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Sacrifier des caribous ou des emplois : le Québec face à « un choix de société »

La Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards amorcera ses consultations le 12 avril et travaillera sur deux scénarios aux antipodes.

Une vingtaine de caribous sur une étendue enneigée couverte de traces de caribous.

Un groupe de caribous forestiers (archives)

Photo : Courtoisie, MFFP

Protéger le caribou, mais à quel prix? Telle est la question que tentera d'élucider la Commission indépendante sur les caribous forestiers et montagnards. Parmi les deux scénarios « hypothétiques » à l'étude, l'un condamnerait 3 des 12 hardes du Québec, alors que l'autre éliminerait des emplois et des retombées économiques pour l'industrie forestière.

Annoncée en novembre par le gouvernement Legault, la commission tiendra sa tournée de consultations publiques « en présentiel » du 12 avril au 17 mai, a-t-elle dévoilé jeudi.

Ses commissaires iront à la rencontre de la population, des communautés autochtones et des parties prenantes dans les différentes régions du Québec touchées par l'aire de répartition de l'animal. La consultation est néanmoins ouverte à l'ensemble des Québécois, qui pourront déposer un mémoire ou répondre à un questionnaire en ligne.

Au bout du compte, les travaux contribueront à la réalisation de la prochaine Stratégie de protection de l'habitat du caribou, laquelle a été repoussée à deux reprises par la Coalition avenir Québec (CAQ) au cours de son premier mandat.

Le rapport et les recommandations de la commission sont espérés à la fin de l'été, avant les élections provinciales de l'automne.

Calendrier de consultations :

  • Sainte-Anne-des-Monts : 12 avril
  • Baie-Saint-Paul : 19 avril
  • La Sarre : 27 avril
  • Val-d'Or : 28 avril
  • Chibougamau : 5 mai
  • Alma : 11 mai
  • Baie-Comeau : 17 mai

Saveur économique

Le mandat de la commission ne sera pas d'analyser les causes du déclin de l'animal, a-t-on expliqué en conférence de presse, jeudi. On ne deviendra pas des experts du caribou, a dit Nancy Gélinas, présidente de la commission, doyenne de la Faculté de foresterie de l'Université Laval et spécialiste en économie forestière.

L'orientation est davantage économique que scientifique. Notre rôle, c’est d’ajouter la couche des impacts socioéconomiques.

Il faut aller chercher pour le plus grand nombre. Notre objectif, c'est d'émettre des recommandations qui vont à la fois protéger les habitats des caribous tout en limitant les impacts socioéconomiques de cette protection-là.

Une citation de Nancy Gélinas, présidente de la Commission indépendante sur le caribou forestier et montagnard

Selon elle, le Québec doit faire un choix de société qui prenne en considération à la fois la protection du caribou, une espèce emblématique, mais aussi les conséquences de sa protection pour les régions, l'industrie et le trésor public. Est-ce que c’est accepté par la société?

Avec les anciens sous-ministres Clément D'Astous et Florent Gagné, Mme Gélinas devra trouver quelque chose entre les deux pour rapprocher les parties.

Une grue mécanique déplace des troncs d'arbres coupés.

La commission souhaite savoir où loge la population et jusqu'où elle est prête à aller pour préserver les hardes de caribous forestiers et montagnards.

Photo : Reuters / Chris Wattie

Des sacrifices

Quelques minutes avant les déclarations des commissaires, les représentants du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) ont présenté aux médias les deux scénarios qu'ils ont élaborés dans le cadre des travaux de la commission.

Ces deux scénarios, soumis aux participants à la consultation, sont considérés théoriques et hypothétiques. Ils doivent être vus, a-t-on insisté, comme une base de réflexion. Reste que Mme Gélinas y voit personnellement les deux extrêmes d'un même spectre.

