La pandémie a-t-elle fait reculer la condition féminine au Québec?
Pour souligner les deux ans de la pandémie au Québec, Radio-Canada présente une série de reportages sur les impacts que la COVID-19 a eus sur quatre groupes particuliers au sein de la population : les femmes, les adolescents, les enfants et les aînés.

La conciliation travail-famille a représenté un défi de taille pour de nombreuses Québécoises depuis le début de la pandémie.
Photo : Radio-Canada / Olivia Laperrière-Roy
Alourdissement des tâches domestiques, présence en baisse sur le marché de l’emploi, accroissement de la charge mentale, conciliation travail-famille mise à mal... À de multiples égards, la pandémie de COVID-19 a affecté plus durement les femmes que les hommes au cours des deux dernières années au Québec, au point de faire craindre une détérioration de la condition féminine.
Souvent perçue comme un symbole d’émancipation et d’égalité entre les genres, la représentation des femmes dans la population active en a pris pour son rhume depuis le début de la crise sanitaire.
Non seulement les femmes ont été davantage touchées par les pertes d’emplois liées au ralentissement de l’économie à partir du printemps 2020, mais elles ont également mis plus de temps que les hommes à récupérer les postes perdus.

Les femmes ont été particulièrement frappées par les pertes d’emplois dans les secteurs de la restauration et de l’hébergement. (Archives)
Photo : Radio-Canada / Charles Contant
L’Institut de la statistique du Québec nous apprend qu’en 2021, le nombre de femmes occupant un emploi s’élevait à 2 015 000, comparativement à 2 053 000 en 2019. Cela représente 38 000 emplois de moins par rapport à l’avant-pandémie.
À l’inverse, le nombre d’hommes en emploi en 2021 (2 254 000) était sensiblement le même qu’en 2019 (2 254 000).
Je pense que c'est assez consensuel que la pandémie a davantage affecté la participation des femmes au marché du travail
, indique en entrevue à Radio-Canada Sandy Torres, sociologue et chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités.
L'écart se creuse
À cet égard, l’augmentation de l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes, qui est passé de 6,3 % en 2019 à 7,1 % en 2021, est évocatrice, poursuit la professionnelle de recherche.
Les niveaux d'emploi des femmes ont été plus touchés et donc, par conséquent, les écarts hommes-femmes se sont sensiblement accentués.
La prédominance des femmes dans certains secteurs de l’économie les plus durement touchés par la crise sanitaire, notamment la restauration et l’hébergement, a contribué à creuser cet écart.

Sandy Torres soutient que les impacts de la pandémie ont été plus durement ressentis chez certaines catégories de personnes, dont les immigrantes, les mères monoparentales et les aînées vivant seules. (Archives)
Photo : iStock / Lyubov Ivanova
Sandy Torres croit que la structure traditionnelle de l’emploi féminin
y est également pour quelque chose.
Il y a quand même plus de femmes qui occupent des emplois à temps partiel, des emplois à bas salaire et des emplois plus précaires. Or, ce sont les types d’emplois qui ont été les plus affectés par les pertes d’emplois
, fait-elle remarquer.
Conciliation travail-famille
Les femmes ayant conservé leur emploi depuis le début de la pandémie ont elles aussi eu à surmonter des défis professionnels, particulièrement en matière de conciliation travail-famille.
La fermeture des écoles et des services de garde a représenté un véritable casse-tête pour des milliers de parents québécois. Certains ont dû abandonner leur emploi, de façon temporaire ou permanente, ou ont été contraints de diminuer leur nombre d’heures travaillées pour s’occuper des enfants.
Bien que le phénomène n’ait pas encore été étudié en profondeur, il est probable que, dans la majorité des cas, ce soient les mères et non les pères qui aient dû mettre leur vie professionnelle sur la glace.

