Des inégalités salariales frustrantes pour des infirmières cliniciennes
La convention collective est interprétée différemment d’une région à l’autre.

Les établissements de santé n'appliquent pas la convention collective de la FIQ de la même façon au Québec.
Photo : CBC / Evan Mitsui
Les récentes négociations avec le gouvernement n’auront pas permis de corriger une inégalité salariale dans la convention collective de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). Des professionnels en soins qui viennent d’obtenir leur baccalauréat ne sont pas embauchés au même échelon que leurs collègues du parcours technique au collégial suivi du baccalauréat. Une situation qui varie d'une région à l'autre.
Ces infirmières cliniciennes ont pourtant le même nombre d’années d’études postsecondaires.
La situation dérange des employés avec qui nous avons parlé, d’autant plus que les CISSS et les CIUSSS du Québec n’appliquent pas tous la convention collective de la même manière.
Correctif
Une version antérieure de cet article indiquait à tort que quatre années d’expérience aux fins d’avancement sur l’échelle salariale des infirmières équivalent à quatre échelons, tandis que ce n’est pas toujours le cas.
Quatre années d'expérience
Les infirmières cliniciennes qui obtiennent leur baccalauréat à la suite d'une technique collégiale, et qui travaillent déjà dans le réseau, peuvent se faire reconnaître jusqu’à quatre années d’expérience, en vertu de la convention collective de la FIQ.
Le CISSS de Chaudière-Appalaches confirme que ces quatre années d’expérience comme infirmière peuvent, au maximum, représenter un bond de huit échelons sur l’échelle salariale et au minimum quatre échelons, lorsque l'employée est embauchée comme infirmière clinicienne.
Il est important de préciser que selon la convention collective, les échelons 1 à 8 sont d'une durée de six mois, et les échelons 9 à 18 sont d'une durée d'un an.
En contrepartie, les infirmières cliniciennes qui effectuent leur préuniversitaire au cégep et poursuivent ensuite au baccalauréat sont embauchées, après l’obtention de leur diplôme universitaire, au premier échelon.
Dans certains cas, la différence salariale pour ces deux types d'infirmières cliniciennes peut être de sept dollars de l'heure.
Différent en Estrie
Une source syndicale proche du dossier confirme que l’interprétation de cet article de la convention collective peut varier d’un établissement à l’autre et que la reconnaissance d’échelons sur l’échelle salariale diffère également selon les établissements.
À titre d'exemple, depuis 2019, le CIUSSS de l’Estrie – CHUS a modifié sa façon d’appliquer la convention collective. Maintenant, les infirmières cliniciennes, peu importe leur parcours pour obtenir leur baccalauréat, sont embauchées au même échelon. Ce CIUSSS reconnaît jusqu'à quatre années d'expérience à toutes les infirmières cliniciennes, confirme le syndicat local.
Dans une lettre aux employés, dont Radio-Canada a obtenu copie, le CIUSSS de l’Estrie explique sa décision ainsi : De nouvelles informations, combinées à des réalités liées à l’offre de soins, nous ont guidées vers un changement de pratique
.
Un article à ce sujet dans La Tribune précise également que ce changement a été possible à la suite de démarches des employés et du syndicat local.
Cette semaine, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec a décliné notre demande d’entrevue pour faire le point concernant ces disparités entre les régions.

