Ukraine : course contre la montre pour sauver le patrimoine culturel de Lviv

La chapelle de Boim, construite au 17e siècle, a été recouverte de panneaux de bois et de feuilles de tôle.
Photo : Avec l'autorisation d'Alexey Cherednichenko
Le pilonnage de l’Ukraine par l’armée russe depuis près d’un mois a causé d'irréparables dommages au patrimoine culturel et architectural du pays. Alors que les bombardements se rapprochent dangereusement de la ville de Lviv, dans l’ouest du pays, des dizaines de bénévoles se sont lancés dans une course contre la montre pour protéger le centre historique de la ville, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Depuis le début du conflit en Ukraine, le sculpteur ukraino-canadien Oleh Lesiuk observe avec effroi les bombes qui s’abattent sur son pays natal.
Vendredi matin, l’aéroport de Lviv a été frappé par des missiles; un choc pour le sculpteur, qui craint que les trésors architecturaux de sa ville natale ne soient détruits.
Nous ne commençons plus nos journées par un café et un déjeuner, mais en regardant les nouvelles. [...] Chaque fois qu’on voit le soleil briller, les gens marcher dans les rues de Lviv et les immeubles qui sont toujours debout, c’est un soulagement
, dit-il, dans son atelier de Toronto.
Oleh Lesiuk est installé au Canada depuis une trentaine d’années et plusieurs de ses œuvres, dont des sculptures et monuments à l’effigie du célèbre poète, peintre et défenseur de la culture ukrainienne du 19e siècle, Taras Shevtchenko, sont toujours exposées dans les rues de Lviv et à travers le pays.
Avec ses poèmes, il a prédit exactement ce qui est en train de se produire en Ukraine, l’attitude de la Russie envers notre pays
, dit-il.
Il est si populaire que presque chaque ville d’Ukraine veut une statue à son effigie. [...] Et maintenant, toutes ces œuvres pourraient être détruites
.
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Une course contre la montre
À Lviv, une armée de bénévoles travaille d’ailleurs d’arrache-pied depuis le début du conflit pour protéger le patrimoine culturel et architectural de la ville.
Pardonnez-moi
, dit Andriy Pochekva, un restaurateur d’art, en répondant à son téléphone, quelques minutes seulement après le début de notre entrevue par visioconférence.
À l’autre bout du fil, un bénévole lui demande des conseils concernant l’installation de matériel de protection autour d’un monument historique, explique Ulyana Shchurko, une professeure associée au département de gestion de l’art à l’Académie nationale des arts de Lviv, qui lui sert d’interprète pour l’occasion.
Depuis plus de deux semaines, l’homme de 44 ans passe ses journées à coordonner les efforts pour protéger les monuments historiques de la ville contre d’éventuels bombardements.
Dans le centre historique, fondé à la fin du Moyen-Âge, des statues de pierres ont été emballées avec du plastique alors que les vitraux d’églises comme la basilique-cathédrale de l'Assomption, construite au 14e siècle, ont été recouverts de feuilles de tôle.
D’autres édifices historiques ont été tapissés de matériaux ignifuges et recouverts d'échafaudages et de planches de bois, comme la chapelle de Boim, construite au début du 17e siècle.
Nous savons bien que cela ne les protégera pas s’ils se font frapper directement par une bombe. [...] Seule la fermeture de l’espace aérien pourrait les protéger
, explique Andriy Pochekva, qui coordonne les opérations.
Même si ces efforts peuvent sembler futiles face à la force de frappe de l’armée russe, tenter de préserver le patrimoine culturel de son pays est selon lui une question de survie identitaire.
Cet héritage est ce qui fait de nous des Ukrainiens. C’est pour cela que les Russes veulent le détruire
, dit-il.
« Ils essaient de détruire notre identité, notre culture et notre langue depuis des centaines d’années. »
Un désert
Au Musée national de Lviv, le plus grand musée d’art du pays, les murs, qui étaient recouverts d'œuvres il y a à peine un mois, sont aujourd’hui nus. En 10 jours seulement, les quelque 1700 œuvres qui y étaient exposées ont toutes été mises à l'abri, dans des endroits gardés secrets.
« C’est très difficile de voir le musée vide. Il ressemble à une ruine, à un désert sans tous les tableaux sur les murs. »
Bien que les artéfacts soient en sécurité pour le moment, préserver des œuvres d’art, dont certaines datent du 14e siècle, à l’extérieur du musée est un défi de taille.
Le bois sur lequel certaines œuvres ont été peintes est plus vieux que le bois du bateau de Christophe Colomb
, dit le directeur du musée, qui s’attend déjà à ce que certaines œuvres doivent être restaurées lorsque le conflit sera terminé.
Il ajoute que les œuvres pourraient être endommagées par des bombardements si le musée tentait de les transporter vers un autre pays.
On peut reconstruire des villes [...] mais on ne peut pas faire de même avec notre héritage culturel ni ramener des gens à la vie
, dit Ihor Kozhan.
Nous espérons qu’en fin de compte, tous ces efforts n’auront pas été nécessaires
, affirme pour sa part Andriy Pochekva.