Selon Statistique Canada, en 2015, les mères effectuaient 61 % des heures consacrées aux tâches domestiques, comparativement à 39 % pour les pères. (Archives)
Photo : Getty Images / Imgorthand
Catherine Des Rivières-Pigeon, professeure au Département de sociologie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), rappelle qu’encore aujourd’hui, il existe des écarts entre le salaire des hommes et celui des femmes.
Une situation qui pourrait avoir incité des couples à sacrifier l’emploi de la mère afin de conserver le salaire du père, plus élevé, pour subvenir aux besoins de toute la famille.
Des décisions très difficiles
On sait, de façon générale, et je ne vois pas pourquoi pour la pandémie ce serait différent, que lorsqu'il y a des besoins spéciaux parce qu'un enfant est malade ou parce qu'il arrive quelque chose d'important dans la famille qui fait en sorte qu'un des deux parents doit rester présent pour l'enfant, presque inévitablement, c'est la mère [qui reste] pour des raisons économiques
, observe Mme Des Rivières-Pigeon.
C'est clair qu'il y a eu des décisions très difficiles qui ont été prises par les familles et les femmes en ont fait les frais, malheureusement, dans certains cas.
Il a par ailleurs été démontré que, parmi les parents occupant un emploi, les mères sont celles dont la vie professionnelle a le plus souffert des fermetures d’écoles et des services de garde.

La professeure Catherine Des Rivières-Pigeon estime qu’à l’avenir, les gouvernements devront prendre davantage en considération les effets des mesures sanitaires sur les femmes en se basant sur une approche scientifique.
Photo : Radio-Canada
Mme Des Rivières-Pigeon mentionne que c’est entre autres le cas des chercheuses scientifiques et des professeures d’université, dont les publications et les demandes de subventions ont chuté ou pris du retard dans les premiers mois de la pandémie.
Si, dans cette profession-là, on voit qu'il y a eu des difficultés plus importantes et qu'on a été capables de mesurer l'écart entre ce qui s'est passé chez les hommes, qui ont réussi à publier plus, et les femmes, qui ont publié moins, bien tout nous indique que ça peut être le cas dans d'autres types de domaines
, fait valoir la professeure.
À écouter :
Une étude publiée en décembre 2021 par l’OCDE a révélé que chez les parents d’enfants de moins de 12 ans, les mères étaient plus susceptibles d’avoir cessé leur activité professionnelle que les pères à un moment donné, entre le premier et le troisième trimestre de 2020.
Un partage des tâches pas toujours équitable
La présence des enfants à la maison, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, a également alourdi considérablement la charge de travail des parents. Là encore, plusieurs signes amènent à penser que ce sont les femmes qui ont le plus écopé.
Sandy Torres rappelle qu’avant la pandémie, environ les deux tiers des heures consacrées aux tâches domestiques et aux soins des enfants revenaient aux mères.
Il n’y a pas d'études directement là-dessus [...], mais on peut présumer qu'avec le télétravail et différentes mesures prises dans le contexte de la crise pour limiter la propagation du virus, ça a eu un impact et ça a alourdi le fardeau des femmes
, avance la chercheuse à l’Observatoire québécois des inégalités.

Les mesures de confinement mises en place durant la pandémie ont grandement contribué à accroître le phénomène de la violence conjugale au Québec. (Archives)
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Notons qu’un sondage de la firme SOM mené au début de la pandémie révélait que 53 % des femmes avaient l’impression que le partage des tâches liées aux enfants dans leur couple était équitable, comparativement à 75 % des hommes.
Un recul pour certaines femmes
Devant ces constats, peut-on parler d’un recul de la condition féminine au Québec? Dans une certaine mesure, oui, répond Catherine Des Rivières-Pigeon.
Je pense qu'on peut malheureusement dire qu'on peut avoir vu un recul étant donné tous les enjeux de conciliation travail-famille. C'est difficile de faire un constat global, mais on a vu certaines études sur des sous-groupes particuliers où on a vu un recul
, observe la professeure de l’UQAM.
Pour sa part, Sandy Torres juge qu’il est encore trop tôt pour conclure à un recul de la condition féminine depuis le début de la crise sanitaire. Elle note toutefois qu’il y a beaucoup de drapeaux rouges
qui devraient servir de mise en garde contre une régression de la condition des femmes au Québec.
Avec la collaboration de Sandra Lalancette et d’Alain Rochefort