Deux employés du CISSS de Chaudière-Appalaches estiment frustrantes les inégalités salariales entre les professionnels en soins détenant un baccalauréat.
Photo : Radio-Canada
C’est illogique
Deux employés du CISSS de Chaudière-Appalaches (CISSS-CA) ont partagé leur témoignage, en demandant à Radio-Canada de taire leur identité par crainte de sanctions à leur travail.
Un infirmier parle d’une situation illogique. C’est frustrant aussi de savoir que nos collègues sont aussi compétents que nous, on a notre bac au même moment, mais eux, ils sont payés plus cher.
Il convient que le salaire des infirmières cliniciennes du DEC-BAC peut être rehaussé en raison de leur expérience antérieure, mais il estime que l'écart est trop élevé et impossible à rattraper.
Pour le même niveau d'éducation, avec la même expérience en tant qu'infirmier clinicien, on est payé moins cher de l’heure et sur un an, ça se voit. Et là, ça fait maintenant bientôt cinq ans que je suis en poste.
Envie de changer d’employeur
Une autre infirmière clinicienne avec qui nous avons parlé suit ce dossier de près. T’sais, à bien y penser, j’aurais dû faire ma technique moi aussi, et mon bac ensuite pour obtenir un meilleur salaire, mais je ne vais pas refaire cinq ans de ma vie
, dit-elle.
Elle admet que cette inégalité dans les salaires fait en sorte qu’elle regarde les opportunités d’emploi ailleurs. Ce n’est pas chaque jour, mais je me demande parfois comment ça fonctionne en agence. C’est sûr que si, à Québec, ils rehaussent les gens de mon programme, je suis désolée, mais je vais à Québec.
Ces deux infirmiers cliniciens souhaitent que leur salaire soit rehaussé pour corriger l’écart avec celui de leurs collègues du DEC-BAC.
Qu’on reconnaisse mon diplôme et même plus. Ça fait quand même quatre ans que c’est ainsi et rien n’a changé
, ajoute l’infirmière clinicienne.

La question a été soulevée lors d'un conseil d'administration du CISSS de Chaudière-Appalaches.
Photo : Radio-Canada / Guillaume Croteau-Langevin
Incohérence
Le 28 avril 2021, le Syndicat des professionnelles en soins de Chaudière-Appalaches a présenté cet enjeu au conseil d’administration du CISSS-CA.
Les représentants ont demandé à l’employeur s’ils entendaient revoir sa façon d’intégrer les infirmières cliniciennes à l’embauche dans le but d’éliminer l’iniquité.
Josée Soucy, la directrice des ressources humaines, a répondu qu’il s’agissait effectivement d’une incohérence. L’enjeu représente un défi d’attraction et de rétention du personnel, selon elle.
Je vous suggère de porter cette problématique au ministère pour qu’on puisse changer. On s’engage également à faire un suivi au conseil d’administration pour les discussions
, a-t-elle précisé.
Vendredi, le CISSS de Chaudière-Appalaches a confirmé être entré en communication avec le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) concernant le salaire des infirmières cliniciennes.
Notre équipe des relations de travail a fait le lien avec le Comité patronal de négociation du secteur de la santé et des services sociaux. L'application du CISSS dans ce dossier est conforme aux conventions collectives en vigueur
, écrit le CISSS-CA en réponse à notre question.
L’établissement continue donc d’appliquer la convention collective à la lettre, contrairement au CIUSSS de l’Estrie.
Plusieurs autres établissements de santé au Québec prennent cette décision, notamment le CIUSSS de la Capitale-Nationale.

La FIQ a décliné notre demande d'entrevue dans ce dossier.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
Problème d’équité
Les disparités d’un établissement de santé à un autre représentent un grave problème d’équité, selon Jean-Noël Grenier, professeur titulaire au département des relations industrielles de l’Université Laval.
Ils sont en concurrence les uns envers les autres, c’est extrêmement problématique. Les CISSS et les CIUSSS qui ont une vision plus souple, qui ont plus de moyens, ils vont offrir des meilleures conditions, et d’autres CISSS et CIUSSS vont perdre leur main-d'œuvre, ça peut mener à des bris de service
, explique-t‐il.
Le professeur titulaire estime que la convention collective manque de clarté au niveau national, ce qui permet aux employeurs locaux d’interpréter certains articles.
Il doit y avoir des règles d’interprétation dans la convention, de façon à ce que ce soit neutre. Le gouvernement doit renforcer les dispositions de la convention pour prévenir ça
, poursuit M. Grenier.
Les personnes qui ont fait le bac, sans passer par le parcours technique au collégial, sentent que leur formation est dévalorisée, et c’est la pire chose, ça, surtout dans le secteur public
, fait-il valoir.
Par courriel lundi, le MSSS écrit qu'il soutient les établissements dans l’interprétation et l’application des modalités prévues aux conventions collectives
.
Sans donner plus de précisions quant aux disparités qui existent d'une région à l'autre, le ministère propose de poser la question au CIUSSS de l'Estrie-CHUS.