Immigration Canada impose à une veuve de recommencer ses démarches
Une mère de famille montréalaise doit redémarrer un long processus d’immigration en raison de la mort de son mari.

Après le décès de son mari, Manon Tombi a appris que son dossier d'immigration allait être fermé. Une surprise totale pour cette mère de famille installée au Québec depuis plus de 10 ans.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Assise sur son canapé, les yeux larmoyants, Manon Tombi cherche ses mots. La voix sanglotante, cette Montréalaise d’origine française, au doux accent marseillais, refuse cependant de plonger.
Je n’ai pas le temps de pleurer, sinon tout s’effondre
, confie-t-elle dans sa petite maison de Pointe-aux-Trembles.
Cette jeune mère de famille de 31 ans a pourtant vécu l’enfer. Le deuil. Les cauchemars administratifs. Et les pleurs seraient légitimes. Logiques. Mais elle résiste.
Arrivée au Québec en 2011, Manon Tombi se dirigeait tout droit vers un scénario de rêve. Une immigration quasi parfaite. Une vie idéale.
Diplômée de l’Université de Montréal en science politique, elle a rencontré son futur mari, français lui aussi, au Québec. À l’été 2020, elle donne naissance à Marie-Rose, leur deuxième enfant, et le couple attend alors patiemment sa résidence permanente. Un bonheur, finalement, qui s’éteint en septembre.
Victime d’une leucémie qui n’avait jamais été diagnostiquée, Nicolas décède à l'hôpital Notre-Dame. On pensait qu’il avait la COVID, mais les antibiotiques n’ont eu aucun effet. Il allait de plus en plus mal. L’ambulance est venue un mercredi et il n’est jamais rentré
, se souvient-elle.

Le mari de Manon Tombi, Nicolas, est décédé en septembre 2020, quelques semaines après la naissance de Marie-Rose.
Photo : Gracieuseté : Manon Tombi
Le coup de grâce
d'Immigration Canada
Quelques mois plus tard, Manon prend contact avec Immigration Canada. Je voulais les appeler, mettre notre dossier à jour, les prévenir du décès de mon mari
, dit-elle. Mais rien ne se passe comme prévu.
Un agent au téléphone m’a dit qu’il n’y avait aucune procédure dans ce cas-là
, raconte-t-elle.
Mais le choc, brutal, survient un peu plus tard, au printemps 2021, lorsqu'elle prend connaissance d'une lettre envoyée par ce même ministère. Une nouvelle tragédie.
Immigration Canada l’informe que son dossier de résidence permanente sera fermé
. Nicolas étant le demandeur principal, il n’y a aucune éligibilité pour le conjoint
, peut-on lire dans ce document.
Il fallait mettre un demandeur principal au dossier. C'était la loterie, c'était lui ou moi. Pour nous, ça ne changeait rien à cette époque
, explique-t-elle.
Ça a été le coup de grâce. Je venais tout juste de sortir de toutes ces affaires de succession et j’étais à 10 000 lieues de m’attendre à ça
, déplore cette coordonnatrice de projets dans le domaine de la communication.
Tu essaies de te remettre d’un deuil, de reprendre la vie tant bien que mal, puis il y a ce dédale procédurier interminable, avec Immigration Canada, qui te remet dedans.
Même si elle est francophone, diplômée et employée déjà au Québec, Manon doit finalement tout recommencer à zéro
. Et faire face à d’intenses embûches administratives.
Son certificat de sélection du Québec ayant expiré, elle est contrainte également de recommencer l’étape provinciale. Son permis de travail, quant à lui, a atteint sa période de validité.
À l’instar de son fils, né en France, elle a donc perdu ses droits d’accès à l’assurance maladie québécoise. J'ai tout fait, j'ai appelé mon bureau de député, mais personne n'a pu m'aider. J'essaie d'expliquer mon cas à la RAMQ. Je suis dans une zone grise et dans un statut implicite
. Mais sans aucune garantie.
Maintenant, pour l’immigration, je ne suis plus rien. Pourtant, je travaille, je paye mes impôts, mon fils joue au baseball et j’ai même une rente de survivant.
Comment se sent-elle? C’est du stress
, lâche-t-elle, les mains tremblantes. Je fais comment si mon fils doit être hospitalisé? Ou moi? Je ne peux même pas quitter le territoire.
Mais hors de question, clame-t-elle, de franchir à nouveau l’Atlantique. Tout le monde pensait qu’on allait reprendre nos valises, mais notre vie est ici. On a une maison, une hypothèque, des amis ici. J'ai tout construit au Québec et ma fille est Canadienne.

Manon Tombi est contrainte de recommencer toutes les procédures d'immigration de zéro. En attendant, elle n'a plus de permis de travail valide.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Une situation absurde
Désormais, Manon Tombi risque de patienter encore longtemps avant de décrocher sa résidence permanente. Les délais de traitement visant les travailleurs qualifiés du Québec, estimés à 28 mois en début d’année, viennent de grimper à 31 mois, selon des données disponibles sur le site d’Immigration Canada.
À ses yeux, ce ministère n’a jamais regardé [son] dossier
. J’ai l’impression de ne pas avoir eu affaire à des humains, qui auraient pu simplement garder mon nom dans le dossier original et barrer celui de mon mari. Je ne comprends pas
, répète-t-elle, toujours incrédule.
C’est complètement absurde
, assure Stéphanie Valois, la présidente de l’Association québécoise des avocats et avocates en droit de l’immigration (AQAADI).
Immigration Canada devrait faire preuve de plus de bon sens et de compassion.
C’est de la bureaucratie pure et dure, ajoute-t-elle. Il y a des circonstances exceptionnelles, comme celle-ci, où le ministère devrait faire preuve de souplesse.
Un sentiment partagé par Le Québec c’est nous aussi. C’est symptomatique d’un système qui n’a aucune flexibilité
, juge Claire Launay, la porte-parole de cet organisme qui aide les immigrants.
Les gens ne sont pas des numéros. Il faut faire preuve d’humanité.
Ce n'est malheureusement pas surprenant, estime-t-elle. Immigration Canada oublie que derrière un dossier, il y a une famille et des conséquences. Le modèle utilisé par ce ministère doit évoluer. Il n'est plus du tout adapté aux personnes qui vivent déjà ici, qui ont leur vie ici.
Debout devant son escalier, Manon Tombi formule un dernier voeu, à haute voix. Je ne sais vraiment pas ce qui m'attend, mais j'espère que tout ça va un jour s'arrêter.
Le ministre Fraser va faire un suivi
Après la publication de ce reportage, plusieurs élus ont fustigé Immigration Canada. Je présume en toute simplicité que le ministre interviendra – et nous en informera – pour secourir cette femme et sa famille en situation déplorable. La machine, ok, mais au-dessus, on élit des gens dont on attend de la compassion
, a écrit sur les réseaux sociaux le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet.
D’un point de vue humain, c’est un véritable drame. D’un point de vue administratif, c’est cruel
, a de son côté indiqué le député du Nouveau Parti démocratique, Alexandre Boulerice.
Questionné, en Chambre, par le député bloquiste Alexis Brunelle-Duceppe, qui a déploré le manque de cœur
de l'administration fédérale qui aurait abandonné
Manon Tombi, le ministre de l'Immigration, Sean Fraser, a affirmé avoir été informé de cette situation
.
J’aimerais offrir mes plus sincères sympathies à Mme Tombi, a-t-il répondu. Soyez assurés que je vais faire un suivi dans ce dossier.