Ukraine : la Russie intensifie ses attaques sur fond de crise humanitaire
Le recours croissant par la Russie à des frappes à plus longue portée sur des cibles ukrainiennes augmente le nombre de victimes civiles et les dommages aux infrastructures civiles, affirme le Pentagone.
Les résidents d'Irpin doivent traverser une rivière sur une planche de bois.
Photo : Reuters / JEDRZEJ NOWICKI/AGENCJA WYBORCZA
Moscou a une nouvelle fois annoncé, lundi soir, l'instauration de cessez-le-feu locaux et l'ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l'évacuation de civils de cinq villes d'Ukraine. Kiev affirme que les bombardements russes empêchent le départ des civils des villes assiégées.
La Fédération de Russie annonce un cessez-le-feu à partir de [2 h (HNE)] le [mardi] 8 mars
pour l'évacuation des civils en provenance de Kiev, ainsi que des villes de Soumy, Kharkiv, Tchernihiv et Marioupol, a soutenu le ministère russe de la Défense dans un communiqué cité par les agences de presse russes.
Moscou a affirmé que les nouveaux itinéraires d'évacuation seraient communiqués aux autorités ukrainiennes, qui étaient sommées de donner une réponse avant 19 h (HNE).
Les précédentes tentatives sont restées vaines, l'Ukraine déplorant que les bombardements russes empêchent l'évacuation des civils des villes assiégées malgré les pourparlers en ce sens entre les deux pays. Une accusation d'ailleurs reprise en soirée dans une vidéo publiée par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.
Plus de la moitié des couloirs retenus par Moscou passeraient par la Russie ou le Bélarus, dont le territoire est utilisé comme base arrière par Moscou pour envahir l'Ukraine depuis le 24 février.
Une option que les autorités ukrainiennes avaient déjà écartée, quelques heures plus tôt, la jugeant immorale
.
Ce n'est pas une option acceptable
, a fait valoir la vice-première ministre ukrainienne Iryna Verechtchouk. Les civils évacués n'iront pas au Bélarus pour ensuite prendre l'avion et aller en Russie
, a-t-elle dit.
Du côté russe, c'est plutôt l'Ukraine qui a été blâmée.
Dans un communiqué, la cellule du ministère russe de la Défense censée diriger les opérations humanitaires en Ukraine a accusé les autorités ukrainiennes d'avoir été jusqu'à présent incapables d'assurer le fonctionnement des couloirs humanitaires
. La situation dans plusieurs villes ukrainiennes s'est rapidement détériorée et a acquis le caractère d'une catastrophe humanitaire
, a-t-elle dit.
Ces derniers jours, deux tentatives pour évacuer des civils du port assiégé de Marioupol, dans le sud-est de l'Ukraine, ont échoué, Kiev et Moscou s'accusant mutuellement de violer les conditions de l'évacuation.
Le chef du Conseil national de sécurité et de défense de l'Ukraine, Oleksiy Danilov, a par ailleurs reproché à la Russie d'empêcher les secours d'atteindre les personnes qui en ont le plus besoin.
Un homme et son enfant fuient la ville d'Irpine, dans les faubourgs ouest de Kiev, en proie à des bombardements.
Photo : Reuters / CARLOS BARRIA
Plaidoyer devant le Conseil de sécurité
Au cours d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité sur la situation humanitaire en Ukraine, le sous-secrétaire général de l'ONU aux affaires humanitaires, Martin Griffiths, a par ailleurs plaidé lundi soir pour le départ sécuritaire des civils pris dans les conflits.
Les parties doivent veiller constamment à épargner les civils, ainsi que les habitations et les infrastructures civiles dans leurs opérations militaires
, a-t-il soutenu.
Cela inclut la mise en place d'un passage sécuritaire pour que les civils puissent quitter des zones d'hostilité actives de façon volontaire, dans la direction de leur choix
, a-t-il ajouté.
Les civils dans des endroits comme Marioupol, Kharkiv, Melitopol et ailleurs ont désespérément besoin d'aide, en particulier de fournitures médicales vitales
, a martelé M. Griffiths.
M. Griffiths a précisé qu'il avait envoyé une équipe en Russie pour faciliter une meilleure coordination humanitaire.
Au moins 27 enfants ont été tués et 42 blessés, a pour sa part déclaré la directrice générale de l'UNICEF, Catherine Russell, au Conseil de sécurité. Tant d'enfants ont été profondément traumatisés
, a-t-elle regretté.
Comme les combats se poursuivent dans les zones densément peuplées, a-t-elle ajouté, nous nous attendons à ce que le nombre d'enfants tués augmente
.
