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Entre coups d’État et djihadistes, le Mali à la croisée des chemins

La France et ses partenaires ont récemment officialisé leur retrait militaire de ce pays.

Des soldats s’apprêtent à monter à bord d’un avion.

La France et ses partenaires ont récemment officialisé leur retrait militaire du Mali.

Photo : Getty Images / THOMAS COEX

Que se passe-t-il au Mali, cet État du Sahel politiquement instable qui fait face, depuis plusieurs années, à des attaques répétées des djihadistes? Les groupes armés menacent de faire tomber Bamako et épuisent les forces internationales présentes dans la région, sur fond de crise politique entre les autorités de transition maliennes, issues de deux coups d'État successifs, et l’armée française, dont on ne veut plus dans ce pays.

Jeudi dernier, la France et ses partenaires ont officialisé leur retrait militaire du Mali après plus de huit ans de lutte contre les groupes armés, montrant du doigt les autorités maliennes pour leur manque de collaboration.

Un groupe de soldats dans le désert.

Des soldats français dans une base à Gao, au Mali

Photo : Reuters / BENOIT TESSIER

Mais outre les frictions entre Paris et Bamako, pourquoi peine-t-on à venir à bout des djihadistes dans cette partie de l’Afrique?

Le journaliste indépendant Akram Kharief, spécialisé en défense et en sécurité, qui dirige le site Menadefense, évoque un fossé ethnique, religieux et linguistique entre les populations du Nord et celles du Sud [dans la région].

« Depuis les indépendances, les populations du Nord se sont senties abandonnées et ont fini par se rebeller à partir de la fin des années 80. »

— Une citation de  Akram Kharief, journaliste indépendant spécialiste en défense et en sécurité
Un soldat malien.

Un soldat de l'armée malienne lors d'une patrouille sur la route entre Mopti et Djenné, dans le centre du Mali.

Photo : Getty Images / MICHELE CATTANI

La rébellion est devenue plus organisée, ce qui a donné lieu à la grande révolte du Niger, avant d’aboutir à celle du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) dans le nord du Mali en 2012, mettant à rude épreuve l'armée malienne.

Mais durant cette révolte, fait remarquer M. Kharief, il y a eu incursion des djihadistes qui se sont installés dans le nord du pays. Ils y ont prospéré, entre autres grâce aux prises d’otages et à la contrebande. Ils sont devenus une force économique locale, bousculant même la gouvernance traditionnelle des Touaregs.

Deux groupes de Touaregs sont impliqués dans les violences dans le nord du Mali. Le premier, le Mouvement national de libération de l'Azawad, réclame l'indépendance de la région du nord du Mali où il est actif.

Le second, Ansar Dine, est un groupe islamiste en lien avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Ansar Dine ne réclame pas l'indépendance du Mali, mais veut instaurer la charia dans tout le pays.

Des objectifs militaires

En 2012, la France a entrepris une intervention militaire formelle au Mali, qui s'est déclinée en plusieurs opérations, notamment Serval puis Barkhane.

Mais ces opérations militaires d’envergure censées sécuriser les principales villes du nord du pays n’ont pas permis à Bamako d’asseoir son autorité en matière de gouvernance. Des milliards de dollars ont été canalisés vers le Mali et ont disparu dans la nature, entre autres à cause de la corruption, ajoute Akram Kharief.

Il rappelle que la Mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM Mali) pour entraîner l’armée et les services de sécurité de ce pays a coûté 2 milliards de dollars en une dizaine d’années.

« En dix ans, la France et ses alliés ont fait du militaire, essentiellement. »

— Une citation de  Akram Kharief, journaliste indépendant spécialisé en défense et sécurité
Un soldat français patrouille dans les rues de Gao.

Un soldat français patrouille dans les rues de Gao le 4 décembre 2021.

Photo : Getty Images / THOMAS COEX

Avec le temps, face aux insuccès des opérations militaires, il s’est développé un sentiment de colère de la part de la population malienne qui a vécu cette présence militaire comme une occupation sans résultat, d’où la série de coups d’État [2020 et 2021], explique le directeur du site Menadefense.

Les Forces armées canadiennes participaient aux efforts des alliés européens au Mali en transportant à l’occasion de l’équipement et du personnel militaire français entre la France et la région du Sahel, en Afrique.

Baptisée Fréquence, cette opération n’impliquait pas le déploiement de militaires sur place.

Source : Défense nationale du Canada

Des alliances qui irritent Bamako

Au début de l’intervention française qui comptait jusqu’à tout récemment quelque 5000 militaires, tout le monde était content, rappelle Youssouf Tounkara, président du Haut Conseil des Maliens du Canada.

