Forte hausse du temps supplémentaire chez les infirmières de l’Abitibi-Témiscamingue

Les infirmières continuent de faire régulièrement du temps supplémentaire. (archives)
Photo : CBC/Evan Mitsui
Radio-Canada a appris que les infirmières du réseau de la santé et des services sociaux de l’Abitibi-Témiscamingue ont effectué 43 % plus d’heures supplémentaires en 2021 qu’en 2020, passant ainsi de près de 19 300 à un peu plus de 27 600 heures. Une augmentation qui aurait de multiples répercussions sur l’attractivité de la profession.
Suzanne (nom fictif) a travaillé comme infirmière au sein d’installations du CISSS de l’Abitibi-Témiscamingue durant les deux premières années de la pandémie de COVID-19, soit en 2020 et 2021. Elle a démissionné de son poste au début de l’année. Elle atteste que les contrecoups des heures supplémentaires ne sont pas étrangers à sa décision.
Les gens ne font que se plaindre de la gestion, des horaires, de la charge de travail. Personne n'est content d’être là on dirait. C’est ce qui me rejoignait vraiment le moins
, raconte l’infirmière, qui préfère que nous taisions sa réelle identité, dans le but d’éviter des répercussions sur sa carrière advenant un retour dans le réseau public.
Temps supplémentaire chez les infirmières de l’Abitibi-Témiscamingue
Année | Nombre d'heures | Coût défrayé par le CISSS-AT |
---|---|---|
2021 | 27 618,40 | 1,6M$ |
2020 | 19 304,57 | 1,03M$ |
Temps supplémentaire obligatoire déguisé
Le président du syndicat interprofessionnel en soins de santé de l'Abitibi-Témiscamingue (FIQ-SISSAT), Jean-Sébastien Blais, ne se dit pas étonné par l’ampleur du nombre d’heures supplémentaires faites par les infirmières de la région. Le manque de personnel explique en partie la situation, selon lui.
La pénurie d’infirmières est à ce point criante que certains services ne pourraient pas être offerts sans le recours aux heures supplémentaires, estime M. Blais.
C’est pratiquement du temps supplémentaire obligatoire déguisé parce que vous avez cette pression que si vous ne faites pas le quart en temps supplémentaire, il risque d’y avoir une fermeture temporaire et vous ne voulez pas que les patients soient privés de soins
, déplore-t-il.

Jean-Sébastien Blais, président du syndicat de la Fédération interprofessionnelle de la Santé en Abitibi-Témiscamingue
Photo : gracieuseté
Suzanne confirme avoir déjà ressenti de la pression à réaliser des heures supplémentaires qui n’étaient pas obligatoires.
Quand c’est ton tour, tu dois le faire. Comme ce n’est pas toujours les mêmes qui doivent en faire, on dirait que tu ne peux rien faire et tu n’as pas le choix de rester, sinon tout le monde va être choqué contre toi
, spécifie l’infirmière.
Le CISSS-AT a refusé notre demande d’entrevue. Par courriel, l’organisation indique que l’augmentation des heures supplémentaires effectuées par les infirmières est provoquée par la pénurie de main-d'œuvre.
Des conséquences sur le terrain
Suzanne se souvient de périodes où elle effectuait plusieurs heures supplémentaires en peu de temps lorsqu’elle travaillait au CISSS-AT. Elle venait parfois à douter de ses capacités, se rappelle-t-elle.
Plus que le [quart de travail] avance, plus que tu as peur de faire des erreurs. Tu viens beaucoup moins alerte. Tu sens que tu commences à oublier des petits trucs. Même que lorsque tu donnes ton rapport à ton équipe à la fin du [quart de travail], tu n’es vraiment plus là
, témoigne l’infirmière.
Le président de l’Association des infirmières et infirmiers du Canada, Sylvain Brousseau, confirme que les heures supplémentaires peuvent avoir des impacts sur la qualité des soins.
Plus on est fatigué, plus on est à risque d’erreurs. Notre profession demande une minutie parce que les infirmières ont des compétences et une expertise de pointe.
Les relations de travail sont également affectées négativement par le temps supplémentaire, mentionne Jean-Sébastien Blais. Les unités où il est fréquent pour les infirmières d’en réaliser doivent souvent faire l’objet d’interventions du CISSS-AT afin d’améliorer le climat de travail, selon lui.
Quand on voit des gens faire cinq, six, sept quarts de 16 heures consécutifs, c’est impossible d’offrir la même qualité des soins et d’avoir la même attitude avec ses collègues
, souligne le président de la FIQ-SISSAT.
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Gestion des horaires
Le président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Luc Mathieu, croit qu’une nouvelle gestion des horaires s’impose pour espérer recourir moins souvent aux heures supplémentaires dans la profession.
Le ministre [de la Santé] revient beaucoup sur la question des horaires. Il faudrait que les gens de chaque unité de soins puissent convenir entre elles et eux de l’élaboration des horaires de travail
, croit-il.

Luc Mathieu, président de l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ)
Photo : Radio-Canada
Une décentralisation des décisions au niveau des horaires est amorcée au sein du CISSS-AT, soutient Jean-Sébastien Blais. De plus en plus de départements d’hôpitaux ou d’autres établissements peuvent déterminer eux-mêmes les horaires de travail des infirmières.
Depuis que l’autogestion des horaires est en place, il y a des gens qui travaillaient à temps partiel depuis de nombreuses années qui ont accepté d’augmenter leurs disponibilités à temps complet puisqu’ils avaient leur horaire de rêve
, note-t-il.
Qualité de vie
Il faudra bien plus que des primes en argent pour que des infirmières comme elle désirent réintégrer le réseau public de la santé et des services sociaux, considère Suzanne. Évoluant désormais dans le secteur privé, Suzanne se réjouit qu’elle n’ait plus à craindre d’accomplir de longues heures de travail.
Il n’y a aucune pression. On va toujours me dire : C’est toi, c’est tes disponibilités. Contrairement au réseau public où tu n’as même pas le choix et que tes besoins ne sont même pas pris en considération. Je ne pouvais pas concevoir de devoir travailler dans ces conditions
, expose-t-elle.