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Qu’est-ce que la Loi sur les mesures d’urgence?

Des drapeaux et des affiches lors d'une manifestation devant le parlement à Ottawa

Des images de la manifestation des camionneurs à Ottawa, le 10 février 2022

Photo : Radio-Canada / Alexis Tremblay

Adoptée en 1988 sous le gouvernement de Brian Mulroney, la Loi sur les mesures d’urgence, qui remplace l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, n’a encore jamais été utilisée au Canada. Quelle sera son utilité réelle dans le contexte de la crise actuelle?

Ce qu’il faut savoir en premier lieu, c'est que la Loi sur les mesures d’urgence n’est pas une procédure anodine, tant pour le gouvernement que pour les citoyens.

Cela permet de « prendre des mesures temporaires spéciales qui peuvent ne pas être appropriées en temps normal », est-il indiqué en préambule de la Loi.

Avec cette loi-là, le gouvernement peut réquisitionner des biens, des services, des personnes. Le gouvernement peut dire aux gens où aller, où ne pas aller. Il y a vraiment peu de limites à ce que peut faire le gouvernement, mais ça doit être fait dans une situation d’urgence.

Une citation de Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa

Par exemple, le gouvernement ne peut pas entrer chez vous et prendre vos biens; c’est interdit. Mais avec une loi sur les mesures d’urgence, ça serait possible, a précisé Geneviève Tellier sur les ondes d’ICI RDI.

Commission d'enquête sur l'état d'urgence

Consulter le dossier complet

Photo prise devant la Colline Parlementaire, sur la rue Wellington à Ottawa.

Dans sa forme actuelle, la Loi est conçue pour répondre à cinq types de situations : des urgences nationales, des sinistres, des états d’urgence, des états de crise internationale et des états de guerre.

Selon le texte, cette loi permet notamment au gouvernement fédéral :

  • de réglementer ou d'interdire les déplacements, l’utilisation de biens désignés et les assemblées publiques dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix;
  • de désigner et d'aménager des lieux protégés;
  • de prendre le contrôle des services publics ou d'en assurer la restauration et l’entretien;
  • d’autoriser ou d'ordonner la fourniture de services essentiels et le versement d’une indemnité raisonnable pour ces services;
  • d’imposer, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 500 $ et un emprisonnement maximal de six mois ou l’une de ces peines, ou, sur déclaration de culpabilité par mise en accusation, une amende maximale de 5000 $ et un emprisonnement maximal de cinq ans ou l’une de ces peines, en cas de contravention aux décrets ou règlements.

Entrevue avec le constitutionnaliste Patrick Taillon

Pas nécessaire de recourir à l’armée

Bien qu’elle remplace en quelque sorte la Loi sur les mesures de guerre qui a été invoquée au Canada non seulement pendant les deux guerres mondiales, mais aussi lors de la crise d’Octobre au Québec en 1970, la Loi sur les mesures d’urgence ne prévoit pas automatiquement le déploiement de l’armée.

Non, pas du tout , explique Geneviève Tellier. Le recours à l’armée n’est qu’une possibilité parmi les outils dont dispose le gouvernement. Le déploiement militaire n’est pas automatique lorsqu’on a recours à la Loi sur les mesures d’urgence.

Et d’ailleurs, précise la politologue, on n’a pas besoin non plus d’avoir cette loi-là pour faire appel à l’armée. On l’a bien vu pendant la pandémie : on a pu envoyer les forces armées un peu partout au pays pour différentes raisons; inondations ou feux de forêt.

Des tanks de l'armée canadienne à Kanesatake/Oka en 1990

Un Warrior mohawk observe avec des jumelles des blindés de l'armée canadienne lors de la crise d'Oka, en 1990.

Photo : The Canadian Press / Tom Hanson

Le gouvernement fédéral n’a pas non plus eu à invoquer cette loi lorsqu’il a déployé des troupes pour relever les services policiers du Québec lors de la Crise d’Oka, en 1990.

Comment l’applique-t-on?

Considérée par plusieurs comme une arme nucléaire législative, la Loi sur les mesures d’urgence ne peut être décrétée unilatéralement par le gouvernement. Ce dernier doit en faire la justification devant les députés de la Chambre des communes, ainsi que les membres du Sénat.

Le gouvernement a l’obligation d’expliquer exactement qu’est-ce qui nécessite cette intervention-là, et que ce soit fait pour une période fixe dans le temps. S’il faut la prolonger, il faut en refaire la demande, explique Geneviève Tellier.

Ça amène un peu de transparence, un peu de clarté, mais en même temps, ça donne d’extraordinaires pouvoirs au gouvernement, qui peut faire des choses que, normalement, la loi lui interdit de faire.

Une citation de Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa

Auparavant, la Loi sur les mesures de guerre ne s’encombrait pas de cette obligation et permettait au cabinet d’émettre librement les décrets et règlements qu’il voulait, sans en rendre compte au Parlement.

Toutefois, cette époque semble révolue dans la Loi sur les mesures d’urgence.

Il y a des règles qui sont très précises; il faut absolument déposer une motion. Ce n’est pas obligé qu’elle soit déposée immédiatement, mais éventuellement, ça va être débattu et par la Chambre des communes et par le Sénat, explique Geneviève Tellier.

Avec cette loi-là, il y a un cadre et une occasion pour l’opposition de se manifester et de parler.

Ottawa a-t-il besoin de l’accord des provinces pour procéder?

Une dizaine de militaires armés sont vus dans une rue du Vieux-Montréal.

Des militaires canadiens patrouillent dans les rues de Montréal, le 20 octobre 1970.

Photo : Getty Images / The Toronto Star / Bob Olsen

Ce n’est pas clair, reconnaît Mme Tellier. Ça n’a jamais été appliqué, alors on va voir comment c’est interprété.

Si on veut aller dans une province, oui, il faut avoir l’accord de la province en question. Mais si c’est plusieurs provinces, il faudra voir les détails de Loi. Par contre, ce serait étonnant, et ce ne serait certainement pas une bonne chose d’invoquer la Loi sans en avertir les gouvernements provinciaux, ajoute la politologue.

Mais dans la mesure où trois corps policiers sont maintenant déployés à Ottawa et qu’ils tentent sans succès de déloger les manifestants depuis 18 jours, il est permis de se demander ce que la Loi sur les mesures d’urgence changera à la situation.

Depuis que Doug Ford a déployé sa propre loi d’urgence, on a vu ce qu’elle pouvait faire à Windsor : ça donne une certaine légitimité aux corps provinciaux et municipaux d’intervenir, estime Mme Tellier.

Néanmoins, le fait d’ajouter une loi nationale aura-t-il une incidence réelle sur les occupations toujours en cours au pays, dans la mesure où Ottawa écarte pour le moment de recourir à l’armée? Probablement pas, croit la politologue.

C’est peut-être ça, le danger, pour le gouvernement Trudeau; c’est d’invoquer un peu l’arme nucléaire, parce que ce n’est quand même pas banal et que, finalement, il ne se passe pas grand-chose.

Une citation de Geneviève Tellier, professeure à l’École d’études politiques à l’Université d’Ottawa

Selon elle, le fédéral arrive un peu tard dans cette crise.

M. Trudeau un est petit peu à la remorque de Doug Ford. En ce moment, c’est Doug Ford qui exerce le leadership. C’est lui qui a proposé la Loi vendredi, et on a vu M. Trudeau prendre la parole quelques heures plus tard. On n’a pas l’impression que c’est le gouvernement fédéral qui est en plein contrôle de la situation.

Justin Trudeau appliquera la loi sur les mesures d'urgence pour venir à bout des manifestations au pays.

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