La loi sur la prostitution est constitutionnelle, selon la Cour d’appel de l’Ontario
Le gouvernement interjetait appel de la décision d'un tribunal inférieur qui a invalidé trois dispositions de la loi fédérale.

La Cour d'appel de l'Ontario avait accepté de suspendre le jugement de la Cour supérieure dans la cause de N.S. le temps d'entendre l'appel de la province.
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À Toronto, la Cour d'appel de l'Ontario donne raison au gouvernement ontarien, qui contestait la décision d'un tribunal inférieur dans la cause de N.S. La Cour supérieure de l'Ontario avait invalidé en 2021 des articles de la loi fédérale sur la prostitution, parce qu'ils portaient atteinte aux droits à la sécurité et à la liberté d'expression.
La province contestait le verdict d'un tribunal inférieur qui a invalidé, en avril 2021, trois articles de la loi, parce qu'ils ont enfreint les droits à la sécurité et la liberté d'expression d'une personne arrêtée pour prostitution à Newmarket.
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L'interprétation de la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation de 2014 a été au centre des plaidoiries l'automne dernier devant le plus haut tribunal de l'Ontario.

Le gouvernement Harper avait adopté le modèle scandinave après sa défaite au sujet de l'arrêt Bedford de la Cour suprême du Canada en 2013.
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Les articles controversés de la Loi portent sur l'offre publicitaire de services sexuels, l'obtention d’un avantage matériel ou pécuniaire en échange de tels services et la participation d'une tierce partie à des activités liées à la prostitution.
L'appel de la province concerne la cause de N.S., un(e) travailleur(se) du sexe qu'on ne peut identifier et dont les arguments au procès criminel sont toujours frappés d'un interdit de publication.
N.S. avait été acquitté(e) à la suite d'un recours constitutionnel de la défense lors du procès en Cour supérieure de l'Ontario à Newmarket.

Inspirée du modèle scandinave, la loi fédérale criminalise dorénavant l'achat de services sexuels plutôt que l'offre de tels services.
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Le juge de première instance avait décrété que ces trois articles étaient anticonstitutionnels et les avaient aussitôt invalidés.
La Couronne avait toutefois obtenu un sursis devant les tribunaux en attendant d'être entendue en appel, si bien que les corps de police en Ontario ont continué d'appliquer la loi en matière de prostitution dans la province.
Jugement de la Cour d'appel
Dans sa décision, la Cour d'appel de l'Ontario explique que l'objectif de la loi est de décourager la prostitution qu'elle décrit comme une forme d'exploitation avilissante
.
La restriction sur la publicité doit par exemple permettre de réduire la demande pour de tels services et non de rendre le travail des prostituées plus sécuritaire comme le prétendait la défense de N. S..
La Cour d'appel explique que le magistrat de première instance ne s'est intéressé qu'au seul aspect de la violence contre les prostituées et qu'il en a exagéré l'importance plutôt que d'analyser les trois articles controversés dans une perspective plus globale.

Les trois juges de la Cour d'appel de l'Ontario avaient entendu la requête du gouvernement provincial en novembre.
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Or, elle rappelle que la loi dénonce et interdit toute promotion de la prostitution afin de protéger les communautés ainsi que la dignité et l'égalité de la personne.
La promotion de la prostitution encourage une activité que le Parlement considère comme intrinsèquement de l'exploitation
, écrit-elle.
Le Parlement considère [que] la prostitution comporte des risques de violence à ceux qui s'y livrent, mais [qu']elle cause aussi un préjudice social par l'objectivation sexuelle du corps et la marchandisation de l'activité sexuelle et un affront à la dignité humaine.
Elle souligne que le but de la publicité consiste à obtenir des clients, c'est-à-dire d'augmenter la demande pour un service illicite
.
La publicité favorise en outre l'objectivation sexuelle du corps humain et la marchandisation de l'activité sexuelle.

