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Analyse

GIEC : les solutions sont là, qu’est-ce qu’on attend?

Des choix audacieux sont nécessaires. Ils ne coûtent pas forcément plus cher, ils nous feront vivre bien, peut-être mieux. Mais il faut agir dès maintenant.

Des morceaux de glace de mer en train de fondre en plein jour.

Le nouveau rapport du GIEC indique que le réchauffement a déjà accéléré l’élévation du niveau des mers et le rétrécissement des calottes glaciaires, en plus d’aggraver les vagues de chaleur, les inondations, les tempêtes et les sécheresses. Photo prise le 31 juillet 2019 à la Baie de Frobisher près d’Iqaluit, Nunavut, Canada.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

C’est une œuvre scientifique remarquable que nous offre le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Un document riche, clair, fouillé, plus détaillé que jamais, qui offre à ceux et celles qui détiennent les clés du pouvoir une chose très précieuse : des solutions à portée de main.

Et ce ne sont pas que de grands principes. Ce troisième et dernier opus du sixième rapport du GIEC nous offre du concret : pour chaque domaine de la vie quotidienne, pour chaque pilier de nos économies, les experts proposent des actions précises à engager pour décarboner le monde.

Qu'est-ce qu'on attend pour s'y mettre? Qu'est-ce qu'on attend pour agir et mettre en œuvre toutes ces recettes, toutes ces mesures qui ont été explorées au fil des ans?, m’a dit cette semaine Jean-Pascal van Ypersele, professeur de climatologie à l’Université Louvain-la-Neuve et ancien vice-président du GIEC.

Portrait de Jean-Pascal van Ypersele.

Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC et professeur de climatologie à l'Université catholique de Louvain-la-Neuve.

Photo : Radio-Canada / Etienne Leblanc

C’est une question fondamentale. Car si on lit bien le rapport, on comprend que les solutions de rechange pour sauver le climat ne sont pas nécessairement plus chères que le statu quo, qu’elles permettront d’améliorer notre bien-être et qu’elles nous feront épargner de grandes sommes dans l’avenir.

Le hic : il faut s’y mettre immédiatement. Pas demain.

Des solutions efficaces démontrées par la science

On pourrait résumer le rapport en trois axes.

D’abord, la priorité est de tourner le dos aux énergies fossiles, dès maintenant. Et cela est possible, nous disent les scientifiques. Pas nécessairement facile, mais possible, grâce notamment à la réduction rapide, spectaculaire depuis une décennie, du coût des énergies renouvelables et des technologies vertes. Ces énergies et ces technologies sont accessibles, partout. À titre d’exemple, depuis 2010, le coût du déploiement de l’énergie solaire et de la production des batteries lithium-ion a baissé de 85 %.

À cette transformation doit ensuite s’ajouter la préservation à tout prix des forêts et des milieux naturels, qui restent à ce jour – il faut le rappeler – la meilleure technologie qui soit pour capter et stocker le CO2.

Enfin, le GIEC démontre qu’il y a un énorme potentiel de réduction des émissions de GES dans l’ajustement dans nos modes de vie. Les décideurs doivent améliorer le design de nos villes afin de favoriser les déplacements à vélo et à pied, et doivent investir massivement et de façon urgente dans des transports en commun confortables et efficaces, afin d’inciter les gens à délaisser leurs voitures. Il faut aussi manger moins de protéines animales, acheter moins de vêtements neufs, prendre moins souvent l’avion et, de façon générale, devenir des consommateurs plus sobres.

Des arbres et une zone de coupe forestière avec un chemin.

Une zone d'exploitation forestière à Fairy Creek, près de Port Renfrew, sur l'île de Vancouver.

Photo : La Presse canadienne / Jonathan Hayward

Il n’est pas inutile de rappeler que ces solutions ne sont pas lancées en l’air par des scientifiques militants, comme le soutiennent les climatosceptiques. L’efficacité de chaque proposition est soutenue par des dizaines d’études scientifiques révisées par les pairs et recensées par les experts du groupe.

Un avenir vivable est donc encore possible si on s’attaque dès maintenant à la structure de nos économies et à l’essence de nos comportements.

