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Aînés et COVID : la résilience d’une population encore « mise de côté »

Alors que les mesures sanitaires se relâchent dans de nombreuses provinces et que les cas de COVID augmentent, le retour à la vie sociale des aînés demeure complexe mais nécessaire, selon des études.

Une dame âgée, la tête tenue dans sa main, regarde par la fenêtre.

Les aînés âgés de 75 ans ou plus (14 %) ont indiqué se sentir plus fréquemment seuls que ceux qui sont âgés de 65 à 74 ans (9 %), selon une enquête de Statistique Canada réalisée en août et septembre 2021.

Photo : Getty Images / delihayat

« Je n’ai pas besoin d’aide, je suis en santé! » s’emporte Jeanne d’Arc Gosselin, qui vit toujours seule chez elle à 86 ans. Pas d’aide pour le ménage de sa maison à deux étages, pas d’aide non plus pour les courses qui la font sortir de chez elle toutes les trois semaines. La pandémie, elle préfère ne pas trop en parler, selon l’idée que « moins on a de pensées négatives, mieux on se porte ».

Entre deux anecdotes de bravoure ordinaire sur le simple fait de continuer à vivre seule et sans aucun soutien à Geraldton (nord-est de Thunder Bay), Mme Gosselin reconnaît quand même que ça manque un peu, de voir quelqu’un.

Les rencontres de son club social se sont transposées sur Zoom. Désormais connectée sur deux tablettes, elle ne se déplace plus au bowling comme avant, n’étant pas vaccinée. J’ai eu de très mauvaises réactions au vaccin contre H1N1, explique-t-elle. Je ne veux plus être malade, surtout après deux cancers.

Qu’est-ce que je suis reconnaissante de ne pas être placée dans un foyer! Je suis chanceuse d’être capable de rester chez moi, même si je sais que cette vie-là, elle ne va pas durer éternellement.

Une citation de Jeanne d’Arc Gosselin, 86 ans

Jeanne d’Arc Gosselin passe ses journées entre La victoire de l’amour – une émission quotidienne axée sur la religion catholique diffusée à la télévision – et la navigation sur Facebook, où elle dit s’informer sur la pandémie. Si l’octogénaire ne sort plus et socialise moins, c’est surtout parce qu’elle redoute d’être jugée, et moins par peur d’être contaminée, précise-t-elle.

Ce n'est pas le cas de Dayle Rasmussen, 84 ans, impatiente de recevoir son deuxième rappel pour reprendre ses activités l'esprit tranquille. Au décès de son époux, en 2019, cette Ontarienne de Markham a dû apprendre à vivre seule, et elle reconnaît se sentir très isolée depuis.

Ma famille est toujours occupée; ils travaillent tous et je ne les ai vus que deux ou trois fois depuis la pandémie, avoue-t-elle. Son leitmotiv? C'est regrettable d'être veuve, mais vous apprenez à vous en sortir.

À l’instar de Mmes Gosselin et Rasmussen, les aînés ont souvent démontré une facilité à s’adapter pendant la pandémie, et ils se sont même mieux débrouillés qu’on le pense, observe Suzanne Dupuis-Blanchard, titulaire de la Chaire de recherche en santé CNFS – Université de Moncton sur le vieillissement des populations.

Les premiers résultats de son analyse sur les répercussions de la COVID sur le troisième âge confirment que cette population a su mieux appréhender les restrictions que les autres groupes d’âge.

Les aînés faisaient souvent allusion à d’autres difficultés qu’ils ont vécues, dit-elle. "On va passer au travers, mais ça va prendre du temps", on l’a entendu à maintes reprises dans notre étude.

Au sein de la génération des plus de 75 ans, cette posture de résilience se reflète aussi dans le refus de demander l'aide de son entourage, constate Mme Dupuis-Blanchard.

Avoir besoin de quelqu’un, c’est une idée difficile à accepter. C’est tabou, ça envoie le message d’une perte d’autonomie, analyse-t-elle. Dans mes projets de maintien à domicile, je leur dis pourtant qu’il vaut mieux demander de l’aide, car ce soutien-là leur permettra de gagner de l’indépendance.

Suzanne Dupuis-Blanchard.

