Des milliards de personnes et tous les écosystèmes souffrent déjà du changement climatique
Des efforts urgents d’adaptation et d’atténuation doivent être entrepris pour éviter les pires scénarios, plaide le GIEC.

En Europe, de nombreuses régions ont été complètement dévastées l'été dernier par des crues massives (archives).
Photo : Reuters / Rhein-Erft-Kreis
La planète est exposée à des risques graves et croissants liés aux changements climatiques, qui touchent déjà des milliards de personnes et tous les écosystèmes, y compris au Canada, selon les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Certaines conséquences des changements climatiques sont déjà irréversibles.
Les preuves scientifiques cumulatives sont sans équivoque : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire
, tranche le GIEC dans ses plus récents travaux (Nouvelle fenêtre), rendus publics lundi.
Le rapport du GIEC publié aujourd’hui est un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques.
Cette abdication de leadership est criminelle
, a dit par voie de communiqué le secrétaire général de l’ONU, accusant les plus grands pollueurs du monde qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons
.
Des événements climatiques extrêmes comme des vagues de chaleur, des sécheresses, des feux de forêt et des inondations causent des impacts étendus et omniprésents sur les écosystèmes, les personnes, les établissements et les infrastructures
, note le GIEC.

La Colombie-Britannique a été ravagée par les feux de forêt l'été dernier.
Photo : Twitter / BC Wildfire
Ces effets se produisent beaucoup plus rapidement et ils sont beaucoup plus graves que nous ne l'avions initialement pensé
, a déclaré en entrevue Sherilee Harper, professeure à l’École de santé publique de l’Université de l’Alberta, qui fait partie des auteurs principaux du rapport.
Et ces risques sont appelés à se multiplier à moyen et à long terme, selon l’ampleur des efforts d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques. Ils seront aussi aggravés par la combinaison de plus en plus fréquente de multiples événements climatiques extrêmes ayant lieu en même temps.

Le nouveau rapport de l'ONU sur le climat nous révèle qu'un peu plus d'un milliard d'humains vont se retrouver dans des zones vulnérables près des côtes d'ici 2050. Nous en parlons avec le ministre fédéral de l'Environnement, Steven Guilbeault
En plus des conséquences directes associées aux catastrophes naturelles sur l’économie, sur la santé et sur les écosystèmes, les changements climatiques vont accroître les risques d’insécurité alimentaire, de maladie et de problèmes de santé mentale, selon le rapport.
Déjà, de 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des contextes très vulnérables au changement climatique
, note le GIEC, mais tous ne sont pas égaux devant ses répercussions.

Un enfant joue sur la plage près de sa maison dans le village de Taborio, à Kiribati, dans l'océan Pacifique. Avec la hausse du niveau des océans, on craint que le pays soit inhabitable d'ici 60 ans.
Photo : Reuters / David Gray
Certaines régions sont exposées à des risques disproportionnés et des populations vulnérables sont plus touchées que les autres. Celles-ci sont concentrées en Afrique de l’Ouest, centrale et de l’Est, en Asie du Sud, en Amérique centrale et du Sud, dans l'Arctique ainsi que parmi les États insulaires.
De plus, la vulnérabilité est exacerbée par l'inégalité et par la marginalisation liées au sexe, à l'ethnicité, au faible revenu ou à une combinaison de ces facteurs
, précise le GIEC, en particulier pour de nombreux peuples autochtones
.
Ce nouveau portrait de la situation se concentre sur les effets, sur l’adaptation et sur la vulnérabilité aux changements climatiques. Il s’agit de la contribution du Groupe de travail II, composé de centaines de scientifiques de partout dans le monde, au sixième rapport d’évaluation du GIEC.
Le Groupe de travail I, qui se concentre sur les avancées les plus récentes des sciences climatiques, a remis sa contribution en août 2021 (Nouvelle fenêtre). Déjà, celle-ci notait l’ampleur du réchauffement en cours, qui devrait atteindre 1,5 °C de plus que la température moyenne de l’ère préindustrielle d’ici 2030, soit 10 ans plus tôt que ce qu'on estimait auparavant.

