« Ils sont là, à côté » : les Finlandais craignent leurs voisins russes

L’ancien premier ministre finlandais Alexander Stubb est professeur à la European University Institute.
Photo : Radio-Canada / Raphaël Bouvier-Auclair
La guerre en Ukraine a eu des conséquences géopolitiques importantes en Finlande. Pour la première fois cette semaine, un sondage montrait qu’une majorité de la population était favorable à l’idée d’adhérer à l’Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN), alliance militaire dont le pays, tout comme la Suède, ne fait pas partie.
L’ancien premier ministre finlandais Alexander Stubb, aujourd’hui professeur au European University Institute, nous offre son regard sur les relations avec l’OTAN, mais aussi avec la Russie, voisine de son pays.
Nous l’avons rencontré près d’Helsinki, la capitale de la Finlande.
Raphaël Bouvier-Auclair : Comment le débat sur la relation entre la Finlande et l’OTAN a-t-il évolué au cours des dernières semaines?
Alexander Stubb : Je dirais au cours des derniers jours! C’est vraiment une révolution. Normalement, on était à peu près à 50 % contre l’adhésion à l’OTAN et 20 % pour. Maintenant c'est complètement bouleversé. On a vu un sondage d’opinion de 53 % en faveur, moins de 30 % contre et à peu près 19 % des gens qui n’ont pas encore décidé. C'est un changement historique.
Question : Est-ce que ce changement dans l’opinion publique va forcer les politiciens, y compris ceux qui sont plutôt réfractaires à adhérer à l’OTAN, à repenser leur position?
Réponse : Certainement, mais ce n'est pas la raison. Moi, je trouve que la raison, c'est que la situation de sécurité en Europe a complètement changé. C'est un moment comme en 1989, c'est un moment comme en 1939. C’est pour ça qu'il faut analyser notre situation de sécurité. Je crois que la population finlandaise a vraiment peur et c'est pour ça que la réaction a été assez forte. Donc oui, ça va pousser notre président, notre première ministre, notre ministre des Affaires étrangères et de la Défense à peut-être trouver un chemin pour devenir membre de l'OTAN.
Question : Vous êtes favorable depuis longtemps à l’idée d’une adhésion à l’alliance...
Réponse : Oui, j'étais déjà favorable dans les années 1990. Mais maintenant, à mon avis, ce n'est pas l'heure. Il ne faut pas seulement faire une analyse, il faut rester calme. Il faut être vraiment Finlandais. Parce qu'on a maintenant en Russie un président vachement agressif. Il ne faut pas un autre conflit ici en Finlande ou en Suède. Donc, il faut trouver un chemin. Il faut trouver la date et obtenir une sorte de garantie de sécurité alternative. Et, enfin, on pourra être membre.

Le reportage de Raphaël Bouvier-Auclair
Question : Justement, le Kremlin a averti la Finlande et la Suède, qui ne fait pas non plus partie de l’alliance, qu’il y aura des conséquences si ces pays se joignent à l’OTAN. Il faut prendre ces menaces au sérieux?
Réponse : Oui, parce que maintenant Vladimir Poutine a trois demandes. La première est de prendre l’Ukraine et la Crimée. La deuxième : trouver une solution en matière de sécurité dans l’est de l’Europe. Et la troisième est de ne pas menacer la Russie dans le nord, avec la Finlande et la Suède. C’est pour ça qu’il faut rester calme. La situation est vraiment critique. Il faut penser que nous partageons 1300 km de frontière avec la Russie. Ils sont là, à côté. Donc, c’est difficile.
Question : Quelle est la situation de la Finlande en matière de défense?
Réponse : Nous sommes assez en sécurité. Nous avons une défense indépendante et forte. Nous avons plus de 60 avions de chasse F-18 et nous avons acheté 64 engins F-35. Nous sommes complètement compatibles avec l’OTAN, puisque nous faisons beaucoup d’exercices avec eux. Oui, la situation sécuritaire en Finlande est critique, mais en même temps nous sommes bien préparés. Nous avons apporté notre contribution en matière de défense.
Question : Vous soulignez la collaboration qui existe déjà entre votre pays et l’OTAN. Qu’est-ce qu’une adhésion viendrait concrètement changer?
Réponse : Concrètement, il y a deux changements. D’abord être un membre permet d’être protégé par l’article 5 de la charte de l’OTAN et d’avoir une garantie de sécurité. L’autre élément est de faire partie d’un système de sécurité politique et en matière de défense. Je pense que l’Europe sera divisée en deux et que la Russie sera complètement isolée. Dans ce cas-là, la Russie va agir d’une manière très agressive. Il faut donc choisir d’avoir une sécurité maximale. Et la sécurité maximale pour la Finlande, c’est l’OTAN.
Question : La Finlande et la Russie ont développé des relations dans plusieurs dossiers au cours des dernières décennies. Est-ce que vous allez devoir revoir votre relation avec votre voisin?
Réponse : Aujourd’hui, au début de mars, on n'a pas de relation avec la Russie. Il faut comprendre cela. On ne peut pas discuter avec Poutine. C'est très difficile d’envoyer des messages. On va voir un pays qui est complètement, complètement isolé. Avant, nous avions développé des bases en matière de sécurité. C’est-à-dire, une bonne relation avec la Russie, mais également une bonne relation avec l'Union européenne, l'OTAN, les États-Unis et le Canada. Tout cela, bien sûr, en ayant aussi une défense indépendante. Mais maintenant, un de ces piliers a été détruit : notre relation avec la Russie. C’est pour cela qu'il faut commencer une analyse de notre sécurité.
Certains propos ont été synthétisés à des fins de compréhension.