Un bon investissement

Bonne nouvelle pour les décideurs qui craignent la catastrophe économique : fort de nombreuses études qui convergent toutes vers la même conclusion, le GIEC démontre que le coût de la protection du climat est inférieur au coût des dommages provoqués par un climat déréglé. Les mesures pour limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius ne ralentiraient le rythme de croissance du PIB que de 0,09 % à 0,14 % d’ici 2050, mais ce chiffre ne tient pas compte des sommes épargnées grâce au fait de réduire les effets des catastrophes climatiques à venir. C’est sans compter les économies réalisées grâce aux effets positifs sur les systèmes de santé, la qualité de l’air ou la viabilité des entreprises.

C’est la définition d’un investissement rentable : dépenser maintenant pour en tirer les bénéfices dans l’avenir.

Pour les personnes chargées d’élaborer les politiques climatiques, ce rapport est une véritable mine d’or, une feuille de route inespérée, un rigoureux manuel d’instructions qui indique, étape par étape, comment braquer le guidon et opérer le virage majeur qui limitera les dégâts. Le rapport est si précis, si détaillé, si riche en informations concrètes que les décideurs politiques – et les citoyens – auraient tort de s’en passer.

Ce virage, il le faut. Au rythme actuel où vont les choses, la planète se dirige vers un réchauffement de 2,7 degrés Celsius, qui produira des effets mortels.

Pour éviter le désastre, le GIEC conclut qu’il faut plafonner nos émissions totales d’ici 2025. Autant dire dans dix minutes à l’échelle du siècle. Mais ce n’est pas tant l’échéance très courte qui est importante que le message qu’elle sous-tend : il faut se presser, ouvrir les vannes de la créativité, mettre toutes les énergies, les ressources et les cerveaux disponibles pour décarboner l’économie.

Comment le faire? Le succès passe par une approche transversale. Faire percoler le grand objectif de la réduction des émissions dans toutes les sphères de décision, dans chaque département des administrations municipales, dans chaque ministère des autorités régionales ou nationales, dans chaque branche des entreprises, dans chaque foyer.

On veut régler un problème local de congestion automobile? Il faut résister à l’envie d’élargir les routes ou d’en construire de nouvelles. Encore une fois, le GIEC en fait la démonstration, données à l’appui : bien faits et bien planifiés, les investissements dans les transports en commun et les transports actifs sont payants. Pour l’environnement, pour le bonheur individuel et pour le système de santé.

On veut créer de l’emploi rapidement? Il faut résister à la tentation de le faire en développant de nouveaux projets de pétrole, de gaz ou de charbon. Investir dans la réorientation professionnelle des travailleurs de l’industrie des énergies fossiles sera rentable, qu’on les embauche pour colmater des puits orphelins de pétrole ou de gaz, source importante de méthane, ou qu’on les forme pour travailler dans un domaine de pointe des technologies vertes.

On veut réduire les coûts du système de santé? On peut le faire en protégeant le climat. Il faut inciter les gens à manger plus de protéines végétales et moins de viande. On peut le faire en articulant une agriculture plus locale, qui propose des produits frais, goûteux et appétissants. On peut soutenir de façon concrète l’agriculture urbaine, notamment en rendant plus de terrains disponibles pour les jardins collectifs. Et, qui sait, dans une économie plus sobre, les gens auront peut-être plus de temps pour jardiner, cultiver une partie de leur nourriture dans leur cour et, par la bande, entretenir leur santé physique et mentale.

Un homme transporte un chien dans son sac à dos en se déplaçant en vélo sur une piste cyclable du centre-ville de Vancouver.

Les experts du GIEC appellent les décideurs à améliorer le design des villes afin de favoriser les déplacements à vélo et à pied.

Photo : La Presse canadienne / DARRYL DYCK

On veut développer les villes pour répondre aux besoins de la population grandissante? Il faut éviter de gruger les terres agricoles, emplir les milieux humides ou couper les boisés. Il faut développer en hauteur. Il faut avoir la ténacité politique de Suzanne Roy, ancienne mairesse de Sainte-Julie, qui a monté une fiducie dont le but était d’acheter des terrains en bordure du parc du mont Saint-Bruno (Nouvelle fenêtre), afin de les protéger et éviter que des promoteurs immobiliers les développent. Il faut interdire la construction dans les boisés et les milieux humides en milieu urbain, comme vient de le faire la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), qui regroupe 82 villes, dont Montréal, Longueuil et Laval.

La lutte contre les changements climatiques exige ce genre de décision courageuse dont il faudra imiter l’esprit, partout sur la planète, et notamment dans les pays développés.

