L’octobasse de l’OSM en vedette dans la musique du jeu Rainbow Six Extraction
Il s’agit de la première utilisation de l’octobasse dans un jeu vidéo.

L'octobasse a été introduite à l'OSM en 2016.
Photo : Antoine Saito
Le nouveau titre de la série Rainbow Six d’Ubisoft Montréal, Extraction, fait voyager les sonorités de la métropole : la bande originale offre en effet toutes les nuances et particularités de l’octobasse de l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM).
C’est un véritable hommage à l’octobasse. On est allé chercher tous les effets possibles de l’instrument
, souligne Eric Chappell, octobassiste depuis sept ans et contrebassiste à l’OSM depuis 1999.
Ce mastodonte de près de 3,7 mètres, dont les cordes font deux mètres de long, émet des sons très graves qui font vibrer toute la salle
. Selon la position de l’archet, les effets peuvent aller du craquement au grondement, comme le décrit Eric Chappell.
Nous ne voulions pas aller vers une direction orchestrale classique
, souligne Vincent Gagnon, directeur audio de Rainbow Six Extraction.
Il souhaitait s'éloigner d’une musique épique à la Richard Wagner, pour aller plutôt vers des sonorités inspirées de compositions du 20e siècle, comme celles d'Iannis Xenakis, de György Ligeti ou encore de Luigi Nono.
Cet instrument, que le directeur sonore appelle affectueusement la bête
, donne à Extraction toute sa saveur particulière
, qui reflète bien l’ambiance du jeu [de tir coopératif] : sombre, stressant, [avec] un brin d’horreur et une touche de science-fiction
.
Une singularité qui a ses défis
L’octobasse est assez unique en soi, d’abord par sa rareté : des sept instruments qui existent dans le monde, on en compte trois à la Maison symphonique de Montréal – prêtés par le Groupe Canimex –, dont la seule réplique du modèle original, datant de 1850.
C’est sur celle-ci qu’Eric Chappell a joué les notes qui ponctuent maintenant la bande originale du jeu Rainbow Six Extraction.
L’instrument colossal vient avec son lot de défis. On peut notamment penser au fait que, en raison de ses pédales, de son archet plus lourd et de ses leviers, il s’agit d’un instrument très physique à jouer. Un entraînement est nécessaire pour le manœuvrer, selon Eric Chappell, qui précise que l’instrument a trois cordes, contrairement à quatre sur la contrebasse.
« On ne peut jouer des sessions de trois heures sans s'arrêter, sans quoi on peut se blesser. »
Même pour l’enregistrement de Rainbow Six, on ne pouvait pas tout faire d’un coup. Il a fallu plusieurs sessions dans la journée pour y arriver
, ajoute-t-il.
Une autre difficulté, cette fois-ci pour l’équipe de direction audio, est que peu de partitions existent pour l'instrument historique.
C’est assez récent qu’on commence à apprendre ce que ça a été, l’octobasse, et comment on y joue. Il n’y a pas de partitions écrites pour la plupart des morceaux, à l’exception de quelques pièces au 19e siècle
, explique Eric Chappell, qui a d’ailleurs été le premier à suggérer l’utilisation de l’instrument au maestro Kent Nagano, l’ex-chef d’orchestre de l’OSM, pour une pièce de Berlioz qui le demandait.
Il a fallu faire une bonne recherche avec Eric [Chappell] pour bien comprendre comment écrire pour cette bête
, reconnaît Vincent Gagnon.
Une trame bien montréalaise
Si la base de la trame sonore du nouveau titre de la série Rainbow Six repose beaucoup sur l’octobasse, Vincent Gagnon a aussi choisi de mettre en valeur un autre symbole montréalais : le grand orgue Pierre-Béique de la Maison symphonique de Montréal, joué par l’organiste Jean-Willy Kunz.
« C'était très important pour nous que la musique soit faite à Montréal. »
Des compositeurs aux instrumentistes en passant par la technique et la production, l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices étaient de Montréal, comme le précise Vincent Gagnon, qui souligne fièrement au passage l’immense bassin de talents qu'on trouve dans la métropole.
Le directeur sonore a aussi fait appel aux ondes Martenot pour agrémenter la trame sonore de Rainbow Six Extraction, mettant en vedette un trio d’instruments assez unique
.
« Une fois combinés, [l’octobasse, l’orgue et les ondes Martenot] donnent des possibilités vraiment originales et une sonorité rarement entendue. »
La bande originale a aussi une touche de modernité, grâce au travail du compositeur James Duhamel, qui a ajouté des musiques électroniques en contraste avec les trois instruments.
Violoncelle, banjo, clarinette, percussions et synthétiseurs se greffent aussi au trio.
Le résultat est loin d’être traditionnel : la musique ne se répète pas à l’infini, contrairement à ce qu'on entend dans bien des jeux vidéo où la trame fait une boucle. Il s’agit plutôt d’un système de hasard contrôlé
qui permet une musique différente pour chaque partie lancée.
Il n'y a pas de partition qui comprend [tous les instruments]. Nous avons écrit chaque session pour les instruments en ayant une unité de tonalité [do mineur] et de tempo [104 bpm, ou battements par minute]
, précise Vincent Gagnon.
Les pistes musicales ont ensuite été combinées à l’aide d’un logiciel d’intégration sonore, ce qui a donné beaucoup de latitude pour expérimenter avec les matériaux de base [et] pour que la musique ne soit jamais tout à fait la même
.
Cette signature sonore bien particulière, Eric Chappell n’a pas encore eu la chance de l’entendre dans Rainbow Six Extraction. Se décrivant comme un joueur occasionnel – notamment de la série Assassin’s Creed d’Ubisoft Montréal –, il compte bien s'enrôler comme agent dans le jeu vidéo lorsqu’il en aura l’occasion.