Moscou instaure des peines de prison pour la diffusion d’« informations mensongères »
En raison de ces dispositions, CBC/Radio-Canada suspend le travail de ses journalistes en Russie.

Notre correspondante en Russie Tamara Alteresco et son caméraman, Alexey Sergeyev
Photo : Instagram/tamara_alteresco
Le président russe Vladimir Poutine a entériné vendredi une loi qui prévoit de lourdes peines de prison et des amendes élevées pour toute personne qui publierait des informations jugées « mensongères » sur l’armée russe. Le tout accompagné d'un appel du Kremlin exhortant les Russes à s’unir autour de Vladimir Poutine.
L’amendement adopté ce matin en troisième lecture par la Chambre basse du Parlement prévoit des peines pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison pour la diffusion d’informations mensongères
qui auraient des conséquences sérieuses pour les forces armées russes actuellement engagées dans une invasion en règle de l’Ukraine.
Un autre amendement, adopté lui aussi vendredi, punit quant à lui tout individu ou organisme qui appellera à l’imposition de sanctions contre la Russie. Ce dernier a également été signé par le président Poutine.
CBC/Radio-Canada suspend son travail en Russie
Dans une déclaration transmise vendredi, CBC/Radio-Canada annonce qu'elle suspend temporairement ses activités journalistiques en Russie, le temps de clarifier la portée de cette nouvelle loi
, afin d’assurer la sécurité de nos journalistes et de nos employés en poste à Moscou
.
Le travail qu’effectuent nos journalistes sur le terrain permet de tenir les Canadiens, et les citoyens de partout dans le monde, informés des événements en cours. Nous sommes fiers du professionnalisme et du dévouement de nos équipes à l’étranger, et nous continuerons à les soutenir dans la pratique essentielle de leur métier
, ajoute le diffuseur public dans sa déclaration.
La correspondante de Radio-Canada Tamara Alteresco, en poste à Moscou, couvre la guerre en Ukraine depuis ses débuts, il y a bientôt 10 jours.
Très inquiétant. On va faire tout ce qu’on peut pour protéger les journalistes canadiens. La meilleure arme contre la désinformation, c’est du journalisme crédible et fiable. https://t.co/EjTTCVuRTB
— Pablo Rodriguez (@pablorodriguez) March 4, 2022
Guerre de l'information
La présidente la Chambre haute du Parlement, Valentina Matvienko, a justifié ces mesures en accusant l'Occident d'avoir lancé une guerre de l'information contre la Russie sans précédent par son ampleur et son agressivité
.
Au même moment, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, déclarait dans un point de presse que l’heure est à l’union autour du président Vladimir Poutine.
Le gouvernement russe précise au passage que ces nouvelles dispositions s’appliquent à toute la population russe, y compris bien entendu les journalistes et professionnels de l’information.
La chaîne d’information britannique BBC a annoncé peu après qu’elle suspendra le travail de ses journalistes en poste en Russie en raison de possibles représailles des autorités russes à leur endroit. Dans la foulée, CNN et Bloomberg ont annoncé la suspension du travail de leurs journalistes en Russie.
Nous continuerons nos efforts pour que BBC News soit accessible en Russie, et à travers le reste du monde.
Perquisitions et répression

Des milliers de personnes qui manifestaient contre l'invasion russe de l'Ukraine ont été arrêtées depuis une semaine en Russie.
Photo : AFP / KIRILL KUDRYAVTSEV
Au Kremlin, on se fait philosophe face à ce nouveau coup de fouet du régime contre la liberté de presse.
Il y a en effet des débats passionnés parmi les acteurs de la culture. Il y a ceux qui soutiennent le président sincèrement. Et il y a ceux qui ne comprennent pas ce qui se passe
, a expliqué Dmitri Peskov, estimant qu'il fallait leur expliquer les choses patiemment
.
Mais sur le terrain, les autorités ne semblent pas aussi patientes
, notamment avec l’ONG russe Comité d’assistance civique, qui vient en aide aux migrants.
L’organisme a été l’objet ce matin de perquisitions sans motifs connus
dans ses bureaux de Moscou, a signalé l’organisation sur les réseaux sociaux.
Peu avant, l'emblématique ONG russe des droits de la personne Mémorial a elle aussi fait état de descentes policières dans ses locaux.

