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Ottawa finance-t-il la contestation de la loi 21? Oui et non

Les principaux adversaires de la Loi québécoise sur la laïcité de l’État n’ont pas eu accès au programme de contestation judiciaire, mais un organisme fédéral a déjà payé 100 000 $ en frais d’avocats dans ce dossier

Des macarons avec l'inscription Loi 21 barrée en rouge.

Macarons dénonçant la Loi sur la laïcité de l'État.

Photo : La Presse canadienne / Paul Chiasson

Durant la dernière campagne électorale, le Bloc québécois a demandé aux autres partis de s’opposer à l’utilisation de fonds fédéraux pour contester la Loi québécoise sur la laïcité de l'État devant les tribunaux.

Le chef bloquiste, Yves-François Blanchet, a notamment demandé aux partis fédéralistes à Ottawa d’empêcher les adversaires de la loi 21 d’avoir accès au Programme de contestation judiciaire (PCJ).

M. Blanchet soulevait une question complexe.

Financé par le fédéral et géré par l’Université d’Ottawa, le PCJ fonctionne de manière indépendante du gouvernement et ne dévoile pas l’identité des organismes qu’il finance.

La directrice du PCJ, Marika Giles Samson, explique que la confidentialité permet d’éviter toute ingérence dans les décisions des groupes d’experts qui évaluent les demandes de financement.

Pour mieux comprendre les sources de financement derrière la contestation de la loi 21, Radio-Canada a contacté les groupes ainsi que certains avocats qui y participent et effectué des recherches au moyen de la loi d’accès à l’information.

Voici les principales conclusions :

  • Aucun groupe n’a eu accès au PCJ, selon leurs porte-paroles et avocats, car le programme ne finance pas la contestation de lois provinciales sous son volet consacré à la protection des droits de la personne.

  • La Commission scolaire English-Montréal (CSEM) a déjà dépensé plus de 700 000 $ en frais d'avocats pour contester la loi 21. L’organisme s’était qualifié pour un financement du PCJ dans le domaine de la protection des droits linguistiques, sans pour autant l’utiliser.

  • La Commission canadienne des droits de la personne, qui est un intervenant devant les tribunaux, a payé 95 000 $ au cabinet de l’avocat Julius Grey pour tenter de faire invalider la loi. La Commission est financée par le fédéral, mais agit de manière indépendante du gouvernement.

  • Trois groupes annonceront prochainement qu’ils se sont unis pour recueillir les dons de gens et de groupes qui veulent contribuer à la lutte juridique contre la loi 21 – donateurs parmi lesquels on compte certaines municipalités d'un peu partout au pays. Il s’agit du Conseil national des musulmans, de l’Association canadienne des libertés civiles et de l’Organisation mondiale des sikhs du Canada.

  • Le coût total de la contestation à ce stade des procédures est évalué à plus de 2 millions de dollars par des avocats engagés dans le processus. La facture à ce jour a été principalement épongée par la CSEM, un syndicat de professeurs québécois et les cabinets d’avocats qui travaillent gratuitement ou au rabais.

En vigueur depuis 2019, la Loi sur la laïcité de l'État interdit à certains employés d'État en situation d'autorité d’afficher des signes religieux dans l'exercice de leurs fonctions, dont les enseignants. Québec a utilisé la disposition de dérogation – souvent appelée clause nonobstant – pour limiter la contestation judiciaire par ceux qui feraient valoir que la loi est discriminatoire et contraire à la Charte canadienne des droits et libertés.

La contestation est menée par quatre groupes de demandeurs, avec neuf intervenants. Le dossier est devant la Cour d’appel du Québec et devrait être entendu au cours des prochains mois. Tous s’attendent à ce que la cause aboutisse devant la Cour suprême du Canada. Pour l’instant, Ottawa n’est pas intervenu devant les tribunaux.

Inadmissible au financement du PCJ

Les demandeurs qui contestent la loi disent tous qu’ils n’ont pas pigé dans la cagnotte du PCJ, qui reçoit environ 5 millions de dollars du fédéral par année. Le financement maximal pour contester une cause est de 200 000 $ en première instance et de 50 000 $ en appel.

L’enjeu, dans le cas de la loi québécoise, est que le PCJ ne dessert pas les groupes qui contestent des lois provinciales sous son volet de protection des droits de la personne, mais seulement ceux qui contestent les lois fédérales.

Parmi les groupes qui ont été les premiers à contester la loi 21 devant les tribunaux, il y a le Conseil national des musulmans canadiens.

« Nous n’avons pas obtenu de financement sous le Programme de contestation judiciaire et n’avons aucune intention d’en faire la demande. »

— Une citation de  Mustafa Farooq, président du Conseil national des musulmans canadiens
Mustafa Farooq en entrevue.

Mustafa Farooq, le président du Conseil national des musulmans Canadiens (archives)

Photo : Radio-Canada

L’Association canadienne des libertés civiles confirme qu’elle n’était pas admissible au financement fédéral dans ce dossier.

La directrice générale de l’Association, Noa Mendelsohn Aviv, affirme que les attaques contre le PCJ servent surtout à faire diversion du véritable enjeu, soit les torts causés par cette loi en particulier aux femmes venant de communautés religieuses, ethniques ou immigrantes.

En décembre, l’enseignante Fatemeh Anvari a été réaffectée au sein de l’école élémentaire Chelsea, au nord de Gatineau, après avoir refusé d’enlever son voile au travail comme l’exige la loi 21.

