Malgré l’obstination des derniers résistants, Poutine revendique un « succès » à Marioupol

Des soldats de la république autoproclamée de Donetsk, en patrouille dans Marioupol, mardi. Les combattants de cette république reconnue par Moscou prêtent main-forte aux soldats russes dans la ville portuaire.
Photo : La Presse canadienne / AP/Alexei Alexandrov
Le président Vladimir Poutine a revendiqué jeudi le « succès » des troupes russes dans la ville portuaire stratégique de Marioupol, dans le sud-est de l'Ukraine, et ordonné le siège des derniers combattants retranchés dans l'énorme complexe métallurgique d'Azovstal.
L'achèvement des travaux de combat pour libérer Marioupol est un succès
, a déclaré le maître du Kremlin lors d'une rencontre télévisée avec son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou. Mettre sous contrôle un centre aussi important dans le sud que Marioupol est un succès.
M. Poutine a ordonné par la même occasion aux troupes russes de ne pas lancer un assaut sur le complexe d'Azovstal – où sont retranchés 2000 militaires ukrainiens et environ 1000 civils, selon ce qu'a déclaré jeudi le président ukrainien, Volodymyr Zelensky –, mais de l'assiéger.

Le président russe Vladimir Poutine, lors d'une rencontre télévisée avec son ministre de la Défense, Sergueï Choïgou
Photo : Reuters / Kremlin/Service de presse de la présidence russe
Le ministre Choïgou a lui aussi estimé que 2000 combattants ukrainiens demeurent terrés à Azovstal, qui est doté d'un important réseau de tunnels souterrains. Il n'a toutefois pas évoqué publiquement la présence de civils.
Je considère que l'assaut proposé de la zone industrielle n'est pas approprié. J'ordonne de l'annuler. Il faut penser [...] à la vie et à la santé de nos soldats et de nos officiers; il ne faut pas pénétrer dans ces catacombes, et ramper sous terre. Bloquez toute cette zone de manière à ce que pas une mouche ne passe.
M. Poutine a par ailleurs promis la vie sauve à ceux qui se rendront. Proposez une fois de plus à tous ceux qui n'ont pas déposé les armes de le faire; la partie russe leur garantit la vie sauve et d'être traité avec dignité
, a-t-il affirmé.
Outre les civils, les deux dernières unités combattantes à Marioupol terrées dans les abris antibombes d'Azovstal sont le 36e bataillon de l'armée ukrainienne et le bataillon Azov, qui a été fondé par un dirigeant à l'idéologie néonazie, avant d'être intégré à la garde nationale ukrainienne.
La semaine dernière, Moscou a annoncé que 1026 militaires ukrainiens de la 36e brigade marine s'étaient rendus à Marioupol. Ils se trouvaient cependant dans la zone de l'usine métallurgique Ilitch, située au nord du complexe d'Azovstal.

Le reportage de Pasquale Harrison-Julien
Photo : Associated Press / Alexei Alexandrov
Un aveu d'échec, selon Kiev
Dans la foulée des déclarations de M. Poutine, le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a reconnu que les forces russes contrôlent l'essentiel de Marioupol, mais il a souligné que les derniers défenseurs de la ville s'y trouvent toujours.
Un conseiller du président Zelensky, Oleksiy Arestovych, a pour sa part estimé que l'annonce de Moscou prouve essentiellement que les Russes ne sont pas en mesure de prendre le contrôle du complexe métallurgique d'Azovstal par les armes.
Ils ne peuvent pas prendre Azovstal physiquement, ils l'ont compris, ils ont subi d'importantes pertes là-bas. Nos défenseurs continuent de le tenir
, a-t-il déclaré.
Ça peut aussi s'expliquer par le fait qu'ils ont déplacé une partie de leurs forces [de Marioupol] vers le nord pour renforcer les troupes qui tentent de remplir leurs objectifs [...] d'avancer jusqu'aux frontières administratives des régions de Donetsk et Louhansk.
À Washington, le président américain, Joe Biden, a mis en doute les propos du président Poutine. Il est contestable qu'il contrôle Marioupol
, a-t-il déclaré en marge d'une annonce sur une nouvelle aide militaire à l'Ukraine. Il n'y a encore aucune preuve que Marioupol est complètement perdue.