La Russie a de son côté nié bombarder des civils, montrant du doigt les missiles lancés par les nationalistes ukrainiens
.
Zelensky défie la Russie
Le président Zelensky, prenant la parole depuis son bureau, à Kiev.
Photo : Reuters / Bureau du président de l'Ukraine
Dans une vidéo de neuf minutes mise en ligne en soirée, le président Zelensky a vanté la détermination et le courage de ses concitoyens, qui se défendent contre l'envahisseur russe depuis 12 jours.
Nous devons réaliser que chaque jour de lutte, chaque jour de résistance crée de meilleures conditions pour nous. Une position forte pour garantir notre avenir. Dans la paix. Après cette guerre
, a-t-il martelé.
Celui qui a été identifié comme cible prioritaire du président russe Vladimir Poutine a pris la parole depuis son bureau pour la première fois depuis le début de l'offensive russe. Il a assuré qu'il resterait au pays.
« Je reste ici. Je reste à Kiev. Dans la rue Bankova. Je ne me cache pas. Et je n'ai peur de personne. [Je resterai] aussi longtemps qu'il le faudra pour gagner cette guerre patriotique qui est la nôtre. »
Il a aussi fustigé les troupes russes pour l'échec à mettre en place les couloirs humanitaires. Il y a eu un accord sur les couloirs humanitaires. Est-ce que ça a fonctionné? À la place, ce sont les chars russes qui ont fonctionné. Les [lance-roquettes] Grad russes. Les mines russes
, a-t-il critiqué.
Intenses bombardements dans le nord
Selon le renseignement américain, la quasi-totalité des troupes russes qui avaient été stationnées à la frontière de l'Ukraine dans les derniers mois par Vladimir Poutine sont désormais engagées dans l'invasion du pays, sur lequel la Russie a lancé plus de 625 missiles.
Sur le terrain, Moscou recourt de plus en plus à des frappes à plus longue portée qui augmentent ainsi le nombre de victimes civiles et les dommages aux infrastructures, a affirmé le Pentagone.
Dans le nord-est de l'Ukraine, l’armée russe a bombardé intensément la deuxième ville du pays, Kharkiv, touchant le complexe sportif d'une université locale, une tour de télévision et des immeubles civils, selon l'AFP
.La ville de 1,4 million d'habitants, proche de la frontière avec la Russie, est le théâtre de bombardements parmi les plus violents depuis le début de la guerre.
Selon l'état-major ukrainien, les forces russes concentrent aussi leurs efforts sur Tchernihiv (285 000 habitants) et Soumy (263 000 habitants). Tchernihiv se trouve sur l'une des principales routes menant à Kiev.
D'intenses combats ont aussi eu lieu autour de la route menant vers Jytomyr (150 km à l'ouest de Kiev), qui est pilonnée et où bon nombre de maisons ont été détruites.
Les combats continuent aussi de faire rage dans la banlieue nord-ouest de Kiev. Le maire de Gostomel, ville qui accueille une base militaire, a été tué alors qu'il distribuait du pain et des médicaments aux malades, et réconfortait les blessés
, a annoncé la mairie.
À Makariv, située sur l'un des grands axes menant à Kiev depuis l'ouest, au moins 13 personnes ont été tuées dans le bombardement d'une boulangerie industrielle.
À Irpin, dernière ville-verrou avant Kiev en venant de l'ouest, le maire a affirmé lundi que les civils arrivaient à évacuer sans qu'il y ait de bombardements.
Quelque 2000 personnes ont réussi à fuir. Mais le chemin est ardu, les civils devant traverser une rivière sur une planche de bois à moitié enfoncée dans l'eau : l'armée ukrainienne a délibérément détruit le pont qui enjambe la rivière pour freiner l'avancée des Russes.
Et sur cette planche, tout doit passer : des femmes, des bébés, des vieillards, des chiens, des poussettes, des valises à roulettes, des vélos, des blessés sur des civières et même des corps roulés dans des tapis.
C'est dans ce secteur que huit habitants fuyant Irpin ont été tués dans la seule journée de dimanche, dont une famille avec ses deux enfants, selon les autorités.
Le ministre ukrainien de l'Intérieur a affirmé lundi que 4000 personnes cherchaient toujours à fuir les banlieues de Kiev.
L'armée russe a massé des forces autour de Kiev et va probablement essayer de prendre la ville dans les prochains jours
, a pour sa part estimé un conseiller du ministre de l'Intérieur.
Les forces ukrainiennes se tiennent prêtes à détruire le dernier pont reliant Kiev à son arrière-pays à l'ouest pour freiner la progression des chars russes.