Un rapport blindé

La beauté du rapport du GIEC, c’est que sa construction est si raffinée et le processus de son élaboration si rigoureux que les décideurs peuvent difficilement le discréditer en disant que c’est encore une lubie de scientifiques déconnectés de la réalité politique. Le rapport de plus de 3000 pages ne propose pas de nouveau contenu, mais est plutôt une grande synthèse du contenu qui apparaît dans plus de 18 000 articles de la littérature scientifique sur les différentes solutions pour réduire les émissions.

Le condensé du rapport, le fameux résumé à l’intention des décideurs, qui fait une soixantaine de pages à lui seul, est ensuite soumis aux représentants politiques de chaque État pour que ces derniers l’approuvent officiellement, par consensus.

Le fait d’exiger ainsi la signature des gouvernements a un gros avantage en comparaison d’un document qui ne serait rédigé que par des scientifiques seuls dans leur bulle : Ça fait naître un sens commun de l’appropriation, m’a dit Jean-Pascal van Ypersele. C’est grâce à cette structure que le rapport trouve toute sa force : les politiciens ne peuvent pas simplement le rejeter, puisque leur gouvernement l’a approuvé.

Cette façon de procéder rend les représentants du peuple imputables face au contenu du document qu’ils ont eux-mêmes cautionné.

Le cas du Canada, pays pétrolier

Le moment ne pouvait pas plus mal tomber.

L’encre du rapport du GIEC était à peine sèche que le ministre fédéral de l’Environnement et des Changements climatiques, Steven Guilbeault, a donné son aval au projet pétrolier Bay du Nord, au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador. La compagnie norvégienne Equinor va extraire 200 000 barils par jour à compter de 2028.

Steven Guilbeault n’est certainement pas allé en politique pour approuver de nouveaux projets pétroliers. Le militant écolo qu’il était autrefois aurait été le premier à s’en indigner.

Le secrétaire général de l'ONU  Antonio Guterres.

Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres

Photo : Reuters / Yana Paskova

Il a dû avaler son café de travers, lundi matin, quand il a entendu le discours du secrétaire général des Nations unies, António Guterres, à l’occasion de la publication du rapport du GIEC : Les militants sont parfois dépeints comme de dangereux radicaux, alors que les véritables radicaux sont les pays qui augmentent la production d'énergie fossile. Investir dans de nouveaux projets d'énergies fossiles est moralement et économiquement, une folie.

Aïe!

En prenant cette décision favorable pour Bay du Nord, Steven Guilbeault sait très bien que le Canada va dans le sens contraire de ce que préconise la science. Pourquoi alors le fait-il?

Certainement pas parce qu’il ne mesure pas les effets de sa décision. Fort de trois décennies d’expérience dans les groupes environnementaux, il sait très bien que les experts du GIEC ont raison quand ils disent que l’avenir de la planète passe par une réduction substantielle de l’utilisation des énergies fossiles.

En réalité, il est évident que cette décision va bien au-delà de sa personne. D’autant qu’il serait faux de dire qu’il s’est tourné les pouces depuis son arrivée à l’Environnement. En quatre mois seulement, il a mis sur pied une plateforme climatique étoffée, bien qu’imparfaite.

Si Steven Guilbeault a fait ce choix controversé à propos de Bay du Nord, c’est surtout parce qu’il opère dans un monde où les vieilles structures politiques et économiques n’ont pas évolué au rythme de l’urgence climatique.

Pour la ministre des Finances, Chrystia Freeland, l’industrie pétrolière représente encore une part importante des revenus fiscaux du pays et elle n’est pas prête à s’en détacher. Pour les ministres de la région atlantique, c’est une solution simple à un problème de détresse économique immédiat à Terre-Neuve. Pour les milieux économiques et financiers de l’Alberta ou de Bay Street, il est impossible d’imaginer que le Canada se prive un tant soit peu des fruits des ressources pétrolières qu’il détient.

Et pour les responsables de l’Agence d’évaluation environnementale qui ont évalué Bay du Nord, le projet n’aura pas d’effets majeurs sur l’environnement. Mais selon le mandat qu’ils reçoivent, le projet est évalué de façon isolée, sans tenir compte des effets en aval. Seraient-ils arrivés à la même conclusion s'ils l'avaient considéré dans sa globalité, en analysant tous les effets de ces barils de pétrole supplémentaires sur les émissions mondiales de GES? Ou s'ils l'avaient évalué à la lumière des recommandations du GIEC?