Par la suite, poursuit M. Tounkara, la France a progressé au nord et, arrivée à une partie du territoire, a bloqué l’armée malienne en l’empêchant d’y entrer parce que, stratégiquement, l’armée française a trouvé que c’était nécessaire de s’associer à des mouvements séparatistes touaregs comme le Mouvement national de l’Azawad. Cela a été très mal vu au Mali.

Après l’intervention française, ce mouvement politique s’est transformé en un mouvement armé qui s’appelle depuis le Mouvement national de libération de l’Azawad. Il s’en est suivi quelques alliances avec des groupes djihadistes comme Al-Qaïda au Maghreb islamique.

« Aujourd’hui, nous les Maliens, nous nous retrouvons piégés entre les intérêts de différentes puissances qui ont leur agenda qui n’a rien à voir avec celui de la République du Mali. »

— Une citation de  Youssouf Tounkara, président du Haut Conseil des Maliens du Canada

Nicolas Normand, ancien ambassadeur de France au Mali, n’est pas de cet avis. Intervenant samedi dans un débat organisé par le Haut Conseil des Maliens du Canada, il estime que la France a sauvé Bamako, qui risque aujourd’hui de tomber après le départ des Français.

Il affirme qu’une partie du budget pour payer les fonctionnaires maliens vient de la France et de l’Union européenne.

Les militaires aujourd’hui au pouvoir qui disent assurer la transition sont isolés, rappelle-t-il. Ils sont sous le coup de sanctions de la part de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).

Manifestants au Mali.

Les Maliens manifestent massivement contre les sanctions ouest-africaines.

Photo : Reuters / PAUL LORGERIE

Cette organisation a décidé la fermeture des frontières avec le Mali, la suspension des échanges commerciaux, l’annulation des aides financières et le gel des avoirs du Mali à la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO).

Rectification

Revenant sur les coups d’État qui ont eu lieu au Mali dans les dernières années, Youssouf Tounkara évoque un changement de régime.

Une partie des militaires est arrivée au pouvoir. On a mis en place une transition militaro-civile. Il y a eu un deuxième renversement parce qu’on trouvait que la transition n’avançait pas. Il y a eu des mouvements sociaux importants, les syndicats bloquaient tout et rien ne fonctionnait. C’était nécessaire qu’il y ait cette rectification, explique-t-il.

Assimi Goïta en uniforme militaire lors d'une cérémonie.

Le colonel Assimi Goïta

Photo : Reuters / AMADOU KEITA

Le chercheur Sayouba Savadogo, instigateur du projet Sécurité préventive en Afrique subsaharienne au Centre d’histoire orale à l’Université Concordia, à Montréal, craint, quant à lui, la poursuite du feuilleton des coups d’État au Mali et dans la sous-région. Il cite l’exemple de la Guinée, qui a vécu la même expérience, mais aussi le Burkina Faso qui a annoncé un renversement du pouvoir, voilà quelques semaines seulement.

Il relève au passage que ces coups de force sont l’œuvre de colonels de la même génération, dont beaucoup ont fait leurs études en Occident.

Redéploiement et prétexte de départ

À propos du retrait militaire, Nicolas Normand préfère plutôt parler d’un redéploiement. Il précise que les troupes françaises se sont retirées du Mali, et non de la région, puisque des pays voisins sont demandeurs de l’aide de la France.

Il y a rupture entre Bamako et Paris, mais cette rupture n’est pas totale, relativise l’ancien ambassadeur.

Si la France se retire, les Maliens vont dire "alléluia". Tous les Maliens, toutes sensibilités confondues, n’attendent que cela, rétorque Sayouba Savadogo.

Ce discours n’est pas propre au Mali, note-t-il, c’est aussi celui des populations de la région.

Peut-être que la France espère que la situation à l’intérieur ne soit plus tenable pour la nouvelle autorité, ce qui pourrait conduire à une révolte interne contre [la junte au pouvoir], ajoute M. Sayouba.

Le deuxième coup d’État à Bamako est venu à un moment où Paris voulait se désengager militairement, fait remarquer Akram Kharief.

La France s’est embourbée avec le temps. Elle a perdu une cinquantaine de soldats et beaucoup d’argent. Paris manque d’arguments face à ses partenaires pour justifier son départ et trouver un remplaçant, souligne M. Kharief.

L’apparition de forces privées russes qualifiées de mercenaires au Mali et le durcissement du ton de la junte ne seraient qu’un prétexte, selon lui, pour expliquer ce retrait à quelques mois de l’élection présidentielle en France.

