Facebook, Twitter et TikTok : les journalistes aussi ne peuvent plus s’en passer...
À Radio-Canada, le métier d’informer revêt plusieurs facettes. Ce texte fait partie d'une série d'articles dans lesquels nous vous expliquons notre travail au quotidien et ce qui guide nos choix.

Le journaliste François Messier, dans la salle de rédaction de radio-canada.ca à Montréal, utilise Twitter dans le cadre de son travail.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
L’avènement de Facebook (2004), de YouTube (2005), de Twitter (2006) ou encore d’Instagram (2010) a modifié la manière dont les journalistes cueillent l’information et débusquent des sources. Ils sont incontournables, indispensables. Mais encore faut-il en maîtriser les codes pour les utiliser efficacement. Petit tour guidé.
Les réseaux sociaux, Fannie Bussières-McNicoll les utilise à plein. En pandémie, confinement oblige, c’est par son compte Facebook qu’elle a lancé des appels à tous. Bonjour, je suis journaliste pour Radio-Canada et je prépare un dossier sur... Je cherche des témoignages. Veuillez me contacter en privé.
Pour prendre le pouls de l'opinion publique, le journaliste doit sortir du cercle amis-famille-collègues, et les réseaux sociaux permettent de rejoindre des gens qui, autrement, seraient difficiles à atteindre
, dit Fannie Bussières-McNicoll.
Sur Facebook, la reporter s’invite dans des groupes privés qui se consacrent à un thème ou défendent une cause.
Mais certains de ces groupes, méfiants vis-à-vis des médias traditionnels, répugnent à l’idée d'accueillir des journalistes dans leurs rangs. C'est le cas de gens qui refusent d'être vaccinés contre la COVID-19. Or, Fannie Bussières-McNicoll voulait leur parler, car elle avait entendu dire que, dans la cour d'école, des enfants jouaient à la chasse aux non-vaccinés. La journaliste cherchait à joindre des parents inquiets que leur enfant ne vive des tensions parce qu'il n'était pas vacciné.
Les administrateurs des groupes, à qui elle avait d'emblée confié qu'elle était journaliste, ont d'abord refusé de l'admettre. Beaucoup de non-vaccinés se plaignent que les médias les ignorent, explique-t-elle, alors je leur ai fait valoir qu’en participant à mon article, les parents d'enfants non vaccinés pourraient, justement, témoigner leur réalité. Ça a fait débloquer les choses.

Fannie Bussières-McNicoll
Photo : Radio-Canada / Photo offerte par Fannie Bussières-McNicoll
Une manne de sujets
Pénurie de logements, vaccination obligatoire des voyageurs ou dépistage de la COVID-19 à la frontière : les sujets pour lesquels les journalistes exercent une veille dans les forums de discussion ne manquent pas. Dès qu'une situation surgit, bang, bang, bang, les messages se multiplient
, raconte Fannie Bussières-McNicoll, qui reçoit même des messages de la part d’administrateurs de groupes sur Facebook qui la préviennent qu’il se passe des affaires.
Et puis il y a les commentaires. Fannie Bussières-McNicoll les lit tous. Après publication de son texte sur la grossesse au temps de la COVID-19, une femme souhaitant adopter un enfant a écrit : Moi, j'attends mon petit bébé, il est en Haïti, et tout est sur la glace
.
C'est ainsi que la journaliste a appris que tout le réseau de l'adoption internationale avait été mis sur pause pendant la pandémie. Elle a contacté cette femme et a fait un nouveau texte qui a suscité les commentaires de la part de femmes forcées par la pandémie d'interrompre leur parcours en cliniques de fertilité.
Autre texte, autres commentaires, cette fois venant de couples qui avaient préféré retarder leur projet de fonder une famille. Au bout du compte, elle a fait une série de huit reportages en deux mois!
Il faut faire le travail
Mais sur les réseaux sociaux, tout n’est pas vrai. C’est une chose d’y piger une idée, c’en est une autre d’en tirer un texte ou un reportage. Il faut faire le travail
, met en garde Fannie Bussières-McNicoll. S'assurer que le sujet est d'intérêt public, que la source est authentique et l’information véridique, raconter en trouvant le mot juste, mettre en contexte... L'essentiel du journalisme.

François Messier, journaliste à Radio-Canada, recourt à Facebook, Twitter et Dataminr pour se documenter et être à l'affût de nouvelles sur des sujets qu'il couvre ou qu'il pourrait être appelé à couvrir.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
François Messier, qui couvre assidûment la politique, a toujours la plateforme technologique Tweetdeck ouverte sur l’un de ses trois écrans dans la salle de rédaction de radio-canada.ca à Montréal. (Tweetdeck permet d'organiser cet océan de contenu qu'est Twitter.)
Quand le président Jovenel Moïse a été assassiné en Haïti, je me suis abonné dans le temps de le dire à une cinquantaine de comptes de journalistes, d’élus, de sénateurs haïtiens
, décrit-il. Lit-il sur quelqu’un d’intéressant dans Le Monde ou le Washington Post? Il le cherche sur Twitter.
En plus d’être abonné à quelques milliers de comptes Twitter, François Messier assure ses arrières avec Dataminr. Cet outil, qui n’est pas un réseau social à proprement parler, ouvre la perspective : si une information jaillit dans un secteur qu’il a préalablement identifié, ce rédacteur web en sera alerté.