Des manifestants brandissent des affiches d'opposition à la loi 21.

Une mobilisation a eu lieu cet hiver après la réaffectation d'une enseignante de Chelsea survenue en raison de son hijab (archives).

Photo : Radio-Canada / Alexander Behne

Financé par le fédéral

La Commission canadienne des droits de la personne avait publiquement dénoncé la loi 21 en juin 2019, lors de son adoption. Quelques mois plus tard, elle a embauché la firme Grey Casgrain, qui travaille parallèlement pro bono (gratuitement) sur cette cause pour le Quebec Community Groups Network.

Devant la Cour d’appel, la Commission dénonce ce qu’elle considère comme une violation des droits des femmes et du droit à la liberté de religion.

Dans son mémoire, elle affirme que le but de la clause dérogatoire n’a jamais été de remettre en question les principes fondamentaux de la Charte et de permettre l’adoption d’une loi qui abolit complètement l’ensemble des droits qu’elle protège, notamment la liberté de religion, d’expression, d’association et à l’égalité.

La Commission a dépensé 68 000 $ en frais juridiques pour contester la loi devant la Cour supérieure du Québec et 27 000 $ jusqu’à maintenant pour le dossier qui est devant la Cour d’appel du Québec. Selon le site fédéral de divulgation proactive, le contrat à Grey Casgrain a été octroyé sans appel d’offres.

La Commission est indépendante du gouvernement et agit dans l'intérêt public. Son budget lui est alloué de la même manière que les autres ministères et agences centrales, explique la porte-parole de la Commission, Véronique Robitaille.

La facture de la commission scolaire anglophone

Pour avoir accès au financement du PCJ dans le cadre de la contestation d’une loi provinciale, il faut que ce soit dans le domaine linguistique, selon les règles du programme mises en place par le gouvernement libéral de Justin Trudeau.

En 2020, la Commission scolaire English-Montréal avait bel et bien été jugée admissible pour un financement provenant du PCJ, s’étant qualifiée sous le volet droits en matière de langues officielles. Le droit à l’éducation en anglais au Québec, pour la minorité anglophone de la province, est protégé par la Charte des droits et libertés.

Toutefois, face à un tollé, la CSEM avait décidé à l’époque de refuser le financement, affirmant vouloir éviter de se retrouver au milieu d'une querelle entre le fédéral et le gouvernement québécois.

La CSEM a donc payé ses propres frais d'avocats.

Selon une demande d’accès à l’information faite par Radio-Canada, la CSEM a déboursé 725 000 $ en frais juridiques pour mener cette contestation jusqu’à présent. Le cabinet qui représente la CSEM devant les tribunaux est Juristes Power, une firme qui possède une expertise, entre autres, dans le domaine des droits linguistiques.

La CSEM avait gagné une première manche contre la loi 21 l’an dernier, alors que le juge Marc-André Blanchard de la Cour supérieure du Québec avait suspendu certains articles touchant les commissions scolaires anglophones de la province. Le gouvernement du Québec a porté cet élément de la décision en appel.

Daniel Leblanc

Les autres adversaires

La Fédération autonome de l’enseignement, qui est un autre demandeur devant les tribunaux, affirme qu’elle n’a pas eu recours au PCJ dans le cadre de la contestation de la loi 21.

Les frais encourus par la FAE devant la Cour supérieure et la Cour d’appel du Québec dans le cadre du recours visant certaines dispositions de la Loi sur la laïcité de l’État ont été entièrement assumés par la FAE, à même son budget de fonctionnement, dit la porte-parole Marie-Ève Rancourt.

Plusieurs avocats qui ont travaillé pour les groupes engagés dans la contestation de la loi 21 l’ont fait de manière pro bono ou à des tarifs réduits, selon leurs porte-paroles.

C’est le cas, par exemple, des avocats qui ont travaillé pour l’Organisation mondiale des sikhs du Canada, la Coalition inclusion Québec, le Conseil national des musulmans canadiens et l’Association des libertés civiles.

Les porte-paroles de l’Alliance de la fonction publique du Canada et d’Amnistie internationale (Canada francophone) ont aussi affirmé ne pas avoir reçu de financement de la part du PCJ.

Amnistie internationale [...] n'accepte jamais de financement gouvernemental, affirme Camille Ducroquet, d’Amnistie internationale.

À la défense de la loi 21

Le gouvernement du Québec a une équipe de six avocats qui défendent la loi 21 devant les tribunaux. De plus, d’autres intervenants devant les tribunaux ont offert leur appui à la loi sur la laïcité, dont le Mouvement laïque québécois, Pour les droits des femmes du Québec et Libres penseurs athées.

Québec a demandé au gouvernement fédéral de ne pas se mêler de la contestation de la loi et a dénoncé les municipalités de l’extérieur du Québec qui ont offert un appui financier aux groupes luttant contre la loi 21. Des villes comme Brampton et London, en Ontario, ainsi que Winnipeg ont annoncé leur intention de financer la contestation de la loi 21 au cours des derniers mois.

Quand les personnes sont en autorité, elles ne peuvent pas porter de signes religieux. C'est le choix qu'on a fait au Québec, de façon très démocratique, a dit le premier ministre François Legault après la réaffectation de Mme Anvari, il y a quelques mois.

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