De nombreux glaciers sont tout simplement condamnés à disparaître à cause du rythme du réchauffement de la planète (archives).
Photo : Getty Images / Mario Tama
L’urgence d’agir sur deux fronts
La dernière contribution du Groupe de travail II remontait à 2014. Depuis, le pronostic s’est détérioré, et les catastrophes climatiques peuvent être attribuées avec plus de certitude aux changements climatiques causés par les activités humaines, d'où l’importance d’agir au plus vite.
Tout retard supplémentaire
dans les efforts d’adaptation et d'atténuation des changements climatiques passera à côté d'une courte occasion d'agir
, indique le GIEC.
Certains de ces effets, comme l’extinction d’espèces, sont déjà irréversibles. D’autres, comme les conséquences des changements dans les écosystèmes arctiques liées au dégel du pergélisol, approchent du point de non-retour. Néanmoins, il est primordial de ne pas baisser les bras, selon les experts, puisque chaque degré compte.

Le dégel du pergélisol menace de nombreuses infrastructures construites dans les régions polaires (archives).
Photo : Reuters / Maxim Shemetov
Le message de ce rapport est le suivant : plus la planète se réchauffe, plus les risques des impacts sont grands
, a expliqué en entrevue Simon Donner, professeur au Département de géographie de l’Université de la Colombie-Britannique et auteur principal du rapport.
Notre objectif devrait vraiment être de réduire le réchauffement autant que possible. Parce que les effets à 2 degrés sont certainement pires que les effets à 1,5 degré, mais ils sont quand même mieux que les effets à 3 degrés
, a-t-il ajouté.
Le Groupe de travail III, dont les efforts portent sur l’atténuation des changements climatiques, ne doit rendre sa contribution que plus tard ce printemps.
Déjà, le GIEC note que des actions à court terme qui limitent le réchauffement climatique à près de 1,5 °C réduiraient considérablement les pertes et dommages projetés [...] par rapport à des niveaux de réchauffement plus élevés
.
Nous pouvons arrêter la hausse de la température en trois ans, une fois que nous aurons éliminé les émissions [de gaz à effet de serre]
, a dit lors d’une conférence récente (Nouvelle fenêtre) Michael Mann, climatologue de l’Université Penn State et ancien auteur principal du GIEC. Cela signifie donc que nous ne sommes pas nécessairement condamnés, après tout.

Les sables bitumineux de l'Alberta sont une des plus grosses sources de pollution atmosphérique (archives).
Photo : La Presse canadienne / JASON FRANSON
Des actions en ce sens, même rapides et draconiennes, ne pourront cependant pas éliminer tous les risques, tels que la hausse bien entamée du niveau de la mer, d’où l’importance de l’adaptation. Inversement, l’efficacité de l’adaptation diminuera avec l'augmentation du réchauffement
, prévient le GIEC.
Plus la planète se réchauffe, plus nous commençons à nous heurter à des limites technologiques, biologiques, politiques et sociales à ce que nous pouvons faire pour nous adapter
, a détaillé le professeur Donner.
Soulignant l’importance de s’attaquer aux deux fronts à la fois, M. Guterres a appelé à l’abandon du charbon et des autres sources d’énergie fossile, tout en assurant que l’investissement dans l’adaptation aux changements climatiques marche
.
L’adaptation et l’atténuation doivent être poursuivies avec la même vigueur et la même urgence
, a ajouté le secrétaire général de l’ONU.
Si le Groupe d’experts voit des progrès
dans la planification et la mise en œuvre de l’adaptation aux changements climatiques, ceux-ci sont répartis de manière inégale et des écarts subsistent avec ce qui est nécessaire pour répondre adéquatement à la menace.
Actuellement, très franchement, nous ne sommes pas sur la bonne voie pour résister aux impacts des changements climatiques à l'avenir.
La professeure Harper, qui est aussi titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les changements climatiques et la santé souligne que le rapport montre également que si nous agissons maintenant, nous pouvons nous mettre sur la bonne voie
.
Parmi les actions à entreprendre, le GIEC pointe vers des mesures comme une irrigation efficace des terres agricoles et des systèmes d’alerte précoce en cas d’inondations, mais insiste aussi sur l’importance des services rendus par les écosystèmes naturels, comme la rétention d’eau par les milieux humides ou la séquestration du carbone et la protection contre les températures extrêmes offertes par le couvert végétal.