La capitale se prépare à se défendre
, a lancé le maire de Kiev et ancien champion de boxe Vitali Klitschko sur Telegram. Kiev tiendra! Se défendra! Dressons-nous ensemble! Gloire à l'Ukraine!
, a-t-il clamé.
Le convoi d'une soixantaine de kilomètres de chars russes est toujours stationné au nord-ouest de la capitale.
La situation humanitaire se dégrade dans le sud
Dans la région de Kherson, près de la Crimée, dont les Russes ont pris le contrôle, de nombreux villages sont privés d'électricité, de gaz, d'eau, de nourriture et de médicaments.
Après Kherson, plus grande ville tombée aux mains des Russes depuis le début de l'invasion, la prochaine étape des troupes de Vladimir Poutine, vers l'ouest, est Mykolaiv, une cité portuaire d'un demi-million d'habitants.
Elle constitue un objectif stratégique crucial des troupes russes vers leur conquête, sise entre Kherson et Odessa, port stratégique sur la mer Noire et principal débouché du pays sur l'économie mondiale.
Les puissantes frappes d'artillerie russes y ont touché des zones résidentielles, mais les forces ukrainiennes ont assuré avoir gardé le contrôle de la ville après de violents combats.
Le maire de Mykolaiv, Oleksandr Senkevych, a affirmé que les forces russes, qui ont tenté d'attaquer l'aéroport de la ville, avaient battu en retraite à l'issue de combats contre les troupes ukrainiennes.
Sur Facebook, le gouverneur de la région, Vitaliy Kim, a en outre déploré la mort d'au moins huit soldats ukrainiens, victimes d'une roquette russe sur leur caserne, en matinée.
« Ils ont attaqué notre ville de façon déshonorante, cynique, pendant que les gens dormaient. »
Des missiles russes tirés depuis la mer Noire se sont aussi abattus lundi sur le village de Touzly, dans la région d'Odessa, a indiqué un porte-parole militaire régional, Sergueï Bratchouk. Selon lui, les tirs ont visé des sites d'infrastructures cruciales
, mais n'ont pas fait de blessés.
Le président Zelensky avait aussi averti que la Russie se préparait à bombarder Odessa.
En entrevue au Washington Post, le maire d'Odessa, Gennadiy Trukhanov, a lui aussi dit s'attendre à une attaque, affirmant toutefois que ses concitoyens étaient préparés à résister à l'envahisseur.
« L'agresseur n'est pas loin d'Odessa. Depuis 10 jours, la ville vit avec cette tension. Mais d'un autre côté, cela nous a donné le temps de nous préparer plus minutieusement. »
Les troupes de Vladimir Poutine continuent par ailleurs leur siège à Marioupol, dans le sud-est du pays, où les vivres et les médicaments manquent désespérément. Quelques habitants ont tout de même réussi à fuir avant la fermeture du corridor humanitaire.
Ils ont déclaré que la ville de 430 000 habitants avait été dévastée.
« Nous avons tout vu : des maisons en flammes, tous les gens assis dans des sous-sols. [...] Pas de communication, pas d'eau, pas de gaz, pas de lumière. Il n'y avait rien. »
Des centaines de morts, des milliards de dommages
Le bilan des morts reste provisoire. L'ONU
rapporte lundi au moins 406 civils tués, dont 27 enfants, et 801 autres blessés, mais avertit également que ce nombre est largement sous-estimé.Plus de 1,7 million de personnes ont quant à elles fui l'Ukraine, toujours selon l'ONU
. Cela constitue la crise de réfugiés à avoir éclaté le plus rapidement depuis la Deuxième Guerre mondiale.Si les bombardements continuent, si on continue à bombarder les villes, de manière indiscriminée, on peut s'attendre à 5 millions d'exilés
, a pour sa part averti Josep Borrell, chef de la diplomatie européenne.
L'Organisation mondiale de la santé signale pour sa part 16 attaques contre des infrastructures médicales en Ukraine du 24 février au 3 mars. Ces attaques ont mené à 9 morts et 16 blessés
, a précisé l'OMS sur Twitter.
Mykhaïlo Podoliak, membre de la délégation ukrainienne qui participe à une troisième ronde de négociations avec les Russes lundi, a publié un sombre bilan de l'invasion sur Twitter lundi : 202 écoles, 34 hôpitaux et plus de 1500 bâtiments résidentiels touchés par des bombardements. Plus de 900 localités sont aussi complètement privées d'électricité, d'eau et de chauffage, selon M. Podoliak.
Le ministre des Infrastructures évalue pour sa part les dommages causés par la guerre à 10 milliards de dollars.
Selon le ministère ukrainien de l'Énergie, plus de 742 000 personnes sont par ailleurs actuellement privées d'électricité à l'échelle du pays.