Fin janvier 2022, des milliers de manifestants opposés à la vaccination des camionneurs se sont rassemblés à Ottawa.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Fin janvier 2022, Émilie Dubreuil se rend à Ottawa avec un photographe. Son mandat : couvrir pour la télé, la radio et le web les débuts de la manifestation de gens qui, entre autres motifs, s'opposaient à la vaccination obligatoire des camionneurs contre la COVID-19.
Avant de partir, elle a fait ce que tous les journalistes font
: s’abonner aux comptes Twitter et Facebook de personnes et d’organisations cruciales, le Service de police d’Ottawa, par exemple.
Quant à son propre compte Facebook, il ne lui sert pratiquement qu'à diffuser les textes dont elle est l'auteure, telle une sorte d'infolettre. Ses amis Facebook dépassent les 3000 et, non, elle ne les connaît pas tous personnellement.
Si je ne mets pas un texte sur ma page Facebook, très peu de monde m'en parle, le voit, le lit. Par contre, si je le mets sur les réseaux sociaux : pouf!

En plus de s'abonner, selon les sujets qu'elle couvre, à de multiples comptes Twitter, Émilie Dubreuil suit nombre de ses collègues journalistes sur Twitter.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Sur ces plateformes, les journalistes, tels les crieurs publics d’antan, claironnent les nouvelles et font rayonner leur travail, comme le décrit Fannie Bussières-McNicoll, pour ne pas que ça meure là après la première publication ou diffusion
.
Être journaliste à Radio-Canada ne suffit pas pour jouir d'une certaine visibilité? Non, tranche Thomas Gerbet, journaliste à Radio-Canada. Il y a des gens qui attendent sur leur réseau social, qui s’informent uniquement sur ce réseau. Il faut que ce réseau social là leur amène l'information.
On se bâtit [...] une espèce de communauté. Je reçois beaucoup de messages de gens qui vont me suggérer des sujets. Donc, notre présence sur les réseaux sociaux amène les gens à nous écrire.
Pour se documenter, Facebook et Twitter sont utiles : ils nous amènent dans des mondes différents que les sites Internet
, dit Thomas Gerbet.
Sur Twitter, il dresse des listes et cible des gens dans des domaines d’intérêt particuliers : ça me permet de faire un peu le ménage et de ne pas avoir trop de bruit
. Il utilise aussi des systèmes de notifications pour repérer des publications intéressantes. Thomas Gerbet utilise à l'occasion Instagram, pour la géolocalisation de photos.
Mais, beaucoup de paires d’yeux étant déjà sur les réseaux sociaux, les journalistes en quête d’originalité devraient peut-être mettre le nez ailleurs
, suggère Thomas Gerbet.
Lui, pour trouver des scoops et primeurs, affirme s'en remettre très souvent au bon vieux téléphone.
Les réseaux sociaux ont poursuivi le travail entamé auparavant par Internet pour rapetisser la planète
, explique Vincent Grou, dont le travail de journaliste aux réseaux sociaux n'existait pas lorsqu'il a commencé dans le métier, au début du siècle! Une partie des tâches consiste à diffuser, sur différentes plateformes, le contenu de Radio-Canada Information. À elle seule, la page Facebook du diffuseur public compte 1 378 078 abonnés.
Les réseaux sociaux ont facilité la prise de contact avec le public. Je ne compte plus le nombre de fois où des gens nous ont écrit, sur Facebook, et que leur histoire est sortie en nouvelle.
Politiciens et autres personnalités publiques savent à quel point les journalistes (et pas seulement eux) les ont à l'œil sur Facebook, Twitter, Instagram et compagnie. La pratique d’aller fouiller dans leurs comptes pour voir leurs déclarations passées et leurs photos en compagnie de personnes controversées a pas mal été facilitée par les réseaux sociaux
, ajoute Vincent Grou.
Enfin, rien ne vaut Twitter pour suivre le déroulement d’une histoire de façon chronologique, parfois en temps réel, affirme-t-il. Son format fil en continu
s’y prête.
Le danger de s'éparpiller
Lancé en 2016 et réputé pour être populaire auprès des adolescents, TikTok se targue d'avoir un milliard d'utilisateurs.
Pour l'équipe de RAD – le laboratoire de journalisme de Radio-Canada – c'était une évidence qu'il fallait s'y trouver.
En février dernier, alors que RAD diffusait ses premiers extraits sur TikTok, la Russie a attaqué l'Ukraine.
RAD et son journaliste Nicolas Pham ont posé sur TikTok la question que tout le monde se pose : est-ce qu'on est en train d'assister au début de la troisième guerre mondiale? La réponse de l'analyste François Brousseau, encapsulée en moins d'une minute (Nouvelle fenêtre), a été vue 163 000 fois.
À ce jour, RAD compte 10 000 abonnés sur TikTok. C'est un autre endroit pour se faire connaître
, explique Johanne Lapierre, rédactrice en chef de RAD
Les contenus courts produits par RAD en format vidéo verticale sont aussi publiés sur Instagram et sur YouTube Shorts : On est en rodage, on regarde ce qui marche
, précise la rédactrice en chef.
En revanche, RAD n'a jamais investi Twitter, parce que son public n'est pas là, dit Johanne Lapierre. Quand on va sur une plateforme, on s'en occupe, on ne veut pas s'éparpiller
.
Sur un réseau social, le contenu est généré par les usagers. C’est leur attention à eux que se disputent les médias d’information. Les Youtubeurs peuvent rester assis des heures? On leur sert des documentaires. Les adeptes de TikTok mettent du son sur ce qu’ils écoutent, mais ceux d’Instagram ne l’activeront pas pour la plupart, se contentant de regarder. D’où l’importance des sous-titres dans le contenu mis sur Instagram
, explique Johanne Lapierre.
Il ne suffit pas d’avoir de l’info et de la caser là, là et là, prévient-elle. Il faut se questionner sur la meilleure manière de le faire, selon les codes des différentes plateformes.