Ottawa défendra-t-il la lieutenante-gouverneure unilingue devant les tribunaux?

Brenda Murphy, lieutenante-gouverneure du Nouveau-Brunswick, en 2019.
Photo : CBC / Shane Fowler
Dans la sphère politique, la décision-choc rendue jeudi par un tribunal du Nouveau-Brunswick concernant les aptitudes en français de la lieutenante-gouverneure de la province continue de faire réagir durant le long congé de Pâques.
La nomination de Brenda Murphy au poste de lieutenante-gouverneure, est inconstitutionnelle, a tranché jeudi la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick.
La juge en chef Tracey K. DeWare n'est pas passée par quatre chemins pour décrire cette nomination faite par le gouvernement de Justin Trudeau.
Brenda Murphy, dit la magistrate, est une représentante de la Reine qui ne maîtrise pas assez bien le français pour s’acquitter de ces fonctions dans la province officiellement bilingue qu’est le Nouveau-Brunswick.
Le sénateur indépendant du Nouveau-Brunswick, René Cormier, nommé par Justin Trudeau en 2016, est satisfait que la cour ait rappelé à l’ordre le premier ministre.
« On peut se réjouir, je crois, de cette décision qui vient réaffirmer le statut constitutionnel unique du Nouveau-Brunswick comme province bilingue où est reconnue l'égalité des deux communautés linguistiques. »
C'est un enjeu
, dit son collègue du Sénat Claude Carignan qui devait être dénoncé et corrigé.
J'étais heureux que la Société de l'Acadie du Nouveau-Brunswick ait intenté ce recours et encore, évidemment, extrêmement content d'avoir une victoire de cette nature-là
, ajoute le sénateur conservateur du Québec.
Ce dernier avait d’ailleurs déposé à la fin 2021 un projet de loi, présentement à l’étude au Sénat, pour contraindre le fédéral à ne nommer que des personnes bilingues au poste de lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick.
Claude Carignan suggère aussi d’inscrire les exigences en matière de bilinguisme dans la Loi sur les langues officielles, ce qui serait à son avis une façon encore plus robuste de s’assurer du respect de ce droit.
« C'est une iniquité. Clairement, on ne plaçait pas le statut français et anglais sur le même niveau dans le choix du lieutenant-gouverneur. »
Le bureau du premier ministre du Nouveau-Brunswick Blaine Higgs n'a pas émis d’opinion sur l’affaire. Ces nominations sont faites par le premier ministre du Canada et nous n'avons pas d'autres commentaires
, a indiqué jeudi, par courriel, une porte-parole du gouvernement progressiste-conservateur.
Maintenant que la Cour du Banc de la Reine a rendu sa décision sur cette question, le gouvernement fédéral devrait envisager de modifier sa législation ou de prendre des mesures pour s'assurer que les futures nominations de lieutenants-gouverneurs sont bilingues
, a commenté dans une déclaration écrite le chef de l’opposition libérale à Fredericton, Roger Melanson.
À lire aussi :
Chez la deuxième opposition à l’Assemblée législative, le député de Kent-Nord pour le Parti vert, Kevin Arseneau, accueille la nouvelle favorablement
. Il dit s’interroger sur le besoin
d’avoir des représentants de la Reine mais, ajoute-t-il, tant et aussi longtemps qu'on en a une, ce poste-là au Nouveau-Brunswick devrait définitivement être bilingue.
Le gouvernement Trudeau ira-t-il en appel?
Le politologue Roger Ouellette, de l'École des hautes études publiques de l’Université de Moncton, s’étonne du peu d’égards accordé à la question de langue par les libéraux fédéraux. Il souligne que la nomination de Brenda Murphy n’est pas le seul geste de la sorte posé par le gouvernement Trudeau.
« Il a fait la même chose au niveau fédéral en nommant, après, une gouverneure générale [Mary Simon] qui ne maîtrise pas la langue française, une des deux langues officielles. »
Celui-ci écorche au passage Dominic LeBlanc, francophone du Nouveau-Brunswick et ministre influent dans le Cabinet de M. Trudeau
. Comme président du comité de sélection de la gouverneure générale, il porte aussi la responsabilité de ces décisions, juge le politologue.
La génération à laquelle appartiennent Justin Trudeau et Dominic LeBlanc LeBlanc, on dirait qu'ils n'accordent pas la même importance à la question des langues officielles que Monsieur [Roméo] LeBlanc père le faisait et que M. [Pierre] Trudeau père le faisait
, a-t-il déclaré vendredi au Téléjournal Acadie.
La balle est maintenant dans le camp de Justin Trudeau, estime Roger Ouellette. Est-ce qu'il veut toujours maintenir ça dans le domaine juridique en allant en appel, voire jusqu'à la Cour suprême, ou il veut régler ça sur le plan politique?
Le message de la juge est cependant clair, croit le politologue. La cour de première instance au Nouveau-Brunswick dit que c'est une question à régler sur le plan politique
, affirme-t-il.
Selon le politologue, Ottawa n'a rien à gagner s'il veut livrer bataille devant les tribunaux. Il ferait mieux, dit-il, de profiter de ce revers en cour pour pour reprendre en main le dossier des langues officielles
et d'améliorer son bilan à ce chapitre.
La cour de première instance au Nouveau-Brunswick fait savoir à Ottawa que c'est une question à régler sur le plan politique
, affirme-t-il.
Le sénateur conservateur Claude Carignan exprime d’ailleurs le même avis. Plus tôt vendredi, il a appelé le gouvernement fédéral à entendre le message de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick.
Les libéraux, soutient-il, ont une opportunité unique
de passer de la parole aux actes et de prouver qu’ils ont réellement à coeur les communautés francophones.
C'est évident que ce gouvernement-là ne doit pas aller en appel et [doit] protéger la langue, dans un signal de l'importance de la langue française au Canada
, déclare le sénateur.
D’après le reportage de Pascal Raiche-Nogue