Suzanne Dupuis-Blanchard est directrice du Centre d’études du vieillissement et professeure titulaire de l'École de science infirmière de l'Université de Moncton.

Photo : Suzanne Dupuis-Blanchard

En deux ans de crise sanitaire, c’est surtout l’exclusion sociale qui a été le plus difficile à vivre, ont témoigné les participants sondés.

Outre l’injonction de ne plus sortir et de ne plus voir ses proches, l’assignation à domicile a eu un effet plus durable sur l’exclusion sociale de cette population, constate la chercheuse. Certaines personnes ont pu reprendre contact avec les gens [qu’elles voyaient avant la pandémie], mais il y a eu une fracture dans le cercle de socialisation.

Certains sondés ont même avoué qu'ils souffraient d’anxiété dès qu’ils sortaient de chez eux. Ils trouvent qu’il y a tellement de monde, de bruit; c’est presque une réadaptation, une resocialisation, décrit Suzanne Dupuis-Blanchard.

Une étude sur l'isolement social (Nouvelle fenêtre) et la mortalité chez les aînés publiée par Statistique Canada a conclu à l’importance que les personnes âgées retournent à leurs activités et qu'elles retrouvent leurs interactions après la pandémie pour éviter de vivre de l’isolement social à long terme.

Risques de démence et de dépression

Ce phénomène d’exclusion n’est pas sans conséquence, prévient la psychiatre Renata Villela, présidente de la section de psychiatrie de l'Association médicale de l'Ontario.

Selon les données [disponibles], nous savons que l'isolement social augmente significativement le risque de décès prématuré d'une personne, toutes causes confondues, indique-t-elle.

L'isolement est associé à une augmentation d'environ 50 % du risque de démence, sans parler des taux élevés de dépression, d'anxiété et de suicide.

Une citation de Renata Villela, présidente de la section de psychiatrie de l'Association médicale de l'Ontario

Reste à trouver l’équilibre délicat entre les retrouvailles en personne et les précautions sanitaires à prendre, a fortiori à une période où les masques ne deviennent plus forcément obligatoires.

Dans le fond, c’est quand même négliger une partie de notre population qui a été mise de côté, se désole Suzanne Dupuis-Blanchard. On entend qu’il faut apprendre à vivre avec le virus, mais ce n’est pas tout le monde qui est prêt à vivre avec. Ce message est conçu pour motiver économiquement notre société.

Parler, un concept simple et si puissant

Par crainte d’être exposés au virus en sortant de chez eux, ou sans personne à qui parler, des aînés esseulés n’hésitent pas à composer le numéro d’une ligne d’écoute gratuite. À l’autre bout du fil, des bénévoles de Friendly Voice prêtent une oreille attentive aux récits de solitude provenant de tout l’Ontario.

Depuis le début de la pandémie, ce service d’aide destiné aux plus de 55 ans ne dérougit pas. Les appels ont bondi de plus de 250 % au premier mois de la pandémie, dit France Connor, gestionnaire du programme.

Il y a ceux dont le cercle d’amis a diminué avec la pandémie, souligne Mme Connor. Mais certains nous appellent même s’ils vivent encore avec leur épouse ou leurs enfants; ils préfèrent s’adresser à quelqu’un d’autre pour ne pas être un poids supplémentaire à leur entourage.

Une femme regarde son téléphone dans une chambre.

Deux fois plus de femmes appellent la ligne d'écoute Friendly Voice.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Retraitée établie à Manotick, la bénévole Jo-Anne Ferguson les écoute patiemment, et sans jugement. À l’autre bout du combiné, il est question de la guerre en Ukraine, du dîner du jour, des mesures sanitaires qui agacent, ou encore des réparations à faire chez soi sans qu’on sache par où commencer.

Certains n’ont parlé à personne depuis bien longtemps, remarque-t-elle. Ils regardent la télévision ou écoutent la radio, mais ils n’ont plus l’occasion d’échanger, de sortir de leurs pensées. Parler, c’est pourtant un concept simple et si puissant.

Un petit coup de fil peut avoir une grande incidence, souligne aussi la psychiatre Renata Villela. C'est facile pour tout le monde de courir partout et d'oublier de s'arrêter pour faire des contrôles rapides, appeler, mais ça peut faire une grande différence.

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