Une taxe carbone mondiale bénéficierait à l’industrie minière, disent des chercheurs

L'entreprise chilienne SQM extrait du lithium dans le nord du Chili. Une taxe carbone mondiale ferait exploser la demande pour ce genre de métal, crucial pour la fabrication de piles électriques, selon des chercheurs.
Photo : Reuters / Ivan Alvarado
L’industrie minière vivrait un essor presque inégalé si une tarification carbone était imposée mondialement, selon des chercheurs de l’Université de la Colombie-Britannique (UBC), qui soulignent là un potentiel de convergence avec les groupes écologistes.
Si le CO2 [dioxyde de carbone] est taxé, la demande pour les produits miniers va exploser
, dit le doctorant Benjamin Cox, de l’Institut Norman B. Keevil en génie minier de l’UBC.
Ce serait un boom que l’industrie minière n’a pas vu depuis la ruée vers l’or en Californie, ajoute-t-il. Ce serait extrêmement bénéfique pour l’industrie de voir cette conversion forcée vers les énergies vertes.
L’étude dont il est coauteur, publiée dans la revue scientifique Nature Communications Earth and Environment, montre que la valeur économique générée pour chaque tonne de CO2 libérée dans l’atmosphère est généralement beaucoup plus grande pour les produits miniers que pour les énergies fossiles et les produits issus de l’agriculture, par exemple.
Une taxe carbone aurait ainsi une incidence moindre pour l’industrie minière que pour ces autres secteurs, en plus de mener à une hausse de la demande mondiale pour de nombreux métaux, notamment pour construire des piles électriques et des panneaux solaires.
La prévalence au Canada d'électricité produite grâce aux énergies renouvelables donnerait un avantage supplémentaire à l'extraction minière au pays, ajoute Benjamin Cox.
Qu’on le veuille ou non, la seule manière d’arriver réellement à une société à faible émission de carbone ou zéro émission, c’est par l’intermédiaire de technologies qui viennent de l’extraction minière, dit-il. Toute pièce de technologie qui permet de remplacer les plus importantes sources de consommation de carbone est fabriquée avec du métal.
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Une partie de l'industrie en faveur de la taxe carbone
C’est une réalité dont l’industrie a conscience, explique en entrevue le président-directeur général de l’Association minière du Canada (AMC), Pierre Gratton.
L’AMC appuie malgré quelques réserves la taxe carbone fédérale, qu’elle considère comme le meilleur instrument pour accélérer l’action contre les changements climatiques
, affirme Pierre Gratton.
En général, c’est bien développé, bien implanté, dit-il. Une des raisons pour ça, c’est que ça inclut des mesures pour reconnaître les risques concurrentiels pour certains secteurs comme le secteur minier.
L’industrie minière canadienne est, en pratique, en partie exemptée du paiement de cette taxe.
Comme c'est le cas de celle qui est en place dans la plupart des provinces ayant leur propre dispositif de taxation, la tarification carbone fédérale comprend, pour certains secteurs (dont les mines), un système de tarification fondé sur le rendement
, parallèle au régime régulier.
Il établit une norme d’émission pour chacun de ces secteurs. Les installations dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) dépassent la norme doivent payer la taxe carbone sur cette quantité excédentaire ou acheter des crédits aux entreprises dont les émissions sont inférieures à la norme fixée.

L'industrie canadienne du charbon, concentrée en Alberta et en Colombie-Britannique, continue à générer des milliards de dollars par an pour certaines entreprises minières.
Photo : CBC
Contrer les fuites carbone
Selon le vice-président de la recherche à l’Institut canadien pour des choix climatiques, Dale Beugin, le système fonctionne plutôt bien puisqu’il encourage les innovations et la réduction des émissions, tout en ne nuisant pas trop à la compétitivité des entreprises canadiennes.
On ne veut pas que les firmes répondent en transférant leur production et les émissions qui viennent avec dans d’autres juridictions, parce que le problème climatique est mondial
, explique-t-il.
Ce n’est pas juste une question de concurrence; c’est ce qu’on appelle un problème de fuite, parce que les émissions qui fuitent hors du Canada seront émises quelque part, ajoute M. Beugin. On [aurait] le pire des deux mondes.
L'industrie minière est particulièrement exposée à la concurrence mondiale, souligne Pierre Gratton, de l'AMC. On ne peut pas passer le coût sur d’autres personnes, parce que notre produit est vendu sur le marché international.
Les compagnies ferroviaires, par comparaison, peuvent refiler les coûts supplémentaires engendrés par la taxe carbone sur leurs clients puisqu’ils ont peu ou pas d’exposition à la concurrence internationale, note-t-il.
Selon Dale Beugin, le système de tarification basé sur le rendement offre une solution qu'il espère temporaire, en attendant d'avoir un prix mondial sur le carbone
.
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Un potentiel d'alliance
avec les écologistes?
Le chercheur Benjamin Cox estime que la taxation du carbone est un exemple de point de convergence entre les groupes écologistes et une industrie souvent critiquée pour son impact environnemental.
La seule manière de résoudre les problèmes environnementaux mondiaux, c’est en trouvant des sujets pour lesquels on peut s’allier
, croit-il.
C’est complexe, remarque cependant Dale Beugin, et le développement minier en particulier nécessite souvent des compromis difficiles.
Ce n’est pas juste une question d’émissions [de GES]; il y a aussi les dommages aux écosystèmes, les droits des peuples autochtones, le bien-être des travailleurs qui obtiennent les emplois et la prospérité économique à long terme, dit-il. Ce sont tous des éléments à considérer.
Rodrigue Turgeon, coresponsable du programme national de l’organisme MiningWatch, dit qu’il ne faut pas perdre de vue les répercussions écologiques néfastes de cette industrie, notamment son importante génération de déchets miniers.
Même s’il voit la taxe carbone comme un mécanisme important de lutte contre les changements climatiques et qu'il constate que l’étude des chercheurs de l'UBC fournit un argument utile
qui pourrait pousser divers éléments de la société à s’entendre, il souligne par exemple qu’il reste encore beaucoup à faire en matière de recyclage et de réutilisation des métaux.
Une fois qu’il y a déjà des minéraux qui sont en circulation, il faut tout miser pour éviter d’avoir à extraire et exploiter d’autres gisements pour aller chercher ces mêmes métaux
, dit-il.
Une réduction des émissions de CO2 passe aussi, selon lui, par des changements qu'il faut apporter à notre mode de vie, notamment une réduction de la dépendance aux véhicules individuels (même électriques), dont la production est source de GES, tout comme son alimentation en électricité à plusieurs endroits, et par des modifications profondes en matière d’urbanisme pour éviter l’étalement urbain.