Les milieux humides retiennent bien les eaux, ce qui peut aider à atténuer les effets des dérèglements climatiques (archives).
Photo : Radio-Canada
La sauvegarde de la biodiversité et des écosystèmes est fondamentale pour un développement résilient au changement climatique
, mentionne le rapport, qui admet du même coup que ceux-ci sont largement menacés, des récifs coralliens jusqu’à la plupart des forêts.
Des analyses récentes suggèrent que le maintien de la résilience de la biodiversité et des services écosystémiques à l'échelle mondiale dépend de la conservation efficace et équitable d'environ 30 % à 50 % des zones terrestres, d'eau douce et océaniques de la Terre
, avance le GIEC.
Actuellement, moins de 15 % des terres, 21 % des eaux douces et 8 % des océans de la planète sont protégés, selon le groupe d'experts.
Le Canada n’est pas épargné
Il y a un besoin urgent d'investir dans la résilience climatique, un besoin de s'adapter maintenant
, a déclaré sans détour en entrevue Paul Kovacs, professeur d’économie à l’Université Western Ontario et auteur principal du cinquième rapport d’évaluation du GIEC publié en 2014. À mon avis, nous n'en faisons pas assez en ce moment.
De nombreux scientifiques et observateurs établissent des liens entre les changements climatiques causés par les activités humaines et les catastrophes qui ont eu lieu au pays cette année, notamment des inondations sans précédent et une vague de chaleur ayant tué des centaines de personnes en Colombie-Britannique, une sécheresse historique dans les Prairies et une saison des feux de forêts dévastatrices dans plusieurs provinces, dont l’Ontario.

La sécheresse de l'été 2021 dans les Prairies est l'une des pires de l'histoire (archives).
Photo : Radio-Canada
Si certains de ces événements sont survenus trop récemment pour être pris en compte dans le dernier rapport, celui-ci reconnaît que l’augmentation de l’intensité et du nombre de ces événements climatiques extrêmes fait déjà des ravages au Canada. D’autres phénomènes moins spectaculaires, comme le dégel du pergélisol ou la hausse graduelle du niveau de la mer, représentent également des menaces pour les infrastructures du pays.
Les travaux du GIEC montrent aussi que les Canadiens ne sont pas à l'abri de la hausse de la prévalence de certaines maladies, comme la maladie de Lyme, d’une augmentation de l’insécurité alimentaire causée par les perturbations de la chaîne de production et du stress et de l'anxiété induits par les changements climatiques.
Nous ne sommes pas adaptés au climat d’aujourd’hui [...] et les changements climatiques vont aggraver les problèmes actuels.
Selon ses calculs, le Canada a subi environ 5 milliards de dollars de dommages évitables liés à des événements climatiques extrêmes, seulement cette année. Ces chiffres ont doublé tous les 5 à 10 ans pour le Canada et le reste du monde
dans les 40 dernières années, a précisé le professeur Kovacs.
Pourtant, les solutions existent, sont connues, et encore et encore, nous constatons que les avantages sont bien plus importants que les coûts. Les arguments économiques en faveur de l'adaptation au climat d'aujourd'hui sont extrêmement solides
, selon lui.
La mise en œuvre à grande échelle de ces solutions tarde, malgré l’existence d’initiatives locales.
Le Canada prépare une Stratégie nationale d’adaptation (Nouvelle fenêtre), qui doit être terminée cette année. Celle-ci sera utile, s’entendent les experts consultés, mais elle arrivera bien tard. Je reste déçu que le gouvernement du Canada n'ait pas été en mesure d'établir une stratégie d'adaptation il y a 10 ou 20 ans
, a déclaré le professeur Kovacs dans un courriel suivant l’entrevue.
La bonne chose, c'est que les efforts d'adaptation se multiplient partout au Canada, et cela me donne de l'espoir
, a cependant souligné la professeure Harper.