Le président russe Vladimir Poutine a demandé à son armée d'assiéger le complexe industriel d'Azovstal, où sont retranchés les derniers combattants de Marioupol, plutôt que de l'attaquer.
Photo : Reuters
Dans un message publié tôt jeudi sur Telegram, le commandant adjoint du bataillon Azov, Sviatoslav Palamar, a assuré que les deux bataillons n'acceptaient pas les conditions de la Fédération de Russie concernant la remise des armes et la capture de nos défenseurs
.
Il a appelé le monde civilisé
à leur offrir des garanties de sécurité
. Nous sommes prêts à quitter Marioupol avec l'aide d'un tiers
, munis d'armes, afin de sauver les personnes qui nous ont été confiées
, a-t-il déclaré.
Le commandant de la 36e brigade, Serguiy Volina, a aussi assuré plus tôt cette semaine que ses troupes n'allaient « pas déposer les armes » et a demandé aux dirigeants occidentaux d'utiliser la procédure d'extraction et de nous emmener sur le territoire d'un pays tiers
.

Cette image satellitaire fournie par la firme américaine Maxar Technologies montre le complexe industriel d'Azovstal, à Marioupol, en date du 9 avril.
Photo : Reuters / Maxar Technologies
Marioupol, ville portuaire du sud-est de l'Ukraine, est le théâtre d'une des principales batailles de la guerre déclenchée par l'invasion russe du 24 février. Elle a été bombardée et assiégée depuis les premiers jours de l'invasion russe en Ukraine.
Les autorités municipales légitimes avancent que plus de 20 000 personnes y ont déjà perdu la vie et que 90 % de la ville a été détruite. Ces chiffres ne peuvent être vérifiés de source indépendante.
Marioupol revêt une grande importance pour la Russie, qui souhaite s'en emparer pour assurer une continuité territoriale entre les républiques autoproclamées de Donetsk et Louhansk, dont Moscou a reconnu l'indépendance, et la Crimée, territoire ukrainien qu'elle a annexé en 2014.
Kiev réclame un nouveau couloir humanitaire
Le ministère ukrainien des Affaires étrangères a appelé jeudi à l'instauration d'un couloir humanitaire d'urgence pour évacuer les civils réfugiés en grand nombre
dans le complexe d'Azovstal. Ils ne font pas confiance aux troupes
russes, a-t-il écrit sur son compte Twitter.
La vice-première ministre ukrainienne, Iryna Verechtchouk, avait fait une demande similaire un peu plus tôt. Il y a environ 1000 civils et 500 soldats blessés. Ils doivent quitter Azovstal aujourd’hui
, a-t-elle affirmé sur le réseau social Telegram.
Plus tôt en matinée, elle avait affirmé que seulement quatre autobus ont pu quitter Marioupol mercredi. Les efforts pour évacuer des civils se poursuivront jeudi, a-t-elle indiqué, avertissant que la situation en matière de sécurité restait difficile.

Un homme promenait son chien mardi dans un des secteurs lourdement endommagés de Marioupol.
Photo : La Presse canadienne / AP/Alexei Alexandrov
L'Agence France-Presse (AFP) rapporte pour sa part que trois autobus transportant des femmes et des enfants sont arrivés jeudi à Zaporijia, mais elle ne pouvait dire avec certitude qu'ils faisaient partie du convoi ayant quitté la ville portuaire la veille.
Parcourir les 200 kilomètres entre le port assiégé et Zaporijia peut prendre plusieurs jours en raison des innombrables points de contrôle routiers établis par les troupes russes.
En descendant d'un bus, Valentina, 73 ans, a expliqué à l'AFP que dès le premier jour [du siège de Marioupol], [sa famille était] au sous-sol
.
Il faisait froid. Nous priions Dieu. Je lui demandais de nous protéger
, a-t-elle poursuivi, expliquant que son appartement et la maison de son fils étaient aujourd'hui détruits.
La vice-première ministre ukrainienne Verechtchouk, présente à l'arrivée des bus, a déclaré que le nombre d'évacués était inférieur à celui espéré en raison des difficultés logistiques.
Rien n'a fonctionné. Seules 79 personnes ont pu arriver. Il n'y avait pas de couloir "vert"
, a-t-elle déclaré, ajoutant que beaucoup de gens ont été volés par les Russes
.
Le maire de Marioupol, Vadym Boïtchenko, a détaillé durant une conférence de presse ces difficultés, expliquant par exemple que des points de rendez-vous des civils désirant être évacués étaient bombardés ou que les bus tardaient à arriver à l'endroit fixé.
Il a également accusé l'armée russe d'arrêter tout civil lié aux autorités ukrainiennes. Si tu es lié à la fonction publique, tu vas directement en prison
, a-t-il dit.
Le président Zelensky a pour sa part réitéré que l'Ukraine offre de remettre à Moscou des prisonniers de guerre en échange de la libération de civils de Marioupol. Selon lui, 120 000 civils vivent toujours dans la ville, qui en comptait au moins 400 000 avant le début de la guerre.
À lire aussi :
Avec les informations de Agence France-Presse et Reuters