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Délais « ridicules » : de moins en moins de plaintes de détenus sont traitées à temps

Des barreaux d'une prison.

Le nombre de plaintes et griefs de détenus fédéraux traités dans le délai prescrit est en baisse depuis au moins 2016.

Photo : iStock

Le nombre de plaintes et griefs de détenus fédéraux traités dans le délai prescrit est en baisse depuis au moins 2016, d’après les données de Service correctionnel Canada (SCC). Une avocate spécialisée en droit carcéral et un détenu dénoncent des délais « ridicules » et un processus qui ne mène souvent à rien d'autre que des représailles.

Le processus de plaintes et griefs, c’est vraiment rendu une blague, a déclaré en entrevue Me Cynthia Chénier, cofondatrice et présidente de l’Association des avocats carcéralistes progressistes (AACP).

Certains de ses clients ont dû attendre plus de deux ou trois ans avant d’obtenir une réponse de SCC à leur plainte. C’est un peu ridicule; il y en a même qui sortent de prison et qui n’ont jamais eu de réponse, a-t-elle déploré.

Sur 106 940 plaintes et griefs traités entre le 1er avril 2016 et le 31 mars 2021, seulement 67 633, soit 63 %, ont été traités dans le délai prescrit par la Directive du commissaire 081 (Nouvelle fenêtre), d’après les données de SCC obtenues par Radio-Canada. Cette directive prévoit qu’une décision finale doit être rendue dans les 60 ou 80 jours ouvrables suivant la réception du grief.

Un rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne (Nouvelle fenêtre), déposé en juin 2021, note que dans tous les pénitenciers fédéraux visités par le comité, des personnes sous responsabilité fédérale ont déclaré que le système de règlement des griefs comporte des failles et qu’il ne fonctionne pas, citant notamment un retard considérable [...] à condition que les griefs soient même traités.

Selon SCC, les retards peuvent s’expliquer notamment par le besoin de plus de temps pour recueillir des informations et analyser les problèmes du plaignant, le volume de plaintes et de griefs gérés au site ou au niveau auquel la plainte ou le grief est traité, et récemment, l'impact de la pandémie de COVID-19.

Or, bien que le nombre total de plaintes ait diminué au cours de chacune des cinq dernières années, le nombre de plaintes traitées à temps a diminué encore plus, de sorte qu’une proportion de plus en plus grande d’entre elles sont traitées en retard. Et cette tendance s’observe depuis bien avant le début de la pandémie.

Invité à s’expliquer davantage sur les raisons de l’augmentation des retards, SCC a indiqué par courriel n’avoir rien à ajouter.

Les délais sont de pire en pire, a remarqué Christopher Lill, un détenu de l’établissement à sécurité moyenne de Cowansville qui se trouve derrière les barreaux depuis près de 16 ans.

M. Lill, qui est autochtone, a soumis au fil des années des griefs sur la rémunération de son travail comme détenu, la discrimination dans l’accès à certains programmes et le harcèlement par le personnel des différents établissements qu’il a fréquentés.

Il attend toujours une décision concernant un grief qu’il a soumis en 2020 concernant l’accès à des appels téléphoniques confidentiels, a-t-il déclaré en entrevue cette semaine. Les délais représentent une problématique récurrente et ce n’est pas juste moi, c’est tous les détenus, a-t-il assuré.

De longs délais pour peu de résultats

Les plaintes des dernières années concernent principalement le rendement du personnel, les effets personnels des détenus ainsi que l’alimentation et le régime alimentaire, a indiqué SCC par courriel.

Mais moi, je vois beaucoup de discrimination, je peux voir du harcèlement, je peux voir, sur le plan médical, des gens qui ont demandé d’avoir des soins et ont déposé des griefs devant l’absence de réponse adéquate, a énuméré Me Chénier. C’est pas des niaiseries.

Qui plus est, les détenus qui se plaignent s’exposent à des représailles, et ce, bien que la directive prévoie que le directeur de l’établissement doit veiller à ce que les délinquants aient libre accès au processus de règlement des plaintes et griefs sans crainte de représailles.

Un client de Me Chénier, qui avait décidé de maintenir son grief malgré des pressions de la part du personnel de l’établissement pour qu’il l’abandonne, s’est vu pénalisé sur plein d’autres aspects de sa sentence, a-t-elle déclaré, incluant des rapports disciplinaires un peu farfelus, des rencontres administratives et une revue à la hausse de sa cote de sécurité.

Il a donc déposé un autre grief pour ce qu’il considérait comme des représailles. Donc, c’est grief par-dessus grief, mais on n’a jamais de réponse, a laissé tomber l’avocate.

Un drapeau du Canada derrière des fils barbelés.

Les doléances de Me Cynthia Chénier et de Christopher Lill font écho au rapport déposé en juin 2021 par le Comité sénatorial permanent des droits de la personne (archives).

Photo : Radio-Canada / Chris Corday

Ses propos font écho au rapport du comité sénatorial, qui indique que la plupart des témoins qu’il a rencontrés avaient renoncé à déposer un grief parce que les délais sont trop longs et qu’ils craignent des représailles de la part du personnel.

Ces représailles peuvent prendre différentes formes, comme le harcèlement, la destruction de biens, la perte de privilèges, l’immixtion dans la correspondance, les visites ou les programmes, la négligence des responsabilités, le recours excessif à la force, les retards dans la préparation de documents ainsi que le manque de soutien pour l’accès aux programmes et à la libération conditionnelle, détaille le comité.

En plus des délais qui s’étirent et des risques de représailles, les décisions, lorsqu’elles sont rendues et même quand SCC donne raison aux détenus, sont rarement satisfaisantes, selon Me Chénier. Les mesures correctives demandées sont souvent d’informer ou de sensibiliser le personnel de l’établissement, et il n’y a jamais rien qui vise les détenus, qui ont parfois attendu plus de deux ans.

Les sanctions contre le personnel fautif sont aussi très rares, voire inexistantes, suivant un grief, toujours selon Me Chénier.

Toutes les personnes purgeant une peine de ressort fédéral ont indiqué qu’il n’existe aucune sanction contre les membres du personnel qui prennent des mesures de représailles contre ceux qui présentent un grief, peut-on lire dans le rapport du comité sénatorial.

Christopher Lill abonde dans le même sens.

Si on regarde le nombre de plaintes et griefs concernant la discrimination, le racisme, le harcèlement, l’abus de pouvoir et les représailles, depuis que je suis incarcéré [...] je n’ai jamais vu un seul détenu gagner son grief et que des mesures correctives aient été prises à son endroit pour le protéger ou pour imposer une sanction à la personne [fautive], a-t-il déclaré.

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