Facile d’échanger ses « cryptos », pas mal moins de faire ses impôts
Environ 5 % de la population canadienne utilise le bitcoin, selon une estimation de la Banque du Canada, faite en novembre 2021, qui comptabilisait aussi plus de 740 autres cryptomonnaies.

Des cryptomonnaies comme le bitcoin peuvent être transférées d'une personne à l'autre grâce à des applications mobiles.
Photo : afp via getty images / STHANLY ESTRADA
« Avec plusieurs portefeuilles et beaucoup de transactions, ça devient presque impossible à suivre! » Jonathan Lauzon, un étudiant qui a investi et échangé plusieurs milliers de dollars en cryptomonnaies, nous a fait part de son exaspération à la veille de produire sa déclaration de revenus. En effet, ce n’est pas simple.
Il n’y a pas encore d’informations très précises et disponibles pour tout le monde, soutient-il. Je trouve ça difficile pour quelqu’un qui commence là-dedans de réussir à tout faire de façon légale.
À 23 ans, Jonathan indique avoir accumulé entre 10 000 $ et 20 000 $ dans ses portefeuilles de cryptomonnaies au cours de la dernière année. Après avoir cherché à mieux comprendre ce qu’exigeait le fisc, il a découvert une façon de connaître ses profits et ses pertes en dollars canadiens pour chacune de ses transactions par l’intermédiaire d’une plateforme en ligne – il en existe plusieurs. Maintenant, il doit faire les calculs.
Cela est important et c’est le concept de base, insiste le président de Catallaxy, Louis Roy. Quand est-ce qu’on a un événement fiscal? À chaque fois qu’on fait une transaction, c’est un événement fiscal, donc taxable.
Ci-dessous, nous vous présentons un scénario très simpliste avec une situation de gain en capital imposable à 50 %.
Louis Roy prévient que de nombreux investisseurs pourraient se retrouver dans une situation de revenus d’entreprise. Selon l’importance de l’activité réalisée en cryptomonnaies, c’est-à-dire s’il y a beaucoup de transactions, les profits peuvent alors être imposés à 100 %. Des critères doivent être respectés, mais tous les experts consultés évoquent qu’il s’agit parfois d’une zone grise.
Retenez en somme que l’impôt ne se calcule pas seulement quand vous convertissez vos cryptomonnaies en dollars canadiens en vue de les déposer dans un compte bancaire traditionnel.
Des gens le réalisent naïvement des fois et disent : "Oh my God! Vous êtes sérieux? Ça veut dire que pour chaque transaction depuis un an, c’est imposable?", rapporte M. Roy. Ce n’est pas considéré comme une monnaie [par les agences de revenu], mais comme un bien. Donc, c’est imposable.
« La règle de base, c’est d’avoir une bonne tenue de livres. »
Les comptables spécialisés débordés
Le flux de clientèle dans les derniers mois aurait explosé
chez Catallaxy, une branche de la société comptable Raymond Chabot Grant Thornton.
Beaucoup d’artistes ont vendu leur œuvre en émettant des NFT [jetons non fongibles ou certificats de propriétés numériques]
, aux dires de Louis Roy. Des gens, étonnamment, ont fait des gains très intéressants.
L’artiste doit alors déclarer ses revenus obtenus en cryptomonnaies. L’acheteur doit de son côté déclarer le gain qui s’est matérialisé entre le montant payé pour la cryptomonnaie à l’origine et le montant payé pour le jeton non fongible. Il en va de même pour des achats réalisés dans les jeux vidéo ou un monde virtuel comme le métavers.
Le président de Crypto Impôt, Alexandre Ferreira-Silva, souligne aussi être dépassé par la demande relativement à la production de déclarations de revenus pour 2021. On est déjà pas mal à pleine capacité
, reconnaît-il.
Ses services ne sont pas pour les contribuables qui investissent seulement quelques centaines de dollars. Il faut compter 200 $ de l’heure, taxes en sus, pour un minimum de 10 heures pour obtenir ses services et faire le calcul des gains et des pertes.
M. Ferreira-Silva explique que des portefeuilles de cryptoactifs de certains clients sont très complexes et diversifiés. On doit toujours s’adapter et être à la fine pointe des nouveaux changements, tant au niveau de l’impôt que de la technologie.
« J’ai des clients qui sont dans les six à sept chiffres d’impôts à payer. La réalité, c’est qu’ils seront vérifiés. C’est un service qui demande des heures, donc ça ne se fait pas en claquant des doigts. »
Un outil pour simplifier et assurer les déclarations de revenus
Jonathan Lauzon se préoccupe des personnes encore plus jeunes que lui qui seraient tentées de se lancer dans l’aventure. J’aimerais ça s’il y avait un outil disponible offert par le gouvernement pour quelqu’un qui n’a aucune connaissance en matière d’impôt [...] Ça peut devenir dérangeant de se retrouver là-dedans une fois que les impôts arrivent.
Dans les faits, des gens de tout âge s’intéressent aux cryptomonnaies avec le risque, parfois, de tout perdre. La Facture et Les Décrypteurs rapportaient récemment qu’un retraité s’est fait dérober toutes ses économies, l’équivalent d’un million de dollars, en croyant investir dans des monnaies virtuelles.
L’Autorité des marchés financiers mène présentement une campagne pour sensibiliser les contribuables aux risques et aux responsabilités liés aux investissements dans les cryptomonnaies.
Les agences de revenu appelées à s'adapter
L’Agence du revenu du Canada (ARC) et Revenu Québec ont dû mettre sur pied des équipes spécialisées pour contrer l’évasion fiscale dans ce secteur financier en expansion et s’adapter à une technologie qui évolue très rapidement.
L’année dernière, malgré une contestation devant les tribunaux, la plateforme d’échange Coinsquare a dû remettre à l’ARC
les informations de ses clients ayant eu des comptes de plus de 20 000 $ en cryptomonnaies entre 2014 et 2020.L’ARCsur plusieurs outils pour détecter les contribuables et inscrits canadiens qui participent à des opérations en actif cryptographique, y compris l'examen de nombreuses sources de données internes et externes
.
Julien Brault, président de l’entreprise de technologie financière Hardbacon, estime néanmoins que beaucoup d’investisseurs échapperont à l’impôt. Avec les cryptomonnaies, c’est extrêmement facile de passer sous le radar, précise-t-il. À Montréal, il y a des guichets automatiques de bitcoins. Donc, on pourrait imaginer quelqu’un avec de l’argent liquide qui y dépose l’argent, reçoit une adresse de transfert, fait des gains en capitaux et ne déclare rien.
Et pour les honnêtes citoyens, il importe de conserver toutes ses informations pour une période minimale de six ans, tels que les dates des transactions, les reçus d’achats ou de transfert et la valeur de la cryptomonnaie. Le fisc pourrait bien vous retrouver.
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