Bourses Perspective Québec : le gouvernement contredit par ses propres données

Des formations jugées en forte demande sur le marché de l'emploi ont été écartées du programme de bourses Perspective Québec. (Archives)
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Bien qu’il vise à contrer la pénurie de main-d'œuvre, le nouveau programme de bourses d’étude Perspective Québec écarte des formations que le ministère de l’Enseignement supérieur a pourtant lui-même identifiées comme étant en forte demande sur le marché de l’emploi, a constaté Radio-Canada.
C’est notamment le cas des programmes de techniques de travail social, d’avionique, d’intervention en délinquance, d’analyses biomédicales et de maintenance d’aéronefs.
La Fédération des cégeps dénonçait récemment que ces cinq formations ne sont pas admissibles aux nouvelles bourses Perspective Québec, qui vont jusqu’à 9000 $ au niveau collégial et 20 000 $ au niveau universitaire.
Pourtant, un document publié l’an dernier par le ministère de l’Enseignement supérieur démontre que les diplômés de ces cinq programmes se trouvent un emploi lié à leur formation dans une proportion allant de 75,6 % à 91,8 %.
Moyenne du placement dans un emploi lié à la formation :
- Techniques d’avionique : 75,6 %
- Techniques d’intervention en délinquance : 76,2 %
- Techniques de travail social : 76,4 %
- Technique de maintenance d’aéronefs : 78,1 %
- Technologie d’analyses biomédicales : 91,8 %
Ces taux sont comparables, voire supérieurs à ceux d’autres formations pourtant admissibles aux bourses Perspective Québec, telles que les techniques de l’animation 3D, de génie aérospatial ou d’inhalothérapie.
Moyenne du placement dans un emploi lié à la formation :
- Techniques de l’animation 3D : 50,4 %
- Technologie du génie métallurgique : 66,7 %
- Techniques de génie aérospatial : 76,8 %
- Soins infirmiers : 86,8 %
- Techniques d’inhalothérapie : 91,5 %
Le cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, n’a pas souhaité commenter, autrement que pour réitérer les mêmes arguments évoqués la semaine dernière lors d’une entrevue.
Notre réponse ne change pas
, a écrit l’attachée de presse de la ministre, Valérie Chamula, dans un message destiné à Radio-Canada. C’est en collaboration avec les ministères concernés qu’on détermine les programmes à prioriser.
C'était écrit dans le ciel
Depuis l'annonce de ce programme, la porte-parole du Parti libéral du Québec en matière d'enseignement supérieur, Hélène David, ne décolère pas.
C'était écrit dans le ciel que ça allait créer de la division, que ça allait créer de la discrimination, des injustices et des inaccessibilités pour de très nombreux étudiants
, dit-elle.
À son avis, le gouvernement caquiste doit reculer, puis réinvestir tout l'argent consacré à ce programme ailleurs, afin de favoriser l'accès aux études dans tous les domaines.
« J'ai rarement vu autant d'argent et j'ai été ministre de l'Enseignement supérieur : 1,7 milliard, on le met en programme de prêts et bourses pour savoir qui on doit aider vraiment et ce n'est pas nécessairement les enfants dont les parents font 200 000 $ ou 300 000 $ par année par couple qui ont besoin d'avoir 20 000 piastres pour faire leur bacc en génie. »
Sourde oreille
Le porte-parole de Québec solidaire en matière d’enseignement supérieur, Alexandre Leduc, se dit pour sa part étonné que la ministre McCann fasse la sourde oreille
alors que divers observateurs lui ont rapporté les écueils
du programme de bourses Perspective Québec.
« Il aurait fallu consulter plus largement les associations de la société civile, les associations étudiantes, les syndicats, les fédérations de cégep et compagnie. Visiblement, ça n'a pas été fait ou mal fait. »
Sa vis-à-vis du Parti québécois, Méganne Perry Mélançon, estime que le programme de bourses Perspective Québec ressemble à une tactique électorale
.
J'avais mes réserves dès le départ
, affirme-t-elle, tout en se demandant si le travail pour établir la liste des formations admissibles aux bourses a été bien fait.
« Ça semble avoir été plus choisi en fonction des secteurs économiques qu'on aime bien particulièrement au gouvernement de la CAQ : tout ce qui est économie, ingénierie. »
Pas le moyen de se priver de ces candidatures
À Québec, le Squat Basse-Ville, un organisme qui vient en aide aux jeunes en situation d’itinérance ou qui sont à risque de l’être, déplore que la ministre McCann ne soit pas allée sonder les besoins réels en main-d’oeuvre sur le terrain.
La directrice générale, Véronique Girard, affirme que la moitié de ses employés sont des diplômés du programme de techniques en travail social.
« Je pense que la ministre n'a pas demandé au communautaire ce qu'il avait besoin comme main-d'œuvre. En tout cas, moi au Squat, elle ne me l'a pas demandé! »
Mme Girard affirme qu’en raison de la pénurie de main-d'oeuvre, son organisme a beaucoup de difficulté à recruter des techniciens en travail social.
Avec l’augmentation du coût de la vie, elle craint que des étudiants décident simplement de se tourner vers une autre formation admissible aux bourses Perspective Québec, ce qui ne fera qu’aggraver son problème.
Je pense qu'on n'a pas le moyen de se priver de ces candidatures-là
, résume-t-elle.
Quels effets?
Si ce phénomène se produit, le député Alexandre Leduc craint qu’on se retrouve avec un nouveau problème : que des travailleurs ayant choisi un domaine d’études en raison des bourses disponibles soient ensuite malheureux au boulot.
Est-ce qu'on est certain qu'au bout de deux, trois, quatre ans [...] on a quelqu'un qui est vraiment motivé à rester dans ce secteur-là ou, à la première opportunité venue, va décider d'aller se requalifier ou de sortir complètement du secteur pour aller travailler dans une usine?
, demande-t-il.
Méganne Perry-Mélançon s’interroge elle aussi. Est-ce que, vraiment, ça va avoir les impacts escomptés par le gouvernement? C'est là aussi qu'il faut se poser la question.
Même dans les formations admissibles aux bourses Perspective Québec, comme le programme de techniques en éducation à l’enfance, certains émettent des bémols.
C’est le cas de la présidente de la Fédération des intervenantes en petite enfance du Québec (FIPEQ), Véronique Grenon. Si elle se dit satisfaite
de voir que le gouvernement offrira des bourses aux futures éducatrices, elle déplore que seules les étudiantes à temps plein pourront y avoir accès.
On veut que toutes nos étudiantes aient la bourse
, demande Mme Grenon, rappelant que certaines jeunes femmes ont des familles et un emploi, ce qui les empêche de se consacrer uniquement à leurs études.
Mme Grenon voit néanmoins les bourses Perspective Québec comme un bon outil pour lutter contre le manque d’éducatrices, d’autant plus que le gouvernement a promis de livrer 37 000 nouvelles places en garderie d’ici quatre ans.
Les données citées plus haut dans le texte, dans les deux encadrés, sont tirées de l'enquête La relance au collégial en formation technique, publiée par le ministère de l’Enseignement supérieur en 2021.