Akram Kharief évoque trois scénarios suivant le retrait de la France : un départ précipité comme en Afghanistan et l’écroulement du pays; le recroquevillement de l’État vers un Mali utile et l'abandon de la périphérie; ou l’intervention d’autres forces internationales, provenant notamment des pays de la région.

Le controversé groupe Wagner

Des manifestants tiennent une bannière sur laquelle on peut lire « Merci Wagner ».

Des manifestants tiennent une bannière sur laquelle on peut lire « Merci Wagner », le nom de la société de sécurité privée russe présente au Mali, lors d'une manifestation pour célébrer l'annonce du retrait des troupes françaises.

Photo : Getty Images / FLORENT VERGNES

Si les trois scénarios se valent, les militaires au pouvoir à Bamako semblent se préparer au pire en faisant appel aux sociétés militaires privées russes, dont le groupe Wagner, pour sécuriser les villes et rendre impossible une offensive générale des forces djihadistes vers la capitale.

On peut s’attendre à une montée en puissance du groupe Wagner au Mali, comme cela a été le cas en Libye et en Syrie, selon M. Kharief. Cette société militaire privée s’abreuverait financièrement des contrats miniers dans le sud-ouest du pays.

Il s’agit de mercenaires, qui coûteront cher et n’apporteront rien au Mali en matière de développement, assène l'ex-ambassadeur Nicolas Normand, qui voit l’ombre de la Russie derrière Wagner. La Russie, dit-il, n’a pas les moyens d’aider le Mali […] elle est là surtout pour gêner les Occidentaux.

Sayouba Savadogo n'aime pas l’idée de chasser une puissance internationale pour aller se mettre dans les bras d’une autre. Il croit en une solution politique émanant d’abord des Maliens eux-mêmes. L’aide internationale viendrait ensuite et devrait prendre la forme d’une coopération d’égal à égal et non en imposant sa vision, insiste-t-il.

Pour Youssouf Tounkara, les réactions en chaîne après le rapprochement des autorités en place avec la Russie n’ont fait que contribuer à renforcer le sentiment de nationalisme.

On a l’impression que la France instrumentalise les organisations sous-régionales parce qu’on se rapproche de la Russie. Les Maliens ont l’impression qu’il y a toujours cette main coloniale.

« Je sais que certains pays n’aiment pas faire affaire avec le groupe de sécurité privé [Wagner], mais la population malienne dans son ensemble se fiche totalement que ce soit des mercenaires, que ce soit des bandits du moment, que ces gens nous aident à faire arrêter les tueries de masse. »

— Une citation de  Youssouf Tounkara, président du Haut Conseil des Maliens du Canada

M. Tounkara ne manque pas de critiquer Ottawa sur cette question. Le fait que le Canada ait signé un document avec la France condamnant la présence de Wagner au Mali a beaucoup surpris les Maliens et une partie des peuples africains. On s’est dit : "Pourquoi le Canada joue le jeu de la France?"

Les répercussions sur les partenaires économiques

Le Canada, dont l’armée a déjà participé à une mission de maintien de la paix dans ce pays, est l’un des partenaires qui pourraient avoir à craindre pour leurs intérêts dans cette sous-région, selon Akram Kharief. C’est un pays très engagé économiquement, notamment dans le secteur minier dans la région sud et sud-ouest, souligne-t-il.

« Je pense que le Canada serait très dérangé par une compétition russe. C’est ce qui a poussé Ottawa à réagir d’une façon aussi ferme par rapport à la junte. »

— Une citation de  Akram Kharief, journaliste indépendant spécialisé en défense et en sécurité

Il estime que les Canadiens refusent de perdre des parts de marché dans le secteur minier après avoir tant investi depuis plusieurs années, même pendant les périodes les plus difficiles.

Il rappelle que les groupes terroristes ciblent de plus en plus les installations minières dans la région d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale. Les djihadistes sont devenus puissants dans la région, compte tenu de l’immensité du territoire. Ils sont plusieurs milliers d’hommes très bien armés et ils se fondent dans la population.

Par contre, Youssouf Tounkara se montre optimiste quant aux relations économiques avec le Canada.

Même si les choses venaient à empirer au Mali, je pense que le Canada n’a pas à s’en faire. Il jouit toujours d’une bonne image [auprès des Maliens], déclare le président du Haut Conseil des Maliens du Canada.

Il conclut avec ce message : Nous voulons nous ouvrir au monde, mais avec nos réalités socioculturelles. Que la communauté internationale nous donne la latitude de refonder notre État.

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