Le premier scénario, davantage favorable aux populations de caribous du Québec, est calqué sur un scénario préparé par les experts du MFFP en 2019, avant que la nouvelle stratégie ne soit repoussée par le ministre Pierre Dufour.

Il serait aussi plus coûteux pour l'État québécois.

En raison de la forte dégradation de certains habitats par des perturbations humaines, notamment par la présence de chemins forestiers et de coupes forestières, Québec devrait investir plusieurs dizaines de millions de dollars pour réaménager le territoire au cours des prochaines années. S'ajouteraient également des mesures de gestion et de protection des caribous.

Ce scénario priverait l'industrie d'un peu plus de 900 000 m3 de bois par année dans le calcul de la possibilité forestière à l'échelle de la province. L'industrie perdrait, estime-t-on, 841 de ses 60 000 emplois directs au Québec, toujours selon les documents présentés jeudi.

Le second scénario, dit sans impact additionnel sur l'industrie forestière, viendrait quant à lui condamner trois hardes de caribous forestiers, soit celles de Val-d'Or, de Charlevoix et du Pipmuacan, au Saguenay-Lac-Saint-Jean.

Deux cartes montrant les zones forestières dont il est question.

Le scénario 1 prévoit de conserver des zones de restauration pour Charlevoix, Val-d'Or, Pipmuacan et Péribonka. Ces zones et les zones de connectivités disparaissent dans le scénario 2. Les portions hachurées sont communes aux deux scénarios.

Photo : Gouvernement du Québec

Les deux premières, déjà en enclos, sont sous respirateur artificiel, avec respectivement 7 et 16 caribous toujours en vie. Dans le cas du Pipmuacan, le dernier inventaire du ministère dénombrait 177 individus et les indicateurs montraient tous un déclin.

Dans le scénario plus favorable à l'industrie, Québec éliminerait les zones de restauration d'habitat de ces populations et de celle de Péribonka, en plus d'abolir tous les corridors de connectivité entre les habitats propices au caribou.

Dans le second scénario, aucun territoire ne serait protégé au sud d'Amos, à l'exception de la Gaspésie.

Déjà des critiques et un possible boycottage

À peine présentés, les documents de la commission ont été critiqués par des groupes écologistes qui réclament des gestes immédiats pour sauvegarder les populations de caribous.

Un scénario qui fait disparaître le quart des populations de caribou forestier et qui met la hache dans les zones de connectivité ne devrait tout simplement pas être étudié par cette commission, a déclaré Alice-Anne Simard, directrice générale de Nature Québec.

À son avis, le premier scénario est déjà un compromis entre les besoins de l'espèce pour assurer son rétablissement et les revendications de l'industrie forestière. Autrement dit, le scénario plus favorable à la préservation devrait, selon Nature Québec, être le scénario le plus extrême envisagé pour le caribou.

Des empreintes de caribous dans la forêt vues d'un drone.

Des traces de caribous dans le secteur Pipmuacan

Photo : Gracieuseté : Erwan Gavelle

Même son de cloche du côté de la Société pour la nature et les parcs (SNAP Québec). Déjà critique de la création même d'une commission indépendante l'automne dernier, la SNAP Québec envisage aujourd'hui de boycotter ses travaux. Aucune décision n'a encore été prise, a-t-on précisé.

L'idée même d'éliminer les zones de connectivité ainsi que des aires de restauration d'habitats, comme dans les secteurs Pipmuacan et Péribonka, sont particulièrement difficiles à comprendre, selon Pierre-Olivier Boudreault, biologiste de formation et chargé de projet en conservation et foresterie.

Le Conseil de l'industrie forestière (CIFQ) a aussi brièvement réagi aux scénarios présentés par Québec. Notre industrie est préoccupée par la situation du caribou au Québec et tient à étudier avec la plus grande rigueur ces scénarios dans le but de contribuer à la recherche de solutions durables. Le CIFQ fera part de ses commentaires et analyses dans le cadre des audiences, a-t-il indiqué par communiqué.

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