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Le long chemin des femmes marginalisées victimes de violence conjugale

Une femme se couvre le visage avec ses mains.

Les femmes marginalisées le sont encore plus lorsqu'elles veulent porter plainte pour violence conjugale.

Photo : Radio-Canada

La Presse canadienne

Qu'il s'agisse de discrimination, de dépendance économique ou d'une exclusion de leur communauté, les femmes issues de groupes marginalisés et victimes de violence se heurtent à de nombreux obstacles lorsqu'elles tentent de dénoncer leur agresseur.

C'est ce que révèle le rapport de recherche Justice pour les femmes marginalisées victimes de violences sexospécifiques, publié jeudi par des chercheuses de l'Université du Québec à Montréal en collaboration avec quatre organismes de soutien aux femmes victimes de violence conjugale ou sexuelle.

Ce document s'appuie sur les témoignages de 60 intervenantes. La moitié d'entre elles travaillent spécifiquement auprès de femmes et l'autre moitié auprès de communautés marginalisées, qu'elles soient immigrantes, racisées, autochtones, qu'elles aient un handicap ou qu'elles soient LGBTQ+.

Tu sais, moi, en tant que femme racisée et intervenante psychosociale, la police n'est pas un signe de sécurité pour moi, vraiment pas, a expliqué Aimée, une intervenante montréalaise.

Cette réalité est particulièrement aiguë pour les Autochtones en raison du profilage et de la brutalité policière à leur égard, la discrimination systémique, la lourdeur bureaucratique et l'insécurité culturelle ressentie envers le système, indique le rapport.

Dans la communauté LGBTQ+, on craint aussi de ne pas être crue si on dénonce une situation de violence conjugale. La reconnaissance que ça peut être quelque chose de criminel, ce n'est même pas là, et ça, c'est peu importe qu'elles soient trans ou immigrantes ou quoi que ce soit, c'est dès que c'est présent dans une relation autre qu'hétéronormative, explique Chloé, elle aussi montréalaise.

De plus, faire des démarches en justice signifie qu'il faut faire un coming out, ajoute-t-elle. Certaines femmes immigrantes peuvent aussi se mettre en danger si leur orientation sexuelle est dévoilée et qu'elles retournent dans leur pays.

Risque d'expulsion

Pour les conjoints violents, un statut d'immigration précaire est une arme de choix. La majorité du temps, l'obstacle à la dénonciation subi par les femmes immigrantes, c'est quand monsieur fait croire à madame qu'il sera capable de la faire retourner dans son pays d'origine même si c'est faux, souligne Tessy. Parfois, il peut même dissimuler les papiers de son épouse ou limiter son accès aux connaissances de base sur le système de justice canadien.

Et pour certaines immigrantes, cette menace est plus que des mots en l'air, rappelle Juliana, de Laval : Dans bien des cas, il y a un appel à la police qui est fait, soit par la femme, soit par le conjoint, et elle se retrouve en détention sur la base de son statut irrégulier. Ce n'est pas vrai que ça n'arrive pas.

La directrice de la Fédération des maisons d'hébergement pour femmes (FMHF), Manon Monastesse, estime que ses établissements reçoivent plus de 95 % de femmes immigrantes. En entretien téléphonique, elle indique que parmi toutes celles qui y transitent, on ne dépasse pas les 25 % qui font un signalement à la police.

D'autres survivantes n'arrivent tout simplement pas à communiquer avec les autorités, même si elles essaient. Celles qui ont une mobilité réduite ou qui vivent dans des communautés éloignées n'ont pas toujours les moyens d'appeler ou de se déplacer. Chez les femmes sourdes ou allophones, aller dans un poste de police ne signifie pas qu'on leur fournira un interprète, malgré la loi.

Il est arrivé qu'une mère et un enfant reçoivent des documents de la cour [et du centre jeunesse] en français alors qu'ils ne parlaient pas ni ne savaient lire cette langue. Il n'y avait pas non plus de personne pour traduire, ce qui a fait en sorte que des décisions ont été prises sans qu'ils comprennent quoi que ce soit de la situation, a témoigné une intervenante auprès des communautés autochtones du Nord-du-Québec.

Exclusion de la communauté

Hafsa, de Montréal, raconte l'histoire d'une femme qui a perdu son emploi, car son patron était un ami du mari. Ça a été très difficile pour elle de trouver un emploi ensuite puisque sa communauté savait très bien qui elle était et ne souhaitait pas l'embaucher. Souvent, le mari va même s'assurer de faire le tour des employeurs de sa communauté pour voir si elle a trouvé un nouveau travail.

Et même si son groupe ne lui est pas hostile, la femme doit parfois s'isoler elle-même. S'il y a une soirée lesbienne dans un bar, eh bien, il y en a UNE, soirée lesbienne, dans un bar, donc si tu veux y aller, il faut que tu trouves des stratégies pour te protéger, parce qu'il y a une possibilité de croiser la personne, rappelle Chloé.

Pour les femmes qui ont un handicap, l'agresseur est souvent leur seul pair aidant et le seul soutien financier. Dans cette situation, quitter un conjoint violent, c'est souvent aller vers une plus grande précarité économique, ajoute la coresponsable des dossiers politiques au Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale (RMFVVC), Louise Riendeau, en entretien téléphonique.

Le tribunal spécialisé peut-il tout régler?

La décision du gouvernement de François Legault de créer des tribunaux spécialisés en violence conjugale et sexuelle a été saluée par de nombreux organismes dans le domaine.

Les juges, les avocats, les procureurs et même les greffiers […] vont être formés à mieux comprendre la violence conjugale, la violence sexuelle et les impacts sur les victimes, s'est réjouie Mme Monastesse.

Cependant, le rapport note qu'aucun groupe expressément spécialisé dans la réponse aux besoins des femmes sourdes, des minorités sexuelles et de genre, racisées [à l'exclusion des Autochtones] ou issues de l'immigration n'est interlocuteur du gouvernement dans les différents comités d'implantation de ces tribunaux. Selon l'étude, il existe une forte possibilité qu'on fasse abstraction de problèmes comme la discrimination, les préjugés et le risque d'expulsion ainsi que de besoins comme l'accès à un interprète.

Les auteures de la recherche sont la professeure Geneviève Pagé et les chercheuses étudiantes Sarah Thibault et Carole Boulebsol. Les organismes partenaires sont le RMFVVC, la FMHF, le Regroupement québécois des CALACS et la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle.

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