La défense de N.S. n'a pas encore fait savoir si elle comptait interjeter appel du jugement devant la Cour suprême du Canada.
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Elle rappelle par ailleurs que l'obtention d’un avantage pécuniaire ou matériel en échange de services sexuels est toujours illégale, mais que cela ne signifie pas que les prostituées ne peuvent pas travailler de façon collaborative, en se partageant par exemple les revenus de leur commerce.
En conclusion, la Cour d'appel de l'Ontario annule le verdict d'acquittement prononcé contre N. S., ordonne un nouveau procès et réinstaure la validité des trois articles en question et la constitutionnalité de la loi fédérale.
Le ministère du Procureur général de l'Ontario n'a pas voulu réagir à la victoire du gouvernement dans cette cause, parce que l'affaire est toujours devant les tribunaux, puisque N. S. devra subir un second procès.
Position du gouvernement
Le gouvernement de l'Ontario affirmait en appel que le juge de première instance avait mal interprété les articles en question.
La restriction sur la publicité entourant des services sexuels doit par exemple permettre, selon la Couronne, de réduire, voire d'éliminer, la demande de tels services dans la société et non faciliter le travail des prostituées.
Selon le gouvernement, l'objectif de la loi est de décourager la prostitution, de dissuader quiconque de s'y adonner et d'en bannir si possible la pratique dans une large mesure.

Dans le modèle scandinave, ce sont les clients qui sont maintenant pénalisés et non plus les prostituées.
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La Couronne soutenait que la loi n'a pas pour simple objectif d'immuniser les prostituées contre toute poursuite criminelle, bien qu'elle leur permette de prendre certaines mesures de sécurité sans que celles-ci mènent à des accusations criminelles.
Elle avait rappelé que la prostitution reste illégale au pays, mais que la législation considère que les travailleurs du sexe sont des victimes à qui elle reconnaît bien une immunité, mais seulement pour certains aspects de leurs activités.
La Couronne soulignait que le juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation de la loi, en concluant à tort que le Parlement fédéral avait rendu légale la vente de services sexuels.

L'obtention d'un avantage matériel (le proxénétisme) et toute publicité sur des services sexuels sont toujours prohibées au Canada.
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Le gouvernement avait par ailleurs ajouté que le magistrat avait confondu l'interdiction de la publicité entourant la vente de services sexuels et la communication entre le travailleur du sexe et le client potentiel.
La publicité n'empêche pas, selon lui, les travailleurs du sexe de partager des informations sur de mauvais clients ou encore de texter, de téléphoner et d'envoyer un courriel à leurs clients.
Arguments de N. S.
La défense de N. S. soutenait au contraire que l'un des objectifs essentiels de la loi consistait bien à protéger les travailleurs du sexe, mais que la loi criminalise toutes les activités liées à leur métier.
Elle citait en exemple le travail en coopérative des travailleurs du sexe qui voudraient partager les revenus de leur travail ou l'embauche de tierces parties comme un agent de sécurité, un chauffeur ou une réceptionniste dans un salon de massage.
Elle affirmait que la législation ne peut accorder une certaine immunité aux travailleurs du sexe et rendre en même temps certaines de leurs activités plus dangereuses, alors que l'objectif de l'immunité consiste justement à les protéger dans leur travail.

La défense de N.S. soutient que le modèle actuel au Canada met plus que jamais les travailleurs du sexe à risque d'être violentés ou exploités.
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Selon elle, l'interdiction de la publicité entourant des services sexuels complique leur travail, puisque la publicité permet aux prostituées de minimiser la confrontation avec des clients potentiellement violents et de filtrer les clients indésirables lors d'un premier contact au téléphone ou par courriel.
Or, la défense soulignait que l'interdit sur la publicité force les travailleurs du sexe à communiquer de façon clandestine ou par code, ce qui les empêche de bien choisir des clients ou de bien communiquer avec eux.
Elle avait donc demandé à la Cour d'appel de l'Ontario de respecter le verdict du tribunal inférieur et de confirmer l'acquittement de son(sa) client(e).