Et si on embauchait plus d’hommes pour venir à bout de la pénurie d’enseignants?

En 2020, 25 % des membres de l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario étaient des hommes.
Photo : Getty Images / monkeybusinessimages
On observe au sein des écoles québécoises et ontariennes une pénurie du personnel enseignant dont les effets ont été renforcés par l'absentéisme provoqué par la sixième vague de la COVID-19. Une des solutions pour pallier le problème serait, selon certains experts, d'inciter plus d'hommes à travailler en éducation.
En 2020, 25 % des membres de l'Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario étaient des hommes, selon les statistiques officielles.

Depuis des années, les hommes représentent le quart environ des membres de l'Ordre des enseignantes et enseignants de l'Ontario.
Photo : Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario
Égide Royer, psychologue et spécialiste de la réussite scolaire, pense que ces chiffres sont plus bas encore au préscolaire.
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Pour M. Royer, une augmentation du nombre d’enseignants masculins passe par une meilleure réussite scolaire chez les garçons. Or, selon lui, le climat actuel ne se prête pas à la création de programmes qui visent les hommes.
Avoir des interventions qui favorisent la réussite des garçons ou avoir des interventions qui augmentent la participation des hommes en tant qu’enseignants ce n’est pas radioactif présentement, mais c’est pas loin
, explique-t-il.
Pour Normand Bourque, enseignant à l’école élémentaire Saint-Edmond de Windsor depuis près de 35 ans, le choix de faire carrière en enseignement est souvent lié à des traits de personnalité.
Mais Guy Talla, enseignant de Scarborough, lui, affirme que des réalités très pratiques, comme la possibilité de travailler dans sa communauté, peuvent pousser des hommes à choisir l’enseignement.
Une question de modèles
M. Royer pense que l’écart entre hommes et femmes ira en s’agrandissant, à moins que des mesures ne soient prises pour pallier cette difficulté. Il suggère la création d'un programme en ce sens.
Imaginez des enseignants présentement du secondaire qui vont faire un tour au primaire ou qui font même du repérage au secondaire au niveau de la 11e, 10e année
, suggère-t-il.
Admettons qu'à ça est associé un programme de bourses, à ça est associée une forme de mentorat pour accompagner le jeune au niveau universitaire, là, on verra un changement.
Pour M. Royer, autant on songe à la promotion de modèles et à la mise en place de programmes qui aident les jeunes filles à vouloir devenir administratrices ou scientifiques, autant il faudrait songer à mettre en place des programmes qui pousseraient les jeunes hommes à aller vers des programmes vers lesquels ils ne sont pour le moment pas enclins à aller.
M. Royer affirme qu’on a traditionnellement considéré qu’il y avait chez les femmes quelque chose de maternel qui faisait qu’elles étaient mieux disposées que les hommes à travailler dans des écoles, notamment à l'école maternelle et primaire.

Égide Royer souhaite un changement de perspective.
Photo : Radio-Canada
Il note cependant qu’il a eu des évolutions sociales au fil des années qui font que désormais des hommes s’occupent de leurs enfants, prennent des congés de paternité, preuve que les choses peuvent changer, dit-il. Il pense qu’il faut simplement des modèles aux jeunes hommes pour susciter chez eux la passion de l’enseignement.
Je peux très bien, moi, comme étudiant, comme élève au primaire, n’avoir rencontré que très peu d’hommes. J’ai très peu de modèles pour dire : "Oh mon dieu, c’est ça que je voudrais faire plus tard". On n’en voit pas tant que ça
, explique-t-il.
M. Bourque abonde dans le même sens. Durant sa longue carrière, il n'a vu que très peu d'enseignants hommes, dit-il.
J’ai été longtemps le seul homme. [...] J’ai commencé ma carrière, sur un personnel de 20 [enseignants] on devait être à peu près trois hommes, quatre hommes, y compris le directeur
, explique-t-il.
À un moment donné, je ne me rappelle pas dans quelles années c’était, peut-être dans les années 90, j’ai été pour plusieurs années seul, puis ensuite c’était un ou deux, et ça a toujours été à peu près comme ça.
M. Bourque affirme qu'il y a, dans sa personnalité, un aspect relatif à l'affectif qui l’a mis dans les meilleures dispositions pour s’occuper de jeunes élèves.
Moi, je suis un ferme croyant que l’affectif précède le cognitif. Alors, on est vraiment dans cette phase de développer avec nos élèves des relations qui sont saines et qui sont basées sur le respect de l’autre, et ce n’est peut-être pas nécessairement une tendance qui s’assujettit à l’homme
, explique-t-il.
Pragmatisme
Pour Guy Talla, enseignant dans une école élémentaire de Scarborough, s’il y a peu d’hommes dans l'enseignement au niveau élémentaire, notamment, c’est parce que la société considère des professions comme l’enseignement, la santé comme dédiées plus aux femmes
, explique-t-il.
Il affirme qu’il y a huit hommes environ dans l’école au sein de laquelle il travaille sur un personnel enseignant de plus ou moins 30 personnes.
Originaire du Cameroun, il explique que l'enseignement n'est pas son premier choix. Il a tenté, deux années durant, de décrocher un poste d’ingénieur, vu qu’il avait effectué des études dans le domaine au Québec à son arrivée au Canada.

Guy Talla enseigne le français dans un conseil scolaire anglophone de la région de Toronto.
Photo : Gracieuseté de Guy Talla
Il explique que travailler au secondaire l'attire plus que l'élémentaire.
C’est sûr que je me sentirais plus à l'aise au secondaire. Le secondaire c’est un peu des spécialités. Soit tu enseignes seulement les mathématiques, soit tu enseignes les sciences ou tu enseignes l’histoire
, indique-t-il.
Alors qu’au primaire, quand tu prends une classe tu touches à un peu de tout. [...] Donc je me sentirais plus à mon aise au secondaire.
S’il affirme aimer son métier, il confesse néanmoins que ce sont des réalités très pratiques qui expliquent qu’il n’a pas encore obtenu les qualifications requises pour devenir enseignant dans une école secondaire.
Dans une ville comme Toronto, il y a plusieurs paramètres qu’il faut aller chercher. Le lieu où tu choisis de résider, c’est un paramètre. S’il y a aussi une école secondaire dans la région, qu’il y ait des opportunités dans cette école. Il y a plus de personnes au niveau élémentaire parce que la demande y est plus forte
, explique-t-il.
Selon M. Talla, la demande d'enseignants n'est pas aussi forte au secondaire qu'à élémentaire.
Et pour M. Bourque, peu importe le sexe de l'enseignant, le plus important, c’est que ceux qui s’engagent dans la profession comprennent qu’il s’agit d’un métier exigeant.