Les journalistes autant que les citoyens seront passibles d'amendes et jusqu'à 15 ans de prison pour avoir propagé des informations que le Kremlin juge mensongères sur l'armée russe.
Photo : afp via getty images / SERGEI SUPINSKY
Mots interdits
Ces textes de loi amendés et cette invitation
du Kremlin à soutenir le président visent à renforcer l'arsenal répressif déjà musclé des autorités russes alors que l’invasion de l’Ukraine soulève l’indignation dans la communauté internationale et de plus en plus en Russie.
Depuis une semaine, des milliers de manifestants opposés à la guerre ont été arrêtés dans le pays alors que les pétitions citoyennes contre la guerre se multiplient.
Rappelons que les autorités russes ont récemment fermé des médias indépendants et bloqué plusieurs sites Internet d’information. Ceux qui demeurent en activité sont obligés par le Kremlin de n’utiliser que les déclarations officielles du gouvernement sur les opérations en Ukraine.
Plus encore, les autorités russes ont interdit à tous les médias du pays d’utiliser une série de termes, dont les mots guerre
et invasion
dans leur couverture des événements en Ukraine.
Le contrôle de l’information par le Kremlin s’étend même au-delà des frontières du pays. Vendredi, l'autorité russe des communications, Roskomnadzor, a annoncé avoir bloqué l'accès à une série de sites Internet de médias occidentaux qui diffusent de l’information en russe, dont la BBC, Voice of America, Radio Free Europe/Radio Liberty ou encore Deutsche Welle.
Selon Roskomnadzor, ces médias ne font que répandre de fausses informations
au sujet de la guerre en Ukraine, que Moscou présente comme une opération militaire spéciale
.
Le régulateur russe a aussi ordonné vendredi le blocage de Facebook dans toute la Russie, accusant le réseau social de discriminer
les médias russes.
Chez Meta, société mère de Facebook, le président des Affaires internationales, Nick Clegg, a confirmé le blocage du réseau social américain par Moscou en déplorant l’étau qui se resserre sur les sources d’information extérieures dans le pays.
Des millions de Russes ordinaires seront bientôt privés d'informations fiables.
De son côté, le gouvernement américain a jugé que cette fermeture de Facebook s'inscrivait dans les démarches de la Russie pour empêcher les citoyens d'accéder à des informations
. La porte-parole de la Maison-Blanche, Jen Psaki, a indiqué que Washington s'inquiétait profondément de cette annonce, et de cette menace contre la liberté de la presse en Russie
.
Twitter a lui aussi été visé par les autorités russes, et son accès a été bloqué dans le pays, selon l'agence de presse Interfax.
Adoption de lois anti-sanctions

Le parti de Vladimir Poutine, Russie unie, détient une forte majorité de sièges à la Chambre basse du Parlement.
Photo : Reuters / Evgenia Novozhenina
Toujours au Parlement russe, les députés ont aussi adopté vendredi une série de lois pour contrer les effets des sanctions économiques occidentales et accroître la stabilité de l'économie russe et protéger les citoyens face aux sanctions
.
La volée de sanctions économiques sans précédent lancées par l’Occident et ses alliés a entraîné un exode des investissements et des entreprises étrangères de la Russie en plus d’un effondrement des marchés et du rouble.
Pour en atténuer l’impact sur la population, Moscou compte augmenter les retraites et le salaire minimum au besoin.
Les nouvelles lois instaurent aussi un éventuel moratoire sur les inspections des PME jusqu'à fin 2024 pour les entreprises informatiques ainsi que l’introduction d’un système simplifié d'achat de médicaments.
Les entreprises cotées en bourse pourraient aussi bénéficier d’une procédure simplifiée de rachat de leurs propres actions. Le prix des actions des entreprises russes ayant été fortement déprécié, voire anéanti, cela leur permettrait de les racheter à faible prix afin de se consolider.
La loi prévoit aussi une suspension du remboursement des dettes pour les citoyens et les PME en 2022, une mesure déjà introduite en début de pandémie de coronavirus.
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Avec les informations de Agence France-Presse