La structure politique et économique du pays, héritée du 20e siècle, encourage le développement des projets qui ne cadrent plus avec la réalité environnementale du 21e siècle. Le ministre Guilbeault est un peu prisonnier de cette architecture dépassée qu’il devra participer à moderniser.

Steven Guilbeault s'adresse aux députés de la Chambre des communes.

Le ministre de l'Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, répond à une question à la Chambre des communes, à Ottawa.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

On peut présumer sans grand risque de se tromper qu’il était contre le projet Bay du Nord, mais les structures dans lesquelles il évolue l’ont obligé à l’accepter.

Aurait-il dû démissionner? Peut-être. Et après? Y gagnerait-on vraiment au point de vue environnemental si la voix de Steven Guilbeault ne se faisait plus entendre au Cabinet? Un autre prendra sa place et ne pourra défendre l’enjeu climatique avec la même expertise. S’il joue bien ses cartes, M. Guilbeault pourra, tel un judoka, utiliser la pression qu’on a mise sur lui pour agir plus efficacement ailleurs.

La question à poser est celle-ci : comment se fait-il que les idées plus audacieuses, qui sont plus en phase avec l’urgence climatique, ne puissent pas trouver leur chemin dans la politique canadienne?

Par exemple, on pourrait contraindre l’industrie du pétrole à une politique de déclin planifié, qui prévoit une baisse forcée de la production et la mise en place simultanée d’une politique de soutien pour les travailleurs qui souffriront de ce déclin.

Ou encore, le gouvernement pourrait affirmer clairement qu’aucun nouveau projet pétrolier ne verra plus jamais le jour.

C’est ce que la science recommande.

On connaît d’avance les réponses que les politiciens et les analystes nous fourniront : parce que les pouvoirs constitutionnels du gouvernement fédéral ne lui permettent pas de réglementer la production des ressources naturelles, parce que nous allons perdre des votes, parce cela va créer des pertes d’emplois massives en Alberta, etc.

Toutes des préoccupations bien réelles et très légitimes.

Ainsi, comment faire accepter l’idée qu’il est possible, malgré les difficultés, de surmonter ces grands obstacles? Pourquoi une idée perçue comme radicale, selon laquelle on peut construire de nouvelles structures de développement, n’arrive pas à trouver sa place?

Des pompes extraient du pétrole du sol près d'Olds, en Alberta.

Des pompes extraient du pétrole du sol près d'Olds, en Alberta.

Photo : La Presse canadienne / Jeff McIntosh

Dans un ouvrage passionnant qu’il vient de publier, Lettre aux écolos impatients et à ceux qui trouvent qu’ils exagèrent, Hugo Séguin explique bien pourquoi les idées dites radicales ont du mal à se frayer un chemin dans la politique moderne. M. Séguin est fellow au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM) et enseignant à l’Université de Sherbrooke.

Des idées comme le droit de vote des femmes, le mariage des conjoints de même sexe, l’aide médicale à mourir ou même l’imposition d’un prix sur le carbone nous apparaissaient radicales avant qu’elles ne percolent dans la société. Un jour, peut-être, le Canada ne produira plus de pétrole et les Canadiens voyageront à bord de trains à grande vitesse et cela nous apparaîtra probablement normal.

Le climatologue Jean-Pascal van Ypersele est de cet avis : les idées audacieuses, qui nous apparaissent impossibles dans le contexte politique et économique dans lequel nous évoluons, peuvent s’installer, mais il faut d’abord commencer par les articuler.

C’est comme quand on va se baigner dans un lac et que l’eau est froide, m’a-t-il dit. On trempe le pied, on trouve ça très froid, puis on entre petit à petit notre corps dans l’eau, et finalement, au bout d’un certain temps, on finit par trouver ça très agréable. C’est la même chose avec les solutions climatiques.

L’histoire des trois dernières décennies montre que les vœux pieux et la stratégie des petits pas ne donnent pas les résultats escomptés. Résultat : il y a urgence, la science nous dit qu’il faut plafonner nos émissions au plus tard dans trois ans, et les solutions sont là.

Pour avoir des choses qu’on n’a jamais eues, il va falloir faire des choses qu’on n’a jamais faites, disait Hugo Séguin dans une entrevue à la radio cette semaine.

Voilà un bon début.

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