse par Ouimet pouvait trouver écho à la radio.

Quand j’habitais à New York, étant plus jeune, j’étais obsédé par les DJ qui mixaient et faisaient des transitions entre les chansons à la radio locale. En arrivant à Montréal au cours des années 70, j’étais un peu perdu musicalement, jusqu’à ce que je demeure éveillé tard un soir et que je tombe sur l’émission Live From the Lime Light With DJ Robert Ouimet, raconte le DJ.

J’en suis devenu fou. Je me suis dit : "Un jour, il faudra que je le rencontre." La vie est drôlement faite; je l’ai plus que simplement rencontré. Les deux hommes ont travaillé ensemble au cours des années 90, quand Flight effectuait une transition de la culture hip-hop vers le house.

Ouimet a donc une influence jusque sur les ondes radio. Après quelques semaines, la maison de disque Casablanca réalise que la face B du 45 tours de Donna Summer a supplanté la face A en popularité. L’étiquette se voit donc contrainte de rééditer le disque avec, cette fois, I Feel Love en face A. Nous sommes alors au début de l’été 1977.

Le son du futur

En juillet 1977, I Feel Love grimpe les échelons du palmarès Billboard. Elle atteint le numéro un en Angleterre et en France, pour ne nommer que ces pays, et figure au palmarès des 10 singles les plus populaires au Canada et aux États-Unis cette année-là. Le son futuriste de la pièce s’apprête à changer le cours de l’histoire de la musique.

Des années plus tard, en 2017, en entrevue avec le magazine Rolling Stone, Giorgio Moroder, cocompositeur de la chanson, parlerait d'un aveu que David Bowie lui aurait fait. Selon cette histoire, Bowie travaillait en studio avec Brian Eno à Berlin quand la chanson est devenue un succès. Quand Eno l’a entendue, il aurait été renversé.

Il aurait accouru au studio pour dire à Bowie : Je viens d’entendre le futur de la musique! Bowie en aurait été un peu froissé, croyant lui-même être en train de créer le son du futur de la musique avec sa trilogie berlinoise. Eno aurait carrément dit à Bowie que ce son avait le potentiel de devenir celui qu’on entendrait sur les pistes de danse pour les 15 prochaines années.

Il avait vu juste. Au fil du temps, I Feel Love s’est constamment retrouvée dans de nouvelles listes de chansons les plus influentes de l’histoire pour toutes sortes de raisons. Elle a notamment eu une influence importante sur le développement du disco, du new wave, du post-punk, de la musique Hi-NRG, du dance et du house. Rien que ça.

Si Robert Ouimet ne l’avait pas sélectionnée, I Feel Love n’aurait peut-être jamais connu ce destin unique et l’histoire de la musique ne serait pas exactement ce qu’elle est aujourd’hui. En 1977, le magazine Billboard lui a d'ailleurs décerné le titre de DJ disco canadien de l’année.

Rebelle et iconoclaste

Ce n’est qu’un seul exemple, peut-être le plus marquant, de la marque qu’a laissée Robert Ouimet. Toujours tourné vers l’avenir, il a lui-même annoncé la mort du disco à la fin des années 70, selon son ami Christian Pronovost. Son nom est associé à la musique disco, mais c’était aussi un gars très punk, iconoclaste, affirme Pronovost. Autant il a été associé au disco, autant c’est lui qui l’a assassiné. Ce n’est pas juste un DJ iconique des années 70, c’est aussi lui qui a détruit le disco. Robert Ouimet, c’est un rebelle. C’est un gars qui a aimé mieux vivre sa vie et faire les choses qu’il voulait comme il voulait que de connaître le succès et faire de l’argent.

Ouimet a en effet continué à être DJ. Mais il a aussi travaillé comme réalisateur et producteur de disques, ainsi que comme compositeur dans le domaine de la musique dance. En 1994, d’ailleurs, il a remporté le Juno de la chanson dance de l’année pour la pièce Thankful, cocomposée avec son complice Miguel Graça, pour leur formation Red Light.

C’est pour toutes ces raisons – et beaucoup d’autres encore qui mériteraient littéralement un livre afin d’être expliquées de manière exhaustive – que Robert Ouimet a été sacré parrain des DJ montréalais. Il n’a jamais cessé ses activités. Une de ses prestations de 2021 a par ailleurs été captée et est accessible sur YouTube.

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